Hakan Fidan directeur du MIT (Renseignement national turc, équivalent de la DGSE, KGB…) vient de démissionner pour être candidat de l’AKP, lors des prochaines élections législatives.
La Turquie vivra un moment crucial le 7 juin avec ces élections. Si l’AKP atteint la majorité des deux tiers, le gouvernement aura alors tout le pouvoir pour aller jusqu’au bout dans son projet de transformation fondamentale du pays.
Que veut Erdoğan ?
Actuellement l’AKP possède 313 sièges sur 550, ce qui lui donne une forte majorité mais en l’absence des deux tiers, ne lui permet pas d’engager des réformes constitutionnelles sans le soutien de l’opposition.
Erdoğan déclarait récemment qu’il souhaite une nouvelle Constitution après les élections législatives. « Une nouvelle Constitution basée sur la réconciliation et qui correspondra mieux à la nouvelle Turquie ». Le projet d’Erdoğan est d’amender la Constitution pour transférer plus de pouvoir à la Présidence qui en a moins que le premier ministre, et instaurer un système présidentiel à l’américaine.
La Constitution actuelle du pays date de 1980. Imposée après le coup d’état militaire, et malgré des révisions depuis sa mise en place, elle porte encore la signature de l’armée turque, longtemps garante de l’héritage laïque d’Atatürk.
La Turquie moderne ?
La situation socio-économique du pays ne s’est pas améliorée après 13 ans de gouvernement AKP :
- Un enfant sur 4 est obligé de travailler. La mortalité infantile reste très élevée: 17 pour mille.
- Les dépenses de santé sont à 10% de la moyenne européenne.
- La Turquie se place, pour les écarts entre sexes, au rang 120/136 selon le Global Gender Gap Report, du Forum économique mondial.
- Sur le plan de la liberté des médias, la Turquie est considérée comme bâillonnée, au 154ème rang selon le World Press Freedom Index de Reporters sans frontières.
- Selon l’indice du bien être de l’ONU, la Turquie est placée 69 ème avec un revenu de 10 000$/hab/an.
Erdoğan et son AKP sont arrivés au pouvoir en 2002 avec le soutien du gourou Fetullah Gülen et de son groupe “Hizmet”. Depuis, les deux camps sont devenus des ennemis et Erdoğan a tout fait pour affaiblir Gülen, jusqu’à demander un mandat d’arrêt international à son encontre.
La communauté bigote solidement installée dans les administrations, notamment dans le Juridique, a été secouée par le remaniement des juges et des procureurs, entre autres de ceux qui ont ouvert d’importants dossiers de corruption qui mettaient Erdoğan, ses ministres et ses proches en question. Le groupe média de Gülen est également victime de répressions comme le montre l’opération du 14 décémbre 2014 où plusieurs journalistes du quotidien Zaman ont été arrêtés.
Recep Tayyip Erdoğan s’accroche à son siège, veut le pouvoir absolu, et essaye donc de mettre toutes les chances de son côté en y mettant tous les moyens légaux ou non.
Dans ces conditions, le choix du candidat tête de liste l’AKP est primordial.
L’homme de la situation ?
Hakan Fidan, l’homme clé des renseignements a démissionné le 7 février 2015 pour se présenter comme de l’AKP aux prochaines élections législatives prévues en juin 2015.
Hakan Fidan était direceteur du MIT depuis 25 mai 2010. Un homme discret, bras droit d’Erdoğan, il est de tous ses secrets. Une proximité qui lui a valu le surnom de « boîte noire d’Erdoğan ».
le 10 février en répondant aux questions des journalistes dans l’avion lors de son voyage vers l’Afrique, Erdoğan avait abordé le sujet de Hakan Fidan :
Le MIT n’est pas une institution ordinaire. Nous ne mettrons jamais une personne quelconque à sa tête. Il doit être dirigé, des personnes dignes d’une extrême confiance.
En effet, j’ai mis à ce poste une personne que je peux qualifier de « ma boîte aux secrets ». Notre frère qui joue actuellement un rôle si important peut parfaitement avoir un projet pour devenir député ou planifier des fonctions au delà de celui ci. Ou bien, il est possible qu’on lui aie fait des promesses, je ne peux pas savoir cela.
Par conséquent, je ne trouve pas cela correct mais il m’a informé qu’il se trouvait très fatigué et qu’il ne pouvait malheureusement pas continuer, et il a donc trouvé bon de faire ce pas, et il l’a fait.
Le processus suivant appartient au Premier Ministre.
Les yeux sont donc tournés vers le Premier Ministre Ahmet Davutoğlu.
Il a déjà fait deux déclarations sur cette candidature, le 5 février dans une émission de télé du Kanal 7, ensuite il avait annoncé le 7 février que la demande de démission de Hakan Fidan était prise en compte en précisant :
…
Ceux qui servent le pays, dans la politique ou dans l’administration, font entrer leur nom dans l’histoire avec honneurs.
Il a confirmé lors d’une réunion de groupe à l’Assemblé Nationale, qu’il soutenait malgré l’avis d’Erdoğan la candidature de Hakan Fidan.
Quelque soit ses responsabilités, il les remplira. Il est courageux, il ne revient jamais sur ses pas. Il y aura encore beaucoup de moments où il servira ce pays. Pour tous ce qui concerne Monsieur Fidan, où que cela soit, je serai positif.
Les rumeurs qui courent
Pourquoi une personne très fatiguée du MIT voudrait devenir député ? Etre député serait-ce ne rien faire et se la couler douce ?
Est-il tellement mouillé dans des affaires qu’il a besoin de l’immunité de député, dont un Sous secrétaire du MIT ne peut bénéficier ?
Le fait qu’Erdoğan ne soit pas chaud à la candidature de Fidan est interprété par certaines personnes comme une stratégie. L’apparent mécontentement d’Erdoğan, ne cacherait-il pas en réalité un favoritisme déjà assumé vis-à-vis de quelqu’un qui serait tout à ses ordres comme il l’a été au MIT ?
Quant à Akif Beki, journaliste de Hürriyet, il avance la théorie selon laquelle Erdoğan ne serait pas contre le fait que Fidan entre dans la vie politique, ni se présente comme candidat pour l’AKP, mais il a probablement encore besoin de Fidan au sein du MIT.
Le soutien d’Ahmet Davutoğlu, actuel Premier Ministre, à une personne qui risque de prendre son poste en a surpris plus d’un… Mais les mauvaises langues racontent que Davutoğlu est usé par les prises de positions d’Erdoğan, et par le fait qu’il le contredise souvent. En effet pendant que Davutoğlu marchait à Paris pour Charlie, Erdoğan exprimait clairement à son dos, son désaccord. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Certains membres de l’AKP s’inquiètent d’un éclatement du leur parti. Les rivalités entre les vieux fusils et ceux que ces derniers appellent « les petits jeunes » sont courants et les plus bavards parlent d’éventuelles démissions comme celle de Bülent Arinç, porte parole actuel de l’AKP et le Vice-Premier Ministre du gouvernement.
Bülent Arınç a appris la démission de Fidan devant les caméras de CNN Türk. Akif Beki également présent à l’émission, lui a annoncé la nouvelle et pendant qu’Arınç niait l’affaire, la chaîne a donné l’information qui venait d’être officiellement confirmée.
En tout cas, la démission est bien là. Fidan ne peut plus revenir au MIT.
…
Mais qui est ce type ?
Hakan Fidan a été officier de 1986 à 2001. Ensuite, il a quitté l’armée de son plein gré, et il a repris des études. Il a des licenses de Univerity of Maryland, et University College. Il a fait un master à l’Université de Bilkent en Turquie, sur « La place du renseignement dans la politique extérieure », et un doctorat « La diplomatie dans l’ère de l’information : L’utilisation des technologies d’information dans la confirmation des traités. »
Il a effectué des travaux académiques, A L’Agence internationale de l’énergie atomique à Vienne, à l’Institut de Désarmement des Nations Unies à Genève, et à Londres au Vérification Technologies Research Center. Il a été académicien dans les universités de Bilkent, et Hacettepe. Fidan a également travaillé à l’OTAN, et rempli le rôle de conseiller économique à l’Ambassade de Turquie en Australie.
En 2003 il a été nommé à la Présidence de TIKA (Agence Turque de Coopération et Développement Internationale). En 2007 il devient Sous secrétaire au cabinet du Premier Ministre, (Erdoğan à l’époque). Et en 2008 il prend place dans le Conseil d’administration de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Il est arrivé au MIT en 2009 comme Sous directeur, puis a pris le poste de son supérieur suite à son départ en retraite.
le 7 février 2012 il a été mise en cause concernant un procès du KCK (La ‘Koma Civakên Kurdistan — Le groupe des communautés du Kurdistan, une organisation politique kurde émanant du PKK).
Suite à sa convocation, la Loi en rapport avec le MIT a été changé en urgence. Elle a été votée à la vitesse de lumière, en 12,5 heures ! Les enquêtes concernant les délits commis dans le cadre des fonctions des responsables su MIT nommés par le Premier Ministre devront désormais faire l’objet d’une autorisation obligatoire de celui-ci.
Le nom de la boîte noire d’Erdoğan traîne tout de même dans plusieurs affaires qui ne sentent pas très très bon. Le liste suivante mise en ligne sur le Twitter d’un élu du CHP (Parti républicain du peuple) fait le tour des médias sociaux.
- L’assassinat de Serap Eser, par un cocktail molotov | 8 novembre 2009 | source en turc
- Le massacre de Roboski : 34 morts | 28 décembre 2011| source en français
- Explosion à la porte frontalière Cilvegözü : 13 morts, 26 blessés | 11 février 2013 | source en français
- Le massacre de Reyhanli : 53 morts | 11 mai 2013 | source en français
- Le fichage des députés | 13 août 2013 source en turc
- Les camions TIR contrôlés à Adana. Contenu : 935 têtes de missile, 10 tuyaux de roquette, matériels explosifs et munitions | 7 novembre 2013) | source en turc
- Contrôle avorté d’un camion TIR qui appartiendrait à IHH (ONG islamique turque) près de Reyhanli. Contenu probable : armes. | 1 janvier 2014 | source en turc
- Contrôle de 2 camions TIR à Ceyhanli. Contenu : munitions |19 janvier 2014 | source en turc
- Attaque de Niğde. 3 morts, 8 blessés. | 20 mars 2014 | source en turc
- Hakan Fidan : « Si c’est nécessaire, j’enverrai 4 personnes en Syrie. Je ferai tirer 8 fusées sur la Turquie et je produirai une raison de guerre. On les fera attaquer au tombeau de Süleyman Şah. » | 27 mars 2014 | extait d’enregistrements des écoutes téléphoniques rendues publiques — source en turc
- Hakan Fidan : « Nous avons envoyé du matériel là bas, près de 2000 camions TIR. » | 27 mars 2014 | extait d’enregistrements des écoutes téléphoniques rendues publiques -source en turc
- Troc avec les djihadistes. 180 assassins de Daech libérés contre la liberté de ses amis et des consuls. |20 septembre 2014 | source en turc
Super pédigrée pour un futur député et probable Premier Ministre, non ?
…
Pour finir sur une note optimiste !
La dernière parole sera celle du peuple turc. L’avenir de son pays se jouera en juin dans les urnes. Mais en attendant les luttes ne cessent pas pour autant, malgré les répressions policières quelque soit leur violence. Tellement de choses à dénoncer, à revendiquer : les droits des Hommes, droits des femmes, système d’éducation, droits des travailleurs, santé, liberté d’expression, environnement, urbanisme etc.
On observe malgré tout ses efforts que l’aura d’Erdoğan diminue auprès des populations même chez les musulmans qui ont voté pour lui.
On peut actuellement lire dans les journaux, des infos comme l’histoire de cet homme qui à la fin d’une prière dans un hotel à la Mecque, propose de prier pour Recep Tayyip Erdoğan. Et bien, il se fait tabasser !!!
Visiblement en parlant de Tayyip, les propos habituels comme « Un homme d’Etat admirable », « Il a amélioré le pays », « Que le Dieu le protège » ou bien « Prions pour lui » ne passent plus partout.
Si le porte parole du gouvernement Bülent Arınç exprime son inquiétude, ce n’est pas pour rien :
Avant, quand on allait dans la rue, nos supporters nous aimaient bien, maintenant je saisis des regards haineux.
.….….
Un autre témoignage :
Je n’ai pas dormi du tout la nuit dernière… J’avais envie de me lever et embrasser mes deux enfants, mais je n’ai pas pu le faire. Parce que je me rends compte que je leur ai fait tort. Le vote que j’ai donné pour ces mecs est devenu pour moi un cas de conscience douloureux. Il ne me lâche plus.…
Ce sont des lignes d’une lettre de lecteur dont Bekir Coşkun, chroniqueur de Sözcü nous fait part en finissant son article par cette phrase :
Cette fois il y a une telle explosion de colère que si vous regardez autour de vous, vous la verrez. Poussez un peu. Ils sont entrain de partir, poussez.
…
En parlant des élections en Turquie, rappelons nous des fraudes dénoncées lors des dernières municipales ; bourrage d’urnes, sac volés, électeurs fantômes, et pour couronner tout, la fameuse coupure d’électricité qui a plongé simultanément dans le noir 35 communes en plein dépouillement. Nous avons bien noté au Kedistan, l’explication du Ministre d’Energie qui pointait du doigt, un chat qui serait entré dans un transformateur et qui donc avait causé la coupure.
Même Mamie Eyan chroniqueuse doyenne du Kedistan, qui ne connait rien à l’électricité se questionnait : « Dites moi, il n’y a qu’un seul transfo pour des communes, dispersées un peu partout ? Ou c’est une bande de chats terroristes bien entrainés qui a organisé une opération synchronisée sur l’orde du lobby des chats ? »
En tout cas quelque soit les moyens qu’il utilise, le peuple turc seul peut changer les choses, comme le dit la banderole des anarchistes turcs :