Tan­ha sedast ke mimanad”, il n’y a que la voix qui reste… Paroles venues d’I­ran. Le 8 mars 2018 nous, amies, com­plices, col­lègues, cama­rades, kedis, nous avons partagé, comblées d’admiration, de stu­peur, de frayeur, la vidéo de 3 jeunes femmes, vis­ages dévoilés, larges sourires imbat­ta­bles en guise de boucli­er, en train de chanter un hymne fémin­iste, dans un wag­on de métro de Téhéran.


Français | English

Elles bran­dis­sent dans leurs mains une pho­to en noir et blanc; celle de la toute dernière image, prise le 8 mars 1979, de femmes marchant tête nue dans les rues de Téhéran (image à la Une), man­i­fes­tant con­tre la loi du hijab de 1979, loi pronon­cée dès le retour de son exil doré par l’hôte priv­ilégié de Neauphle-le-Château, pro­tégé et coucouné par le gou­verne­ment français (silence immonde), celui que la grandiose Fal­laci (bien avant son cré­pus­cule déli­rant post 11‑S) avait décrit en ces ter­mes: “il était intel­li­gent, le plus beau vieil­lard que j’aie jamais ren­con­tré dans ma vie… Il ressem­blait au “Moïse” sculp­té par Michel-Ange… Mal­gré son apparence tran­quille, il représen­tait un Robe­spierre ou un Lénine, quelqu’un qu’irait très loin et qui empoi­son­nerait le monde… Les gens l’aimaient trop. Ils voy­aient en lui un autre Prophète. Pire : un Dieu… Quel dom­mage que, lorsqu’elle était enceinte de lui, sa mère n’ait pas choisi d’a­vorter”.

La chan­son, nous l’apprendrons plus tard, a pour titre “Une femme”.

Je bourgeonne dans les blessures de mon corps,
Blessures que j’ai parce que,
Je suis une femme, une femme, une femme
Parlons d’une voix
Marchons ensemble côte à côte
En avançant main dans la main
Afin de nous libérer de l’injustice
Construisons un autre monde
Dans l’égalité
Et des valeurs de sororité
Un monde heureux et meilleur
Sans pierre pour lapider
Sans bâton de pendaison
Sans pleurs infinis
Sans honte et humiliation
Construisons un autre monde
D’égalité
Avec des valeurs de sororité
Un monde heureux et meilleur

Deux longues années se sont écoulées depuis… Le monde som­bre à grande vitesse dans le marasme. Par ci, par là nous parvi­en­nent par­fois des lueurs de petits archipels de révolte, de bâtis­seurs d’utopies, de sec­ouss­es qui nous arrachent de force à notre détache­ment, nos huit clos frous­sards, notre enfer­me­ment canaille, flem­mard, lâche. Dans des con­trées dis­tantes mais si proches pour­tant de nos cœurs et de nos rêves, éclosent par­fois des étin­celles de rébellion.

Depuis 1979 les femmes suc­combent dans les pris­ons d’Iran : Kur­des, Per­sanes, Bahaïs, Baloutch­es, Zoroas­triens, Ahwazies, Turk­mènes… “instru­ites à la sec­ousse élec­trique“1, vio­lées, aspergées de vit­ri­ol, bafouées, fou­et­tées, tor­turées, lapidées, brulées, pendues…

105 d’entre elles ont été exé­cutées sous la prési­dence de Rohani (le pro­gres­siste). Elles meurent sans relâche, dans l’indifférence, dans une extrême soli­tude. Les sous-sols de Téhéran, de Chi­raz, de Mash­had, d’Hamedan, d’Ispahan, sont un effrayant dépo­toir de détri­tus et de sang. “Il fait noir dans cette prison, vrai­ment noir… Ici l’obscurité est pro­fonde… le sang éclabousse le sol du couloir… Nous mourons toutes dans cette obscu­rité…“2. Mais cela fait 41 ans que, sous les coups de matraques, elles con­tin­u­ent à se bat­tre, à lut­ter con­tre le dik­tat des théocrates.

Leurs reven­di­ca­tions n’ont pas changé depuis les man­i­fes­ta­tions mas­sives du temps de la révo­lu­tion islamique. Elles récla­ment tou­jours les droits civils, soci­aux, économiques égaux à ceux des hommes. Et surtout elles refusent de porter le voile, ce chif­fon moyenâgeux qui les a réduites au som­meil des morts. (Voici un petit rap­pel de la sit­u­a­tion des irani­ennes depuis l’instauration de la République Islamique). Depuis la rue Enghe­lab, celle qui fût scène des grandes man­i­fes­ta­tions con­tre le régime du guide suprême, elles nous offrent, postées sur des bancs, sur des plate­formes, tout en haut des poteaux élec­triques, le vis­age de la résilience.

Récem­ment nous avons retrou­vé la trace d’une des par­ti­sanes du métro : il s’agît de Yasamin Ari­ani de 24 ans. Elle vient d’être con­damné en même temps que sa mère Monireh Arab­shahi et de Moj­gan Keshavarz à une peine totale de 55 ans de réclu­sion car, vis­ages lumineux, cheveux décou­verts, elles avaient dis­tribué des fleurs dans le métro de Téhéran3. Le juge qui a décrété les peines s’appelle Mohamed Moghireh. Il est tris­te­ment célèbre suite à une autre sanc­tion, celle qui a cat­a­pulté les jours de l’avocate et mil­i­tante en faveur des droits humains Nas­rin Sotoudeh, vers une con­damna­tion de 38 ans de prison et 148 coups de fouet.

Le 19 sep­tem­bre dernier, le Par­lement Européen a voté une réso­lu­tion en faveur des femmes en Iran réprou­vant la vio­la­tion de leurs droits. Mal­heureuse­ment nous toutes savons que le sort et les souf­frances des pris­on­nières poli­tiques irani­ennes ne seront jamais soulagés par une quel­conque démarche des instances inter­na­tionales. Les femmes con­tin­ueront à som­br­er dans les geôles irani­ennes, sou­vent accom­pa­g­nées de ces jeunes enfants, dans l’asphyxie de leur douleur, leurs cris, leur colère et leur indig­na­tion. Nous ne pou­vons pas citer ici les noms de toutes les femmes vic­times du régime, mal­heureuse­ment la liste est beau­coup trop longue. Il y a Zeineb Jalalian, Neda Naji, Narges Moham­ma­di, Ate­na Dae­mi, Gol­rokh Iraee, Sima Ente­sari, Sepi­deh Qoliyan, Parisa Seifi, Vida Mohave­di, Mari­am Jalili, Mah­vash Shari­ari Bahit, Haineh Sane Farashi, Mah­boubeh Kara­mi, Nilo­u­far Bayani, Sepi­dehKashani, Mar­jan Davari, Sareh Mih­mani, Maryam Akbari, les mem­bres du col­lec­tive fémin­iste Neday‑e Zanan…

Aujourd’hui, 21 févri­er, le peu­ple iranien est appelé aux urnes dans le cadre d’élections lég­isla­tives. Voici le com­mu­niqué rédigé par 12 pris­on­nières poli­tiques enfer­mées dans le sin­istre péni­tenci­er d’Evin à Téhéran, qui appelle au boy­cott et au rejet des dites élections.

Ils ten­tent de faire vot­er pour leur régime auto­cra­tique depuis plus de 5 ans en répé­tant le mot “élec­tions”.

Depuis le 1er jour où l’Assem­blée d’ex­perts a été for­mée à la place de l’Assem­blée con­sti­tu­ante, avec les élec­tions libres du peu­ple iranien, le droit à la sou­veraineté et à l’élec­tion du peu­ple iranien a été usurpé et volé.

L’Assem­blée con­sul­ta­tive islamique a été for­mée, avec l’élim­i­na­tion précé­dente de tous les groupes poli­tiques, à l’ex­cep­tion du cer­cle étroit des tyrans total­i­taires, et chaque année, le cer­cle est devenu plus étroit et même autode­struc­teur et anti peu­ple iranien. Elle est au ser­vice de la sou­veraineté de toute l’an­tipop­u­la­tion, c’est sa seule utilité.

 Comme le pub­lic ne veut plus jouer leur jeu. Aujour­d’hui, la tyran­nie de la “République” islamique a atteint un point où les craintes d’un boy­cott général des élec­tions gou­verne­men­tales, et les injonc­tions se suc­cè­dent, invi­tant les gens aux urnes comme si le chef du pou­voir judi­ci­aire menaçait “quiconque remet en ques­tion les élec­tion est l’en­ne­mi du sys­tème”. Mais le peu­ple iranien a énon­cé son vote réel et irréversible avec de soulève­ment sanglant de novem­bre — puis dans les rues. Dans les protes­ta­tions, les grèves, et non pas comme les réformistes le souhait­ent, dans le proces­sus d’élec­tions politiciennes.

Ce sys­tème et ses élec­tions n’ont pas de réponse pour le sang ver­sé de mil­lions de jeunes inno­cents : les mas­sacre de la décen­nie, en par­ti­c­uli­er le mas­sacre d’été, les meurtres en série qui ont duré une décen­nie, l’ef­fu­sion de sang de Khatun, Abad, Islamshahr, etc.

Des man­i­fes­tants, des atroc­ités com­mis­es à Kahrizak et des exé­cu­tions mas­sives de citoyens kur­des dans les pris­ons irani­ennes, le meurtre de man­i­fes­tants et, finale­ment, le meurtre bru­tal de mil­li­er de per­son­nes en novem­bre; mais le peu­ple iranien ne per­met pas à une seule goutte de ces sangs injuste­ment ver­sé de fleurir dans les protes­ta­tions et les flam­bées de souf­france des gens con­tre le despotisme.

L’avenir n’a jamais été et ne sera pas pour ceux qui s’y soumet­tent. Tous les défenseurs de la règle islamique sont les pio­ns des enne­mis des femmes, et sou­tiens des respon­s­ables gou­verne­men­taux, ceux qui penchent la tête et acceptent injuste­ment la con­tin­u­a­tion de cette règle et sont vicieux et viciés — qu’il s’agisse de grands experts et de ceux qui appa­rais­sent à l’Assem­blée Nationale !

C’est à nous de les laiss­er à leurs élec­tions entre eux et de rester hors champ de ces élections.

Quiconque se ren­dra aux urnes aura le sang sur les mains comme ceux qui ont ouvert le feu sur la jeunesse et sera com­plice du pou­voir et de ses crimes.

Le boy­cott et le rejet de l’élec­tion est le traité du peu­ple iranien avec ses mar­tyrs, en par­ti­c­uli­er les mar­tyrs du récent soulèvement.

Sig­nataires par ordre alphabétique :
Yasamin Ari­ani, Neda Ash­tiani, Raheleh Ahma­di, Maryam Akbari Singh, Leila Hos­sein­zadeh, Soheila Hijab, Farhan Moni­rah, Zeba Kurd Afshari, Neda Samaneh, Norouz Moradi.

Newsha Tavakolian Iran

New­sha Tavako­lian: Lis­ten: Giv­ing Voice to Iran­ian Women

Par un clin d’œil éphémère depuis le nauséabond con­fort de notre igno­rance, nous avons choisi de nous remé­mor­er toutes ces femmes-là, la mag­ni­tude de leur geste, le défi de leur regard, le ver­tig­ineux élan de leur révolte, car le dernier bas­tion, le dernier ter­ri­toire face à l’abîme, est l’aplomb de leurs voix, celles qui transper­cent les galeries ténébreuses, dans un ultime élan de dig­nité et de témérité. Car il n’y a que la voix, la voix, la voix qui reste.

Pourquoi m’arrêterais-je, pourquoi ?
Les oiseaux sont partis en quête d’une direction bleue
L’horizon est vertical
L’horizon est vertical, le mouvement une fontaine et dans les limites de la vision
Les planètes tournoient lumineuses
Dans les hauteurs la terre accède à la répétition
Et des puits d’air
Se transforment en tunnels de liaison.
Le jour est une étendue,
Qui ne peut être contenue
Dans l’imagination du ver qui ronge un journal
Pourquoi m’arrêterais-je?
Le mystère traverse les vaisseaux de la vie
L’atmosphère matricielle de la lune,
Sa qualité tuera les cellules pourries
Et dans l’espace alchimique après le lever du soleil
Seule la voix
Sera absorbée par les particules du temps
Pourquoi m’arrêterais-je ?
Que peut être le marécage, sinon le lieu de pondaison des insectes de pourriture
Les pensées de la morgue sont écrites par les cadavres gonflés
L’homme faux dans la noirceur
A dissimulé sa virilité défaillante
Et les cafards…ah
Quand les cafards parlent!
Pourquoi m’arrêterais-je ?
Tout le labeur des lettres de plomb est inutile,
Tout le labeur des lettres de plomb,
Ne sauvera pas une pensée mesquine
Je suis de la lignée des arbres
Respirer l’air stagnant m’ennuie
Un oiseau mort m’a conseillé de garder en mémoire le vol
La finalité de toutes les forces est de s’unir, de s’unir,
À l’origine du soleil
Et de se déverser dans l’esprit de la lumière
Il est naturel que les moulins à vent pourrissent
Pourquoi m’arrêterais-je ?
Je tiens l’épi vert du blé sous mon sein
La voix, la voix, seulement la voix
La voix du désir de l’eau de couler
La voix de l’écoulement de la lumière sur la féminité de la terre
La voix de la formation d’un embryon de sens
Et l’expression de la mémoire commune de l’amour
La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste
Au pays des lilliputiens,
Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro
Pourquoi m’arrêterais-je ?
J’obéis aux quatre éléments
Rédiger les lois de mon cœur,
N’est pas l’affaire du gouvernement des aveugles local
Qu’ai-je à faire avec le long hurlement de sauvagerie ?
De l’organe sexuel animal
Qu’ai-je à faire avec le frémissement des vers dans le vide de la viande ?
C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagée à vivre
La race du sang des fleurs savez-vous ?
Forugh Farrokhzâd (1935–1967)
(Traduction Mohammad Torabi & Yves Ros)

 

Nigar pour Kedis­tan


Image à la Une : Hengameh Golestan : Des femmes irani­ennes protes­tent con­tre la loi du hijab de 1979.

Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Ji kerema xwere dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.
You may use and share Kedistan’s articles and translations, specifying the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you.
Por respeto hacia la labor de las autoras y traductoras, puedes utilizar y compartir los artículos y las traducciones de Kedistan citando la fuente y añadiendo el enlace. Gracias.
Potete utilizzare e condividere gli articoli e le traduzioni di Kedistan precisando la fonte e aggiungendo un link, al fine di rispettare il lavoro di autori/autrici e traduttori/traduttrici. Grazie
KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.