Alors que le gou­verne­ment turc AKP fait annon­cer qu’il con­naît les « coupables », après l’at­ten­tat d’hi­er à Ankara, faisant en sorte de tourn­er les regards vers le PKK en présen­tant des bribes d’i­den­ti­fi­ca­tion, la con­fu­sion reste pour­tant totale. Réactions…

On ne peut atten­dre d’une immense majorité de la presse aux ordres ou sous tutelle, qu’elle éclaire les choses, même à la lueur de l’am­poule du par­ti d’Erdogan.

Les forces de répres­sion elles, ont déjà désigné les cibles, et ne s’embarrassent pas de « con­doléances ». De nou­veaux meurtres ont eu lieu à Sur, où des blessés et des civils ont été exé­cutés, tan­dis que les sièges annon­cés se met­tent en place, prop­ices à de nou­veaux Cizre.

Les forces aéri­ennes ont bom­bardés les posi­tions du PKK en Irak, avec onze sor­ties d’avions, chose que la Turquie n’a jamais faite con­tre Daech.

Aucun recul dans l’escalade vers la guerre.

Qu’une par­tie de la pop­u­la­tion turque, dans ses con­di­tions, s’in­ter­roge sur la suite, et n’ad­hère pas aux dis­cours sur « l’u­nité de la nation », « la fer­meté con­tre le ter­ror­isme » est un signe que tout le Peu­ple turc n’est pas en trans­es der­rière le leader Erdo­gan. Que les mêmes, même dans la peur et la colère mêlées sem­blent exprimer là bas une réflex­ion ana­logue à « vos guer­res, nos morts » est plutôt rassurant.

Mais ces réac­tions là ne se dif­fusent que sur les réseaux soci­aux, forte­ment muselés depuis hier, et dans le bouche à oreille, voire sur le web, lui aus­si par­fois bouclé en accès turc.

Une inter­ro­ga­tion se fait jour : « quel est cet Etat qui dit nous pro­téger et qui fait la guerre et divise le Pays au nom de son unité ». La for­mu­la­tion n’en est pas aus­si poli­tique, mais elle est présente dans les réac­tions qui se font jour.

Dans ces con­di­tions, la prise de parole du par­ti de gauche démoc­ra­tique d’op­po­si­tion, leur fait écho, plus que celle, inaudi­ble, du cen­tre mou des con­doléances, le CHP kémaliste.

Mais cette prise de posi­tion tranchée, dans la droite ligne des dernières déc­la­ra­tion de Sela­hat­tin Demir­taş, mar­que aus­si un pas de plus vers le refus net d’une stratégie de guerre qui pour­rait ten­ter une par­tie du mou­ve­ment kurde. Ce n’est pas nou­veau, mais dans le cadre des nou­velles offen­sives en cours des mer­ce­naires turcs, pour­rait bien se trou­ver en porte à faux avec la néces­saire auto défense kurde, et encore davan­tage avec des frac­tions plus radicales.

Cet atten­tat, on le voit, porte en lui à la fois une con­tes­ta­tion pos­si­ble du gou­verne­ment sur la « sécu­rité non assurée », mais à l’in­verse con­forte le mes­sage « anti ter­ror­iste », et peut le diriger con­tre le PKK bouc émis­saire, et au delà con­tre les pop­u­la­tions déjà meur­tries du Kur­dis­tan nord.


Dans une con­férence de presse Sela­hat­tin Demir­taş, Co-Prési­dent du HDP a donc fait des déc­la­ra­tions con­cer­nant l’attentat à Ankara.

Avant tout ; il s’agit un attaque ter­ror­iste qui cible directe­ment les civils. Je voudrais exprimer encore une fois claire­ment, au nom de mon par­ti, moi même et mes cama­rades que nous la condamnons.

En se ques­tion­nant, pourquoi même dans la douleur n’arrivons nous pas à nous unir ? Le gou­verne­ment devrait pri­or­i­taire­ment se regarder dans la glace. Ceux qui diri­gent le pays depuis qua­torze ans devraient se ques­tion­ner avant tout eux mêmes, en se deman­dant quelles gen­res de poli­tiques nous avons menées pour met­tre la société dans cet état ? Oui, des mas­sacres, des attaques, des morts dure­ment ressen­ties, et la seule chose que le gou­verne­ment fait, c’est de con­damn­er. Et ils ne font rien d’autre que d’inviter tout le monde à se réu­nir sur la ligne de l’AKP, la ligne du gou­verne­ment. comme s’ils n’ont aucune respon­s­abil­ité poli­tique, comme s’ils ne diri­gaient pas le pays eux mêmes, comme s’ils n’é­taient pas au pou­voir. Ils n’ont aucune respon­s­abil­ité sur ce qui se passe, la cuil­lère blanche qui sort du lait [expres­sion équiv­a­lent de blanche colombe] c’est eux, et le reste est coupable. Nous n’acceptons absol­u­ment pas ce genre de comportement.

Le gou­verne­ment ne peut pas être cri­tiqué dans de tels cas [ils dis­ent]. Qu’allons nous faire ? Allons nous remerci­er le gou­verne­ment ? Les féliciter ? Devons-nous dire, dans la cap­i­tale du pays, trois grandes attaques ont été faites en cinq mois, nous félici­tons l’AKP pour cela ? Que devons-nous dire ?

Le gou­verne­ment qui fait ce qu’il veut depuis 14 ans, et qui dit qu’il aura des solu­tions, à l’intérieur et à l’extérieur [du pays], seule­ment avec des poli­tiques de guerre et d’intimidation, des poli­tiques de vio­lence, n’est-il pas du tout respon­s­able ? Depuis 5 mois, la cap­i­tale du pays n’a pas de Directeur de sécu­rité. Qui va l’affecter ? Devri­ons nous l’affecter peut être en tant que HDP ? Si c’est nous qui sommes respon­s­ables ? Ce genre de choses, sont-elles possibles ?

Dans tous les coins du pays, le sang coule, des vies sont per­dues partout, les Messieurs n’ont même pas une inten­tion de ren­dre des comptes au Peu­ple. Pour tout ce qui se passe, ils deman­dent des comptes, encore. Ils dis­ent encore « tu vas don­ner des comptes », « ils vont don­ner des comptes ». Pour une fois, don­nez des comptes, vous, pour l’amour de dieu… Pour une fois, pour une chose néga­tive vécue dans ce pays, don­nez des comptes, vous mêmes. Faites nous la sur­prise ! Ca suf­fit main­tenant. Vous racon­tez tout ce qui est posi­tif matin et soir, on a fait des routes, on a fait ceci, cela, vous vous van­tez. Il arrive une chose néga­tive dans le Pays, vous ne pou­vez pas mon­tr­er la ver­tu de deman­der des excus­es et de dire, nous, c’est notre respon­s­abil­ité nous n’avons pas pu pren­dre les pré­cau­tions nécessaires.

(Nous sommes désolés, la video est sup­primée par son propriétaire). 

Pour illustrer certains aspects de ces réactions, voici un récapitulatif de la situation :

A Ankara dans les 5 derniers mois 3 attaques à la bombe. Le 10 Octo­bre 2015, lors du meet­ing pour la paix 107 civils sont morts. Le 17 févri­er lors de l’explosion ciblant un véhicule de trans­fert mil­i­taire 29 per­son­nes, majori­taire­ment mil­i­taires ont péri. Le 13 mars, 37 civils qui se trou­vaient par hasard à Kızılay, sont tués.

Le 12 jan­vi­er, à Istan­bul, dans le quarti­er touris­tique de Sul­tanah­met, 13 touristes alle­mands ont été tués.

Ajou­tons dans la liste, le bilan prin­ci­pal des opéra­tions menées dans les villes kur­des, sous pré­texte de « lutte con­tre le ter­ror­isme ». Selon le rap­port du HDP, datant du 8 févri­er : 460 per­son­nes ont été tuées, dont 79 femmes et 84 enfants.

Selon le rap­port du TIHV (La Fon­da­tion des Droits Humains de Turquie) et IHD (Asso­ci­a­tion des Droits Humains) datant du 3 mars, le nom­bre de morts seule­ment à Cizre, c’est plus de 178.

Au total, lors des cou­vre-feu et sièges, le nom­bre de mort dépasse prob­a­ble­ment les 600, du fait de cet état de guerre.

Il ne faudrait pas oubli­er, les policiers, les mil­i­taires, les sol­dats « appelés », tués dans la région, en ser­vice com­mandés du gou­verne­ment. Seule­ment entre le 7 juil­let et le 22 décem­bre : le nom­bre était de 236. Dans les mois qui ont suivi, com­bi­en encore sont morts ?

Les poli­tiques de guerre du pou­voir AKP et d’Erdogan ont donc coûté la vie, toutes vic­times con­fon­dues, à plus de 1000 per­son­nes en une huitaine de mois, tuées par balles, bombes, mines, brûlés, exé­cutés… Et cela sans la moin­dre déc­la­ra­tion de guerre offi­cielle, mais pour “le grand net­toy­age”, comme annon­cé par des officiels.

Les enquêtes sont là pour la forme. Les cen­sures sur infor­ma­tions sont mon­naie courante. Le gou­verne­ment se moque bien du PKK ou de Daech, car plus les bombes explosent, plus Qandil est bom­bardé et plus les villes déclarées « coupables » sont détru­ites. Sans compter l’u­til­i­sa­tion politi­ci­enne qui en est faite, pour la marche au Sultanat…

Erdo­gan ras­sure : « que le peu­ple ne s’inquiète pas », Abdülka­dir Selvi, auteur du jour­nal pro-AKP, Yeni Şafak prévient : « mal­heureuse­ment il va fal­loir s’habituer à vivre avec le ter­ror­isme ». Ceux qui ont un peu de courage dis­ent « la Paix à tout prix ». Le Pre­mier Min­istre Davu­to­glu et le Min­istre de l’In­térieur Efkan Ala déclar­ent que les opéra­tions con­tin­ueront dans les villes kur­des, en soulig­nant leur “déter­mi­na­tion pour con­tin­uer la lutte con­tre le terrorisme”.

S’il ressor­tait de tout ce chaos une voix pop­u­laire de con­damna­tion de cette poli­tique d’in­sécu­rité per­ma­nente, de la divi­sion qu’elle engen­dre, et pour la Paix, nous auri­ons encore quelques raisons de garder un peu d’op­ti­misme pour les mois à venir…

Dans un pays à nou­veau tétanisé, au Kur­dis­tan nord, c’est le ter­ror­isme d’E­tat qui se pour­suit quotidiennement…


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