Voilà donc des résultats qui devraient refléter l’état d’esprit politique en Turquie ce 1er novembre.
Du moins c’est ce qu’en disent les chaînes de TV et la presse.
Au cas où, on peut rappeler que les chaînes turques viennent quasi toutes de tomber dans l’escarcelle d’Erdogan, et que la presse écrite dépend de la fameuse commission électorale, qui a été injoignable une bonne partie de la soirée.
Les intimidations et fraudes n’ont pas manqué non plus.
Mais malgré tout cela, et parce qu’il n’y avait pas de miracle électoral à attendre, nous pouvons peut être regarder cette photo floue pour ce qu’elle est, après un petit rappel.
Résultats de juin, avec 86,43% de participation
AKP 18 343 747 40,66% 258 sièges
CHP 11 338 681 25,13% 132 sièges
MHP 7 423 555 16,45% 80 sièges
HDP 5 847 134 12,96% 80 sièges
Et les approximations des médias d’aujourd’hui
AKP autour de 23,5 millions de voix, 49,48 % et 317 sièges
CHP autour de 12 millions de voix 25,31 % et 134 sièges
MHP autour de 5,7 millions de voix 11,9% et 40 sièges
HDP autour de 5,1 million de voix 10,75 % et 59 sièges
Ces chiffres à la louche sont à cette heure peu vérifiables, même si le nombre de sièges ne devrait pas varier.
Faut-il se catastropher d’un tel résultat après 5 mois de guerre contre les civils, les conditions de vote que l’on connaît, la pression d’un vote utile « pour la paix » de la part des libéraux laïques, doublé pour leur direction d’une méfiance bien kémaliste anti kurde ?
Le mouvement de société civile « pour la Paix » qui a payé un lourd tribu humain lors du massacre d’Ankara n’a pas cédé au chantage et se retrouve dans la photographie électorale.
Ce qui est remarquable, et à mettre au profit d’Erdogan, c’est la façon dont il a siphonné les voix des électeurs traditionnellement ultra nationalistes. Sa stratégie de tension à cet égard, jusqu’aux derniers bombardements du Rojava, a payé. Quasi la moitié des sièges tombent dans l’escarcelle AKP, affaiblissant considérablement ce pouvoir éventuel de nuisance envers le futur gouvernement, même provisoire peut être encore. On se posera du coup la question d’une possibilité d’alliance gouvernementale dans ces conditions entre l’AKP et les restes, même si l’on sait que les dirigeants AKP y rechignaient hier encore . Ils ont les moyens de former quasi à eux seuls un gouvernement, et une majorité suffisante au Parlement.
Et là, on est bien forcé de constater que ces élections marquent un durcissement supplémentaire, même si, une fois de plus, les fameuses 400 voix ne sont pas sous le foulard bigot. Les projets “présidentialistes” constitutionnels seront donc compliqués à mettre en œuvre.(référendum ?) Et du coup, le pire est possible.
Le « vote utile », sorte de Charlie turc, pour le CHP kémaliste, a dévié dans l’urne une petite partie des mobilisations et a considérablement diminué le nombre d’élus HDP, même si la diminution en voix n’est pas considérable. La démocratie institutionnalisée à ses secrets. Le fait est que le HDP perd à cette heure 21 représentants, alors que le CHP n’en gagne que 2. Le calcul vote utile se tire une balle dans le pied.
Quel va être demain, après les libations d’ayran chez les membres de l’AKP ?
Probablement des contestations multiples, mais qui ne changeront rien à la marge.
La question posée du départ d’Erdogan reste entière, comme en juin, même si la société turque est divisée plus que jamais en trois parts inégales, avec près d’une moitié prête à l’aventure autoritaire déjà bien engagée.
Gageons que chez les Hollande, Juncker et Merkel, le grand « Ouf » fut prononcé.
Lire dans l’ampoule, ce soir à 22h00 ne serait pas très sérieux.
Mais céder à la lassitude et tirer sur une opposition démocratique qui aurait misé sur l’élection n’est pas admissible non plus.
Le mouvement de société civile en marche, lui, ne va pas céder à la démoralisation. Au Kurdistan turc, les forces sont toujours là.
Ce qu’il faut craindre, c’est que l’effet de trompe l’oeil de ces résultats ne décide Erdogan à aller plus loin encore, soutenu de l’extérieur, et encouragé par les appels de rue très “allahou akbar” qu’on entend d’ici.
Plus que jamais donc, l’heure n’est pas aux états d’âme et aux divisions de chapelles à partir de résultats électoraux qui de toutes les façons n’auraient rien changé, avec quelques % de plus. On aurait seulement évité le retour des sceptiques et des y avait qu’à.
Maintenant une question se pose également. Quelle sera l’attitude des populations à l’Est, et notamment des jeunes, si l’AKP relance l’armée à l’offensive ? Jusqu’où la trêve décidée unilatéralement par le PKK trouvera-t-elle une raison d’être ? Voilà d’autres vraies questions.
Alors, demain pourrait être plus beau qu’hier, si tout le monde restait à le vouloir ensemble. Cinq millions, dans de telles conditions, c’est un encouragement à la lutte.
Infos françaises