En cette péri­ode de Newroz, nou­v­el an kurde, fêté le 21 mars, la joie des célébra­tions et le sou­venir douloureux et révoltant de la mort de Kemal se mêlent. Kemal Kurkut fut abat­tu en pub­lic par la police, lors du Newroz 2017, dans la province de Diyarbakır, au sud-est de la Turquie…

Cinq ans plus tard, ironie amère, son procès se clôt sur une “impunité” : la Cour d’appel régionale de Diyarbakır, a con­clu que l’acte avait été com­mis “dans un cadre légal”.

La poétesse Del­phine Durand réag­it, avec un hom­mage pour Kemal…

Chanson pour Kemal Kurkut

Je chanterai à tes oreilles pour l’oiseau aux ailes brisées
Par tant de mains cruelles
Pour le cadavre dont per­son­ne ne porte le deuil
J’ai enten­du les dernières paroles venues de tes lèvres immo­biles et mourantes

Ce qu’il y avait dans ton cœur ne pou­vait être lu par tout le monde
Innom­brables sont les formes de folie
Ces ombres sor­ties d’un mau­vais rêve
Qui vous frap­pent au vis­age comme le coup de poing d’un aveugle
Tu as per­mis à la douleur de domin­er tout ce que tu as en toi
Jusqu’au tré­fonds de ta poitrine

Ils tuent leurs sem­blables et pren­nent des pho­tos de leur agonie
Les larmes vien­nent toutes seules

Les femmes souri­ent au couteau qui entre dans leurs corps
Si les yeux pou­vaient mourir après avoir vu l’horreur
La terre est si bien mêlée de sang
Qu’elle se déverse dans des puits de famine
Cette indé­cence qui nous survit
Cette honte d’être vivant

Je serai comme une feuille que le vent emporte du haut de l’arbre
Je serai la feuille qui revient pour rap­pel­er à celui qui se croit mort
Qu’il est encore vivant

L’ange prédes­tiné
Qui défig­ure l’enfant
Chair imaginée
La fleur de l’aurore
Blesse la lumière haute
Les étoiles vont se mor­dre elles-mêmes

Depuis les hori­zons perdus
Jamais depuis les fonds de sable nu
Jamais la lumière dans ton ombre n’a été aus­si jeune

 

Image à la Une : Kemal Kurkut. Dessin de Naz Oke, 2022.

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Delphine Durand
Poétesse
His­to­ri­enne de l’art, mys­tique, poète, lais­sons au pluriel mag­nifique les mots de l’invisible… Del­phine est ontologique­ment présente dans la seule per­durable présence de l’art. Après des études de théolo­gie et de philoso­phie, elle choisit l’histoire de l’art mais son cœur ner­va­lien l’entraine vers des univers fan­tas­ma­tiques et sauvages, et enfin la poésie où nous sommes tous libres.