Une affaire grotesque et kafkaïenne qui dure depuis 25 ans. Pour Pınar Selek, autrice, sociologue, enseignante-chercheuse à l’université Côte d’Azur, ce sont 25 ans qui se sont écoulés successivement entre prononcés de “peines de perpétuité” et “acquittements”.
Non, il ne s’agit pas, comme parfois en France, pour des personnalités politiques ayant maille à partir avec la Justice, de batailles d’avocats utilisant les arcanes du Droit pour retarder des jugements et des condamnations. Il s’agit d’un acharnement d’Etat, utilisant une justice qui n’a plus aucune indépendance, pour perpétuer un acharnement politique dont il sait qu’il aura valeur d’exemple pour d’autres opposant.es au régime. Ajoutez à cela l’inertie des procédures, la volonté de se faire apprécier en haut lieu de juges et de procureurs, et le fonctionnement propre à une justice en “démocrature”, et vous comprendrez qu’il n’y a plus de quoi être surpris par des décisions ubuesques.
L’année 2023 commence encore fort. Ce 6 janvier, un mandat d’arrêt international, demandant un emprisonnement immédiat, est lancé à l’encontre de Pınar Selek. Une nouvelle utilisation abusive des procédures de “mandat d’arrêt internationaux” dont la Turquie use régulièrement, non pour des criminels, mais pour ses opposan.es politiques.
En juillet 2022 nous annoncions la condamnation, à nouveau, de Pınar Selek, à la perpétuité, par la Cour suprême de Turquie, pour le pseudo “attentat” où il a pourtant été démontré depuis 24 ans qu’il s’agissait d’une explosion de gaz, accidentelle, survenue sur le marché aux épices, le “Bazar égyptien” d’Istanbul, et qui avait fait 7 morts et 121 blessés.
Après six mois d’attente, le 6 janvier, voilà qu’elle apprend qu’elle se trouve désormais comme une cible sur la liste rouge.
Il y a presque un mois, trois membres de la communauté kurde en France étaient à nouveau assassinés à Paris. Le gouvernement français décidait d’en faire un “assassinat isolé commis par un raciste pathologique”, en éloignant tous liens avec la Turquie. Puisse cet acharnement pathologique démontrer à nouveau si besoin était comment l’Etat turc s’obstine à pourchasser partout ses opposant.es.
Le communiqué de “la Coordination européenne des collectifs de solidarité avec Pınar Selek” que vous trouverez ci-dessous, donne le résumé chronologique de cet acharnement, et les étapes de ces procès successifs.
Pınar Selek s’exprimait ainsi déjà auprès de Kedistan, en réaction à la décision du Tribunal Criminel d’Istanbul :
“L’affaire du bazar égyptien dure depuis 25 ans. C’est la moitié de ma vie. Cette affaire reflète tel un miroir le système des gangs mafieux qui s’efforce d’étouffer la lutte juridique que nous menons depuis 25 ans. Et cette affaire est une manifestation du ‘mal organisé’ qui s’est enraciné dans notre pays depuis bien plus longtemps. Cette fausse décision basée sur des faux documents n’est qu’un paragraphe des sombres scénarios mis à l’ordre du jour avant les prochaines élections présidentielles. Ce n’est qu’une partie des sales manoeuvres contre celleux qui soutiennent la coexistence des différences sur la base de l’égalité et de la liberté. En d’autres termes, notre lutte n’est qu’une petite partie de la résistance pour la vie dans notre pays, qui se poursuit, menée au prix fort.”
Pınar, malgré la noirceur de la situation, malgré l’acharnement, tient la tête haute, et elle est déterminée à continuer sa lutte, autant pour elle-même, que pour toutes les causes qu’elle défend.
“Nous vaincrons ensemble. Je retournerai sur les terres que j’ai été obligée de quitter il y a 13 ans, et je me mêlerai à mes ami.es, camarades. Malgré la grande douleur que je ressens, je reste forte et je garde l’espoir.
Jusqu’à présent, j’ai résisté de toutes mes forces et je ne me suis pas pliée à la soumission à la domination, tout en continuant, sans jamais tomber dans le désespoir, à créer, à m’approfondir et à m’ouvrir mentalement, et aussi, à agir et à vivre comme une ‘fourmi zinzine’… Je le promets à tout.es mes ami.es, je ne renoncerai pas !”
Communiqué : mandat d’arrêt international et nouvelle audience pour Pınar Selek
Le 16 janvier 2023
Le 21 juin 2022, l’agence de presse publique turque a annoncé l’annulation par la Cour Suprême de Turquie du quatrième acquittement de Pınar Selek, prononcé le 19 décembre 2014 par le Tribunal criminel d’Istanbul. Auparavant, Pınar Selek avait effectivement comparu au cours de trois procédures criminelles, qui ont toutes constaté son innocence, au long des 25 années de persécution politico-judiciaire qu’elle continue à subir. Après l’avoir emprisonnée et torturée pour ses recherches sociologiques sur les Kurdes, le pouvoir turc a décidé de faire d’elle une “terroriste” en fabriquant de toutes pièces les éléments voulus pour démontrer contre toute évidence la survenance d’un attentat, alors que tout a établi l’explosion du Marché aux épices d’Istanbul de 1998 a été provoquée accidentellement.
Six mois après l’annonce par voie de presse de l’annulation de l’acquittement, la décision de la Cour Suprême a été enfin notifiée aux avocat.es de Pınar Selek, ce 6 janvier 2023, par la Cour d’Assise d’Istanbul. Ces six mois d’attente insupportable et de nouvelle torture psychologique pour Pınar Selek se soldent par une parodie de justice. Pınar Selek fait l’objet d’une mesure de mandat d’arrêt international demandant son emprisonnement immédiat. Cette décision est prise par le Tribunal Criminel d’Istanbul avant même que les juges de cette juridiction ne se soient prononcés lors d’une première audience, fixée au 31 mars 2023.
De telles mesures, ubuesques du point de vue du droit et particulièrement graves par leur portées et leurs conséquences sur Pınar Selek, sont prises dans un contexte de restriction des libertés et de multiplication des violences par le pouvoir turc contre l’ensemble des minorités et des opposants politiques, en particulier contre les Kurdes, que ce soit en Turquie ou dans d’autres pays. Les élections prochaines en Turquie sont propices à toutes les diversions politiques et à toutes les manipulations.
Les collectifs de solidarité avec Pınar Selek refusent que l’écrivaine et sociologue soit une fois de plus l’otage d’une politique inique qui se traduit par une véritable farce judiciaire. Ils refusent également qu’elle soit la victime collatérale de la politique de complaisance des pays européens à l’égard du régime autoritaire et liberticide qui sévit en Turquie. Ils demandent à tout.es les parlementaires et responsables politiques qui ont témoigné ces derniers mois leur soutien à elle d’agir énergiquement auprès du gouvernement afin qu’il apporte concrètement à Pınar Selek toute la sécurité et la protection que l’État français doit à l’une de ses compatriotes. La nationalité française de Pınar Selek ne suffit pas à la protéger. Forts du soutien de très nombreuses personnalités de la recherche et du monde intellectuel et de la culture, les collectifs de solidarité avec Pınar Selek renouvellent au Président de la République leur demande de soutien ferme et inconditionnel ainsi qu’une protestation officielle auprès du pouvoir turc.
Ils appellent enfin les ami·es de Pınar Selek, les artistes, les universitaires et les militant.es à redoubler d’efforts,
à étendre leurs mobilisations en soutien à toutes les victimes du pouvoir turc et à préparer des délégations nombreuses pour se rendre à Istanbul le 31 mars prochain pour exiger la vérité et la justice pour Pınar Selek !
Coordination européenne des collectifs de solidarité avec Pınar Selek
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