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Voilà 6 mois que le régime russe a envahi l’Ukraine voi­sine, et 8 ans qu’il mène une guerre d’an­nex­ion de ter­ri­toires ukrainiens, à com­mencer par la Crimée et une par­tie du Donbass.

Même si les cartes retra­cent des fron­tières à chaque péri­ode de l’his­toire où se mènent des guer­res, même si ces guer­res ou la mise en place de régimes total­i­taires dépor­tent alors des pop­u­la­tions, ten­tent de faire dis­paraître des peu­ples, il n’en reste pas moins que des iden­tités de peu­ple­ment qui avaient là établi des cul­tures com­munes, des langues, nour­ries aus­si d’échanges, restent tou­jours attachées à ces ter­res, leur géographie.

Le moyen-Ori­ent en est une illus­tra­tion évi­dente, par delà les Empires, les puis­sances colo­niales, qui l’ont dom­iné, pil­lé, partagé, remod­elé. Pourquoi par exem­ple les Kur­des, les Pers­es, les Assyriens, les Turk­mènes, les Arabes… ? Et si on se penche encore davan­tage, d’autres peu­ples qu’ils ont assim­ilés et dont les noms et les cul­tures se sont pour­tant trans­mis­es et leurs ves­tiges sont par­venus jusqu’à nous. Par­tic­u­lar­ismes ? Non. His­toire humaine.

Pas ques­tion de juger à postéri­ori, des siè­cles après, de qui fut le plus légitime à domin­er, par la guerre, la con­quête ou l’ef­face­ment, lorsque des pop­u­la­tions vivent et co-exis­tent enfin en paix, échangent et pro­duisent du lien social. Mais, bien que les humains se soient ingéniés à instituer des Nations, ces havres de paix sur cette planète sont pré­caires, et des apparences poli­tiques. Que resur­gisse une guerre économique ou de ter­ri­toire, et ces iden­tités enfouies lui ser­vent de car­bu­rant, quelles que soient leurs légitim­ité à exis­ter pour­tant. Et, le plus sou­vent, la source de cette guerre est elle-même un iden­ti­tarisme érigé en sys­tème poli­tique, issu de réécri­t­ures de l’his­toire dans lesquelles toute idée de mosaïque de Peu­ples a dis­paru. Et ne par­lons pas de Peu­ples pre­miers. C’est le cas de la turcité, con­solidée et exaltée par un géno­cide, érigée en république indi­vis­i­ble, exac­er­bée par le nation­al­isme, elle même issue de l’ef­fon­drement d’un Empire, sous les coups de boutoir d’autres.

Ces années, nous sommes et serons dans le cen­te­naire de ces “traités” qui remod­elèrent, par la force des vain­queurs occi­den­taux, et par­fois à la règle sur les cartes, le Moyen-Ori­ent dans la pre­mière moitié du XXe siè­cle. Le partage en qua­tre par le traité de Lau­sanne et l’at­tri­bu­tion de cha­cune des parts de la géo­gra­phie et du peu­ple­ment du Kur­dis­tan, désigné ain­si par sa pop­u­la­tion majori­taire, (Iran, Turquie, Irak, Syrie), l’acte de déc­la­ra­tion de la république turque en 1923, sont un exem­ple de ces plaies béantes ouvertes et jamais refer­mées par l’his­toire, où le sort des Peu­ples fut scel­lé par le sang répan­du et à répandre.

Plus récem­ment, à la fin des années 1990, l’ac­cord imposé qui mit fin à la guerre en Ex-Yougoslavie, à l’in­verse basé sur un partage “eth­nique”, dans un con­texte ultra-nation­al­iste, a légué à l’Eu­rope un foy­er de guerre jamais éteint qui ne deman­derait qu’à repartir.

Ce détour par le Moyen-Ori­ent, que j’au­rais pu faire tout autrement par le Chili, l’Ar­gen­tine ou le Brésil, avec des car­ac­téris­tiques qui remon­teraient aus­si à des géno­cides, une coloni­sa­tion et des pil­lages, et qui se per­pétuent aujour­d’hui de façon plus “mod­erne et civil­isée”, ce détour dis-je, pour rap­pel­er que vivre l’his­toire à l’échelle d’une vie, si cela pro­duit des émo­tions, et des engage­ments, ceux-ci paraîtront pour­tant ensuite si dérisoires. Les émo­tions ont besoin de l’his­toire pour faire sens et pour essay­er de comprendre.

Dois-je dire qu’ap­pli­quer ce regard à l’Ori­ent et la Chine nous amèn­erait aux mêmes con­stats. L’his­toire humaine ne con­naît pas de fron­tières, elle les crée, les brise, en fait des pris­ons ou des murs, et, para­doxale­ment aujour­d’hui, même dans un monde cap­i­tal­iste glob­al­isé. Les replis nation­al­istes prospèrent dans ce cap­i­tal­isme financier mon­di­al­isé et les ori­en­ta­tions “fas­cisantes” ne se sont jamais autant accom­mod­ées avec le libéral­isme économique, jusqu’à s’en faire le rempart.

Ain­si est-il com­pliqué pour un lib­er­taire, de recon­naître l’ex­is­tence du “sen­ti­ment d’être ukrainien”, encore plus s’il se traduit par un “sen­ti­ment d’ap­par­te­nance nationale”, qui est mis en avant par cette agres­sion russe. Sur­git-il juste­ment de l’his­toire com­mune d’un Peu­ple, ou est-il une sim­ple con­struc­tion poli­tique jus­ti­fi­ant des enjeux de pouvoir ?

Pre­mier ques­tion­nement en prove­nance de mon long détour donc, qui n’oblitère en rien tout ce qui a été dévelop­pé dans les arti­cles précé­dents, refus du camp­isme et sou­tien au Peu­ple ukrainien, dans la sit­u­a­tion présente d’a­gres­sion dont il est vic­time. Le sec­ond sera sur les ques­tions de ter­ri­toires et sur le pourquoi de l’ab­sence de con­di­tions de “négo­ci­a­tions” pour une paix durable, con­traire­ment à celles et ceux qui décli­nent à l’en­vie des formes pos­si­bles d’ab­di­ca­tion pure et sim­ple de l’Ukraine face au régime russe. Le dernier sur les Etats-nation, père de tous les meurtres entre amis.

Trois inter­ro­ga­tions sur fond d’ac­tu­al­ité où guerre et men­aces en Europe se con­juguent avec urgence cli­ma­tique et approche d’une Nième crise du capitalisme.

A suiv­re…

Vladimir  – Vous voulez vous en débarrasser ?
Poz­zo – Remar­quez que j’au­rais pu être à sa place et lui à la mienne. Si le hasard ne s’y était pas opposé. À cha­cun son dû.
Vladimir – Vous voulez vous en débarrasser ?
Poz­zo – Vous dites ?
Vladimir – Vous voulez vous en débarrasser ?
Pozzo – En effet. Mais au lieu de le chas­s­er, comme j’au­rais pu, je veux dire au lieu de le met­tre tout sim­ple­ment à la porte, à coups de pied dans le cul, je l’emmène, telle est ma bon­té, au marché de Saint-Sauveur, où je compte bien en tir­er quelque chose. À vrai dire, chas­s­er de tels êtres, ce n’est pas pos­si­ble. Pour bien faire, il faudrait les tuer.

Samuel Beckett, En attendant Godot, acte I, éditions de Minuit, 1952.
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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…