De nom­breuses déc­la­ra­tions ont été faites ces derniers jours par des mem­bres des « autorités » turques, en direc­tion des Etats Unis et de la Russie. Tout cela autour de l’aide au Rojava.

Si Kedis­tan s’est tou­jours claire­ment exprimé sur ce que nous pen­sons des appétits impéri­al­istes dans la région, cela n’empêche nulle­ment de revenir les pieds sur terre pour con­stater qu’un Peu­ple sans armes ni aides logis­tiques dans cette guerre est voué aux mas­sacres et à l’ex­ode. Il n’est qu’à voir le cal­vaire des Yézidis pour en avoir la mesure.

Par ailleurs, le Roja­va est une com­mu­nauté pop­u­laire qui se con­stru­it et se ren­force mal­gré la guerre et est un exem­ple pour l’avenir d’un Moyen Ori­ent sor­ti de ses ex fron­tières colo­niales héritées du siè­cle dernier.

C’est juste­ment ce que veut éviter le gou­verne­ment Erdo­gan, qui lui, a des appétits à ses fron­tières, et fait aus­si de la pho­bie d’un Kur­dis­tan autonome son cheval de bataille. L’u­nité avec les ultra nation­al­istes , néces­saire pour Erdo­gan aujour­d’hui, passe par le ren­force­ment de la guerre et de l’op­po­si­tion envers les Kur­des, qu’ils soient de l’in­térieur ou de l’extérieur.

C’est pourquoi son admin­is­tra­tion dis­tribue des « mis­es en garde » con­tre les livraisons d’armes aux com­bat­tants du YPG et au Roja­va  et affirme que l’ar­mée turque y met­tra bon ordre en inter­venant si néces­saire pour les détru­ire, rien que ça.

Le PYD s’est dernière­ment rap­proché à la fois des Etats-Unis et de la Russie. Nous con­sid­érons le PYD comme une organ­i­sa­tion ter­ror­iste et nous voulons que tous les pays réfléchissent aux con­séquences de leur coopéra­tion”, a déclaré un autre haut fonc­tion­naire turc.
“Le PYD tente de s’emparer d’un secteur situé entre Jarablous et Azaz pour pro­gress­er vers l’ouest en direc­tion de l’E­uphrate. Nous ne l’ac­cepteront jamais”, a‑t-il pour­suivi, ajoutant que Wash­ing­ton, Moscou et l’U­nion européenne en avaient été informés.

Ain­si le gou­verne­ment turc s’op­pose à la reprise mil­i­taire de secteurs aujour­d’hui occupés par Daech, et cibles de bom­barde­ments aériens, pour ne pas « don­ner des idées » aux « pop­u­la­tions kur­des de l’in­térieur ». On se sou­vient très bien déjà de l’at­ti­tude de l’ar­mée turque, durant les com­bats pour Kobane con­tre Daesh.

Ces raison­nements et déc­la­ra­tions en dis­ent long sur le soit dis­ant engage­ment con­tre Daech de juil­let dernier et la réal­ité de la demande d’étab­lisse­ment de zone tam­pon.
Elles ren­dent compte aus­si de la con­fu­sion entre les intérêts stratégiques réels et les préoc­cu­pa­tions immé­di­ates élec­torales de l’in­térieur. Et c’est cette poli­tique là que con­tin­ue à soutenir le gou­verne­ment français, en même temps que  le ren­force­ment des alliances diplo­ma­tiques avec les Pays du Golfe. Ces soucis géo stratégiques sont en con­tra­dic­tion com­plète avec la volon­té des Peu­ples, et la réal­ité de ter­rain de la lutte con­tre Daech, pos­si­ble face aux men­aces militaires.

Celui qui y retrou­ve ses petits a gagné.

carte-rojava

On ne s’é­ton­nera pas dans ces cir­con­stances de la paru­tion d’un rap­port d’une “super­viseuse” d’Amnesty Inter­na­tion­al, de plus de 30 pages, dénonçant avec force les “crimes de guerre” com­mis par les YPG dans les zones “qu’elle con­trô­lent”. Ce rap­port fait état de déplace­ments for­cés de pop­u­la­tions et de “destruc­tions” d’habi­ta­tions sur les zones de front et sur d’autres “plus en retrait”. Il recueille égale­ment des témoignages de pop­u­la­tions “arabes” faisant état de “men­aces” si elles ne quit­taient pas les lieux.… Ce rap­port, abon­dam­ment dif­fusé ces jours derniers, et en pre­mier lieu par la presse AKP et ultra nation­al­iste en Turquie, puis dans des réseaux de la secte Fetul­lah Gülene, tombe à pic, en pleine négo­ci­a­tions sur les para­chutages d’armes améri­caines. Quand on sait que leur Sénat est divisé là dessus, que les Pays du Golfe voient aus­si cela d’un mau­vais oeil, on finit par se deman­der si la branche d’Amnesty au Liban (dont est issue l’ob­ser­va­trice) n’a pas été un peu “téléguidée” dans ses inves­ti­ga­tions. Des démen­tis ont été apportés, d’une part par un respon­s­able mil­i­taire des YPG (ce qui n’est pas sur­prenant) qui apporte des pré­ci­sions sur le nom­bre exact de familles con­cernées (25) et les zones, le tout dans la vidéo qui accom­pa­gne le rap­port. Plus per­ti­nent, cette fois, est le témoignage et la let­tre d’un respon­s­able human­i­taire, Mac­er Gif­ford, en poste au Roja­va depuis 5 ans qui inter­roge les raisons pro­fondes de ce rap­port. A sa lec­ture, on se demande vrai­ment si la “super­viseuse” a  une idée de ce qu’est cette saloperie de guerre dans la région, et quelles sont ses pri­or­ités à elle.

Il y a un enjeu très impor­tant autour de l’arme­ment des com­bat­tants syriens et des brigades de volon­taires au Roja­va. Ce sont les seules de la région qui enreg­istrent de vrais résul­tat con­tre Daech. Ce sont elles qui sont à même, par une jonc­tion frontal­ière avec les com­bat­tants  kur­des irakiens, de couper Daesh de toute com­mu­ni­ca­tion physique avec la Turquie.

Au moment où les offen­sives ter­restres des troupes de Bachar, forte­ment appuyées par les bom­barde­ments russ­es con­tre l’Ar­mée Syri­enne libre et d’autres fac­tions dji­hadistes, sem­blent don­ner de bien piètres résul­tats et pour­raient à terme don­ner un pos­si­ble avan­tage à Daech, (lui per­me­t­tant d’a­vancer en lieu et place des dji­hadistes défaits), le fait qu’une armée com­bat­tante ne mange pas à tous les râte­liers des impéri­al­ismes en oeu­vre dans le coin, est déterminant.

Kobane

Et rien n’empêche non plus de con­sid­ér­er que le Roja­va a non seule­ment besoin d’arme­ment, mais aus­si de logis­tique médi­cale, de sou­tien cul­turel et édu­catif. Le champ est large, pour celles et ceux qui voudraient lancer des ini­tia­tives “human­i­taires” tout aus­si indispensables.

Les pres­sions des uns et des autres ne man­quent donc pas, pour que le Roja­va soit lais­sé seul, où qu’il se ral­lie à un camp ou un autre. Le silence français sur le sujet, depuis que l’é­tat major a fait fuiter en juil­let dans le canard enchaîné la “non pri­or­ité don­née au sou­tien logis­tique qui avait été entamé”, donne ici des raisons sup­plé­men­taires pour exiger la rup­ture du sou­tien à Erdo­gan et la recon­nais­sance des com­bat­tants du Roja­va comme force crédi­ble à soutenir.

Et je sais à l’a­vance, et c’est pour cela que j’ai choisi cette image de une, que ce bil­let peut déchaîn­er des réac­tions paci­fistes sur le thème “ne rajou­tons pas la guerre à la guerre”. J’y répond, en dis­ant que ces Peu­ples n’ont pas le choix de s’of­frir le luxe de mourir sans se défendre, et que déjà, quand les mêmes affir­ment qu’on ne peut ici “recevoir toute la mis­ère du monde” et qu’il faut “lut­ter con­tre les caus­es”, per­son­ne là bas juste­ment ne les a atten­du, et que c’est eux qui atten­dent qu’on leur en donne les moyens.

* Voir aus­si sur les mêmes ques­tions la tran­scrip­tion anglaise des déc­la­ra­tions de Sipan Hemo, du com­man­de­ment des YPG.

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…