Reporter photographe Fatih Pınar a publié le 14 octobre des photos de Sur commune de Diyarbakır, où il s’est rendu après la levée du couvre feu. Nous partageons son reportage.
Six quartiers de Sur étaient sous couvre feu, depuis le 10 octobre, selon la préfecture, “afin d’assainir les rues de la commune”. Le dispositif a été levé progressivement, pour trois quartiers le 12 octobre et pour les trois derniers hier 13 octobre. Pendant ces quelques jours, des opérations de forces spéciales et commandos, appuyées par des hélicoptères et des snipers ont été effectuées.
On peut mesurer l’ampleur des dégâts sur des habitations et commerces… La Mosquée de Kurşunlu a aussi reçu sa part. Cet édifice est l’oeuvre de Mimar Sinan, architecte et ingénieur ottoman, grand bâtisseur, qui vécu entre 1489–1588.
Au troisième jour du couvre feu, une petite fille de 12 ans, Helin Hasret Şen, a été tuée d’ une balle dans la la tête. Helin allait acheter du pain.
La Préfecture déclarait “l’incident” par un communiqué, annonçant que l’enfant blessée par une balle lors des affrontements, transférée à l’hôpital n’a pas pu être sauvée malgré les efforts, et soulignait que les habitants devaient respecter le couvre feu.
Quant au père de Helin, il répondait aux journalistes de la BBC-turc, « Ils mentent. Ce n’est absolument pas vrai. Ils n’ont pas emmené mon enfant à l’hôpital. Elle est restée là et elle est morte. L’ambulance l’a transportée à l’hôpital deux heures plus tard. Je vais porter plainte. »
Désolés le compte du journaliste Fatih Pinar a été fermé et les videos présentes sur cette page, sont disparues depuis notre article… Mais La version complète du documentaire (en turc- sous titrée en anglais) » video
La maman de Helin :
« Dites ça au monde, que tout le monde le sache. Il n’y avait personne. Il n’y avait pas d’affrontements. Ils étaient entrés dans les quartiers, il tiraient au hasard… au hasard. Ma fille avait tout juste 12 ans, elle venait de se réveiller. Ma fille portait encore son survêtement. Ma fille portait son survêtement et son t‑shirt blanc, ma fille… »
La voisine de la famille de Helin :
« Je n’ai pas pu avaler une bouchée. Je n’ai pas pu poser ma tête sur l’oreiller ma soeur. Pourquoi ? Parce que je voyais Helin. Je tourne ma tête à droite, à gauche, je ferme mes yeux, je les ouvre, je vois Helin. Pas de sommeil.
Avec ce qu’on vit, surtout depuis ces quatre jours, on n’a pas droit au sommeil. Non… Les enfants, quelle est leur faute ? Nous sommes des musulmans. Le dieu donne la vie, c’est à lui de la prendre. Nous sommes révoltés. Nous voulons la paix. Je répète, quelle était la faute de notre Helin ? Quelle faute peut commettre une fille qui vient tout juste d’entamer ses 13 ans, ma soeur ?
Je tremble là. Je n’arrive même pas parler. Faut-il voir [mourir] sa propre petit soeur ? Helin n’est pas différente de ma soeur. J’ai attendu pendant une heure avec elle, avec son cadavre. J’ai levé sa tête, prise dans mes bras. J’ai eu du sang sur ma main. J’étais sous le choc. Quand ils sont venus, l’ont emmenée avec l’ambulance, j’étais sous le choc. Je regardais ma main comme ça. J’étais comme folle moi, comme une folle. Ma mère me disait, ma fille reviens à toi, mange quelque chose. Comment veux tu que je mange si l’image de Helin ne me quitte pas. Quelle faute elle a commis ? Ca suffit maintenant. Ca suffit… ça suffit… ça suffit.
Nous voulons que notre voix aille au monde, qu’elle soit entendue en Turquie. Qu’ils nous entendent. Nous ne voulons pas vivre des choses comme ça. Nous ne voulons pas la mort. Nous voulons la paix. La paix… la paix… pour l’amour du Dieu, la paix… pour l’amour du prophète la paix. Et ceux qui font tout ça… je ne les maudis pas, que le Dieu leur donne la foi dans leur coeur. Ca suffit ma soeur, ça suffit. »
La jeune fille :
« Regardez le plafond… »
Le commerçant :
« … nous sommes confiés à qui, on ne sait pas. Nous n’avons pas confiance pour confier nos enfants à l’Etat. Depuis deux, trois jours….
Mon armoire à coca [frigo boisson] était remplie. Ils ont utilisé le lieu comme chez eux. Ils ont tout bu. Des cocas, de l’eau gazeuse. Un être humain peut les boire, bon appétit, mais un être humain ne fait pas des cruautés comme ça. [il montre le plafond]. Moi j’ai monté ça, c’est pour apporter du pain à mes enfants, ma famille en hiver. Je veux dire, quel est le but ? Qu’est-ce qu’il essayent de faire ? Pourquoi ils nous oppriment comme ça ?
Vous voyez l’état. On va faire encore des dettes, des emprunts tout seuls, pour apporter à manger à la maison.
Je suis quand même reconnaissant mais l’Etat n’est pas ça, la justice n’est pas ça, l’humanité n’est pas ça. Ca c’est du scélérat.
Il ne nous considèrent pas comme des êtres humains…
[à l’extérieur]
Ils ont tué une gamine innocente en allant au four [à pain]. C’était la fille d’un ami. Un homme, sorti pour donner des grains à ses oiseaux… ils l’ont exécuté sans jugement. Il avait des enfants. »
Nous ne pouvons que relayer ces témoignages, déjà partagés sur les réseaux sociaux, afin que le mur du silence volontairement entretenu autour de ces opérations quotidiennes des forces de répression se fissure et qu’enfin ces crimes de guerre soient étalés au grand jour. Voici notre petite part, en souhaitant que ces reportages soient diffusés plus largement. Où est donc l’ “observatrice” internationale d’Amnesty prompte au Rojava à faire des rapports de 32 pages sur des “déplacements forcés de populations” des zones de front pour dénoncer ce qu’elle qualifie de “crimes” kurdes ? Personne ne lui a donc commandé de rapport sur l’Est de la Turquie ? Pourtant les témoins cette fois ne manqueraient pas…
La sale guerre continue, sur fond d’arrestations incessantes, de brimades et de coups à l’encontre d’élus locaux tentant de s’interposer pour la protection des populations civiles. Au moins 44 qui ont été pris par les forces de répression au cours des 72 dernières heures dans quatre villes: Erzurum, Mus, Van et Urfa. Les interrogations continuent aussi sur le type de forces militaires ou de supplétifs qui perpétuent ces crimes.Leurs méthodes sont telles que les populations qui les subissent se questionnent sur les individus qui se cachent dans les blindés ou sur les toits pour commettre leurs crimes. La mise en lumière du retour en force de ce qu’en Turquie on appelle “l’Etat profond”, autour de l’attentat d’Ankara, renforce ces questionnements.
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