Des combattants internationalistes au Rojava racontent, semaine après semaine…
Du 12 mars au 20 mars 2016
J’ai donné cours de secourisme toute la journée. Un emploi du temps bien rempli avec des exercices pratiques de combat.
Il était environ 16h30 quand un camion benne arrive au camp. Nous sommes avertis de faire nos sacs et de sortir tout ce qui se trouve dans les manges (chambres) : matelas, couvertures, etc.
Comment vider un camp rapidement à la manière kurde ? A notre grand stupeur, la désorganisation est générale on peut même parler de chaos. Résultat des courses, un blessé (pied cassé) suite à un générateur tombé dessus. Dans ce tumulte, aucune information précise sur ce qui se passait et la nuit était déjà bien tombée quand l’ensemble des effets se sont retrouvés chargés pèle mêle dans le camion avec cerise sur le gâteau un quart des effectifs assis ou debout dessus.
Nous avons parcouru environ une vingtaine de kilomètres en arrière pour nous retrouver dans un autre village abandonné où nous avons établi dans le même désordre le nouveau camp.
Autant dire que du côté des volontaires étrangers çà pestait à qui mieux mieux devant cette retraite incompréhensible. Un tour de garde est monté dans un environnement où nous sommes arrivés de nuit et que nous ne connaissons pas.
La consigne très claire celle-là est : si vous voyez quelque chose vous ne tirez pas.
Le lendemain matin nous demandons un teckmill avec le commandant. Malheureusement plusieurs réunions sont prévues ce jour entre tabours et, une bonne chose nous nettoyons correctement notre nouvelle place qui en avait bien besoin. Avec notre équipe « d’étrangers » nous en profitons pour visiter le village abandonné. Dans la mosquée, nous trouvons de la propagande de DAECH. Les combats ont été rudes ici, les stigmates sont visibles de partout et nous avons également vu deux véhicules de DAECH qui ont reçus chacun un missile. La chaleur était tellement intense que le pare-brise tout comme le bloc moteur ont fondu. Un groupe est reparti à l’ancien camp pour récupérer du matériel. A leur arrivée, il a pu constater que le site avait été dépouillé de tout ce qui restait (jusqu’à la moindre ferraille) et, un groupe électrogène hors service laissé sur place avait été dérobé.
Le 14 mars nous devons gérer (les volontaires étrangers car les kurdes sont partis pour un civin) l’arrivée d’une cinquantaine de gundis (villageois) sans aucun ordre de la part de la hiérarchie restée sur place. Pour donner une image, nous nous retrouvons entourés de ces gens qui parlent arabe seulement dans un camp que nous devons défendre et en interdire l’accès. Autant dire que les gradés en ont pris pour leur grade à l’issue, car ces messieurs au lieu d’être présent à nos côtés se sont tranquillement installés dans une mange (chambre) pour manger et regarder la télévision.
Le soir, nous avons eu le teckmill avec le commandant pendant près d’une heure et nous avons formulé toutes nos critiques concernant les incidents de ces derniers jours.
Les YPG est une organisation très jeune (moins de trois ans) et ils reconnaissent qu’au niveau organisationnel ils ont encore beaucoup à apprendre et à mettre en place. Le fonctionnement en tant que guérilla ne facilite pas les choses par rapport à une organisation type militaire. Une hiérarchie traditionnelle aiderait peut être mais va à l’encontre de la philosophie non oppressive des YPG.
Par exemple, notre départ dans la précipitation est dû à un mail envoyé le matin mais ouvert tardivement. La communication à tout niveau est vraiment à améliorer. Par ce biais nous avons appris que la zone de l’ancien camp va être gérée dorénavant par la FSA (principale milice syrienne contre Assad à majorité arabe).
Nous avons également effectué des remarques concernant les « gradés » du tabour pas du tout à la hauteur de nos attentes. L’incident de l’arrivée des gundis en est un exemple type. La critique a été bien prise en compte et il nous a été précisé que si nous devions effectivement obéir à nos chefs de groupe, les autres ordres des tiers n’étaient pas à prendre en compte s’ils ne nous paraissaient pas « raisonnables ». Par contre nous avions autorisation si nous avions besoin de monde pour effectuer une tâche ou autre de donner les instructions nécessaires à cet effet. C’est ainsi que nous avons pu apprendre la nouvelle organisation des YPG.
A la base, il y a le « team » qui représente cinq personnes dont un responsable (pour nous chez les hommes il y a quatre teams et les femmes deux). Ensuite il y a le « takim » qui représente deux groupes avec un responsable qui chapeaute les deux groupes (nous avons trois takims avec celui des femmes).
Au-dessus se trouve le « boulouk » qui représente les deux teams (ici, il n’y a qu’un boulouk homme nous concernant)
Ensuite vient le tabour qui représente l’ensemble du personnel c’est-à-dire le boulouk YPG et le takim YPJ. Les hommes sont représentés pas un commandant masculin et les femmes par une femme. Le tabour représente environ une grosse trentaine de personnes.
Nous faisons partie d’un bataillon de quinze tabours. Il s’agit du bataillon Hareketleri. Une grande partie d’entre eux étaient partis à notre arrivée sur l’opération de Sédade. Nous nous sommes donc retrouvés au front avec la base arrière. Les opérations sur Sédade étant pour ainsi dire terminées, le bataillon est en train de se rassembler et de remonter du front. Les tabours qui ont été au combat vont se retrouver base arrière et c’est nous ainsi que les autres tabours restés en standby qui allons être projeté sur les petites opérations futures avant l’offensive majeure qui se prépare.
Le 15 mars au matin nous avons à nouveau plié bagage et laissé la place à une autre unité des FSA. Cette fois le départ s’est déroulé dans un relatif bon ordre. Nous avons encore reculé et nous trouvons maintenant en périphérie de Tel Telmir qui se trouve à moins d’un kilomètre du village abandonné où nous nous trouvons.
Personnellement je suis pris comme chauffeur des « gradés » du tabour ce qui me permet de voir les autres tabours des environs, et d’avoir d’autres éléments d’informations que je partage avec le groupe de volontaires ‘étrangers ». Nous avons appris que lors de retour de mission sur Sédade, nous avons eu deux victimes supplémentaires au sein du bataillon. Les gars ont sauté avec leur véhicule sur une mine dans la région Heseke.
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Les cadres (2ème partie)
Pour la première partie, lisez la chronique n°5
Le but des cadres est de construire une société saine. Le principe de base est la Liberté et l’Egalité concept phare de tout élément de la constitution. Pour cela les cadres utilisent un vocabulaire qui fait référence à la nature (l’écologie à deux sens par exemple celui que chaque biotope est typique de son environnement donc chaque région doit être respectée dans ses particularités tels la langue, la culture). Ce concept s’oppose au système capitaliste qui est plus orienté vers une globalisation générale des ressources et de l’être humain. Le capitalisme par ses effets pervers ne peut pas mettre en valeur l’héritage ancestrale des communautés et surtout des plus petites.
Le mouvement kurde a une philosophie qui tend vers un mixe entre le socialisme et la démocratie qui n’est pas de la sociale démocratie comme nous connaissons dans un système politique aux tendances libérales et ultra libérales. Ce n’est que par la démocratie que cette philosophie socialisme et démocratie peut trouver son avènement pour arriver à la liberté. Il n’y a pas de démocratie sans liberté et vice versa. De même dans le terme démocratie il faut entendre l’égalité entre chaque être humain et communauté quels que soient sa religion, son sexe ou la couleur de sa peau.
La liberté sans égalité comme nous connaissons dans notre système amène à un individualisme narcissique. L’égalité sans la liberté détruit les valeurs humaines.
L’idée du libéralisme devait amener à une responsabilité individuelle mais ce concept à engendré une société d’individus irresponsables. Ceci par le biais de constitution, textes de lois toujours fondés sur les libertés individuelles mais accaparées par les systèmes politiques afin de retirer la substance même de responsabilités individuelle pour le collectif. Ceci amène à l’atomisation de la société. Cette situation représente des dangers tels la perte des valeurs d’identité, de communauté. L’individu étant ainsi isolé, il peut être facilement maniable et manipulé.
L’héritage humain, son histoire sociétale depuis sa genèse et à travers les siècles depuis les premières civilisations doit être prise en compte. C’est ainsi à travers son étude, ses concepts, ses travers que l’on pourra tendre sur un système de socialisme et de démocratie.
L’amour du genre humain est d’une importance capitale dans la philosophie kurde tant dans le sens d’avoir une attitude civilisée vis-à-vis de tous que pour éviter le piège de devenir eux aussi l’oppresseur des plus faibles et opprimés. L’espoir du Rojava est que la naissance de leur propre philosophie politique même si elle se fait dans la douleur dans un contexte de guerre et de sang amènera à terme à une société saine et heureuse qui pourra être un modèle dans le temps pour les autres communautés à travers le monde. Cet enfant de démocratie en gestation est de la responsabilité de toutes les puissances et institutions mondiale afin qu’il puisse véritablement naître, grandir et procréer.
C.C.
Nous avons quitté notre camp sur la ligne de front. En pleine nuit et dans le stress, un camion est arrivé avec l’ordre de charger le matériel et de quitter le camp dans les plus brefs délais. En moins d’une heure nous avons paqueté nos sacs et plié le matériel du camp. Le stress nous aura valu un blessé (le générateur lui à écrasé le pied). Nous sommes arrivés de nuit dans un village pour prendre position. Après avoir choisi une maison pour notre camp et après l’avoir nettoyée nous avons pu entamer les tours de garde et aller dormir. Le lendemain nos camarades kurdes ont passé la journée en réunion pour discuter des nouvelles fonctions et des informations reçus du commandement. Nous (les étrangers (non-cadros) en avons profité pour visiter le village à l’abandon.
Le village a été tenu par Daech, les douilles parsèment le sol, ci et la on peut voir des traces de combat. On a trouvé différents types de matériaux appartenant aux miliciens de Daech, tel que des brochures concernant les punitions pour les relations sexuelles hors mariage ou encore sur les règles à suivre lors des prières. J’en ai récupéré quelques unes et je compte les offrir à mon retour, peut-être aux camarades de l’infokiosque… Le lendemain nos camarades ont continué les cycles de discussion et sont partis pour la base de notre “bataillon” qui se trouve à quelques kilomètres plus loin. Nous sommes restés en poste au village en attendant leurs retours. Quelques heures après leur départ, des dizaines de camions ont commencé a investir le village. Des villageois et des hommes en armes (dont quelques enfants) ont commencé a débarquer du matériel. Au début nous avons un peu paniqué a la vue des miliciens, nous avons pris nos positions de combat et étions prêt a ouvrir le feu en cas de menace sur notre campement. Puis un commandant du YPG est apparu. Il est venu accompagné du cmdt de la milice (qui s’est révélé appartenir a la FSA) et nous a expliqué que le village est un village arabe et que le YPG en coordination avec la FSA organise la réaffectation des populations déplacées. Notre unité n’était juste pas au courant mais cette opération avait été planifiée de longue date en accords avec les villageois la FSA et les YPG. Nous avons donc baissé la garde et préparé nos affaires pour repartir un peu plus loin. Notre “domicile” actuel se situe à proximité d’une petite ville carrefour dans le canton de Qamislo. Nous occupons un petit village abandonné. Selon nos camarades ce village a soutenu Daech, et ses habitants ne reviendront pas. Depuis notre arrivée il y a quelques jours les unités de notre bataillon se rassemblent. De retour de l’opération sur Shédade nous comptons les pertes et pansons les plaies. Hier encore deux camarades sont tombés Sheid (martyr) en sautant sur une mine IED avec leur véhicule blindé, alors qu’ils rentraient du front.
D.I.