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Arti­cle de Kory Grow, pub­lié dans le mag­a­zine Rolling Stone, le 18 févri­er 2022

Elle n’est pas libre : La quête de Roger Waters pour libérer une musicienne kurde emprisonnée.

Alors que Nûdem Durak est incar­cérée dans une prison turque, Pete Town­shend, Robert Plant, Peter Gabriel, Bri­an May et d’autres se sont mobil­isés pour obtenir un nou­veau procès pour l’autrice-compositrice-interprète.

L’au­teur-com­pos­i­teur-inter­prète Nûdem Durak était déjà à deux ans de sa peine de 19 ans de prison quand l’un des rares fils qui la reli­aient à la lib­erté a été coupé. Avant son incar­céra­tion en 2015, Durak vivait à Cizre, en Turquie, et chan­tait des chan­sons à la fois en turc et dans sa langue mater­nelle, le Kurde. Elle a ensuite été accusée de com­mu­ni­quer avec des mem­bres du PKK (le Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan), que la Turquie et les États-Unis ont qual­i­fié d’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste. Selon son avo­cat, elle a été déclarée coupable d’ ”appar­te­nance à une organ­i­sa­tion illé­gale” et con­damnée sans avoir pu présen­ter cor­recte­ment les preuves pour sa défense. Lorsqu’elle s’est présen­tée pour purg­er sa peine, elle a été autorisée à apporter sa gui­tare acous­tique en prison, mais l’in­stru­ment a été détru­it lors d’un con­trôle de rou­tine des cel­lules en 2017, lorsque des gar­di­ens ont séparé son manche du reste du corps.

J’ai tou­jours rêvé d’avoir une gui­tare, mais je n’avais pas l’ar­gent pour ça”, se sou­vient Durak dans une inter­view à Al Jazeera avant d’aller en prison. “Ma mère m’a don­né son alliance et m’a dit : ‘Vends cette alliance et achète une gui­tare”. “Quand j’ai eu la gui­tare, cela a représen­té le monde pour moi’.

Alors que la sen­si­bil­i­sa­tion à la sit­u­a­tion de Durak a pris de l’am­pleur ces dernières années, la destruc­tion de son instru­ment a trou­vé un écho auprès des musi­ciens du monde entier. Roger Waters, l’artiste solo et ancien auteur-com­pos­i­teur-inter­prète des Pink Floyd, a ressen­ti de la colère en apprenant le sort de sa gui­tare et la peine de près de deux décen­nies qu’elle avait reçue. “J’imag­ine qu’une gui­tare serait un récon­fort si vous êtes un auteur-com­pos­i­teur-inter­prète et que vous êtes en prison”, a‑t-il déclaré à Rolling Stone. Après avoir effec­tué des recherch­es appro­fondies sur le cas de Durak, il a attiré l’at­ten­tion sur sa sit­u­a­tion en faisant appel à des rockeurs comme Pete Town­shend, Robert Plant, Peter Gabriel et Bri­an May pour ampli­fi­er son mes­sage et lui obtenir un nou­veau procès.

Nûdem Durak est notre sœur”, déclare Waters, “et nous avons la respon­s­abil­ité absolue de la soutenir, elle et les cen­taines de mil­liers d’autres per­son­nes qui con­tin­u­ent à subir son sort avec de faux empris­on­nements et des incar­céra­tions dans le monde entier, notam­ment aux États-Unis et au Roy­aume-Uni.

L’art doit être l’en­droit où notre cœur créatif peut être libéré, que ce soit pour l’élé­va­tion de l’e­sprit humain ou pour notre besoin de jus­tice”, déclare Town­shend à Rolling Stone dans un com­mu­niqué. “Il se trou­ve que Nûdem est une Kurde. Sa voix est liée à son âme et son âme chantera tou­jours pour sa famille, son peu­ple et son peu­ple. En tant que musi­ciens, nous ne pou­vons pas nous arrêter. Notre vérité est ce que nous sommes et ce que nous sommes nés pour être. Il se trou­ve que la musique de Nûdem est de la grande musique, et il est si triste qu’un pays doté de l’im­mense héritage artis­tique his­torique de la Turquie traite une bonne musi­ci­enne comme il a traité Nûdem — quoi qu’il pense du désir de recon­nais­sance des Kur­des.

Waters a ensuite trou­vé une idée pour attir­er l’at­ten­tion sur son cas : envoy­er la gui­tare acous­tique noire Mar­tin qu’il a util­isée lors de sa tournée 2017/18 Us + Them Tour à Durak en prison, mais avec une petite touche. Depuis que la gui­tare a com­mencé ses voy­ages depuis la mai­son de Waters à Long Island, New York, l’an­née dernière, elle a fait plusieurs arrêts à tra­vers l’Eu­rope — où de nom­breux grands noms du rock sou­ti­en­nent l’in­stru­ment avec des mots de sou­tien — avant qu’elle ne se rende à la prison de Bay­burt, en Turquie, qui abrite Durak cette année. “Si nous pou­vions faire bouger les autorités turques, ce serait une très bonne chose”, dit-il. “Son avo­cat m’a dit par l’in­ter­mé­di­aire d’un inter­prète qu’elle a dit qu’elle se sen­tait libre pour la pre­mière fois en six ans. Elle n’est pas libre.

Out­re la sig­na­ture de Waters, Town­shend, Gabriel, Plant, May, Mar­i­anne Faith­full, Mark Knopfler, Noel Gal­lagher et Nick Mason, ancien mem­bre du groupe Pink Floyd, ont ajouté leurs pro­pres inscriptions.

J’ai été sen­si­bil­isé à la per­sé­cu­tion des musi­ciens kur­des dans les années 1980 et, plus récem­ment, j’ai appris le sort de Nûdem par l’in­ter­mé­di­aire de ma fille qui tra­vail­lait sur le Voice Project”, racon­te Gabriel à Rolling Stone, faisant référence à la cam­pagne “Impris­oned for Art” du Voice Project en 2016. “La destruc­tion de sa gui­tare était quelque chose à laque­lle tout musi­cien peut s’i­den­ti­fi­er, donc j’é­tais très heureux de pou­voir la soutenir de cette façon.

Les opin­ions de Waters sur la poli­tique du Moyen-Ori­ent ont irrité les gens dans le monde entier. Son sou­tien à la Pales­tine et au mou­ve­ment BDS en Cisjor­danie, qui exhorte les artistes à ne pas se pro­duire en Israël tant que le pays n’ac­corde pas des droits équita­bles aux Pales­tiniens, a don­né lieu à des accu­sa­tions d’an­tisémitisme. “Je ne suis pas anti­sémite ni con­tre le peu­ple israélien”, a déclaré M. Waters en réponse à une accu­sa­tion du groupe de sur­veil­lance de l’an­tisémitisme Com­mu­ni­ty Secu­ri­ty Trust. “Je suis un cri­tique des poli­tiques du gou­verne­ment d’Is­raël”.

L’An­ti-Defama­tion League a égale­ment cri­tiqué l’inci­ta­tion de Waters à boy­cotter Israël pour soutenir la Pales­tine dans des let­tres adressées à d’autres musi­ciens. En réponse aux cri­tiques de Thom Yorke de Radio­head sur ses opin­ions sur Israël, Waters a déclaré qu’il croy­ait que “le piquet de grève BDS existe pour faire la lumière sur la sit­u­a­tion dif­fi­cile du peu­ple occupé de Pales­tine”.

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Avant son arresta­tion, Durak était mem­bre du groupe musi­cal Koma Sorxwîn et jouait égale­ment de la musique seule au cen­tre cul­turel Mem û Zîn de Cizre, qui, jusqu’à sa récente démo­li­tion, était un lieu de rassem­ble­ment pour les Kur­des du sud-est de la Turquie. Cette par­tie du pays, ain­si que les régions voisines d’I­rak, d’I­ran et de Syrie, con­stituent le ter­ri­toire géo­cul­turel con­nu sous le nom de Kur­dis­tan. Bien que les Kur­des y vivent depuis des siè­cles, ils ont été vic­times d’op­pres­sion ces dernières années. De 1983 à 1991, il était illé­gal de par­ler kurde en Turquie et chanter en kurde était un délit pas­si­ble de prison.

Au moment de l’in­cul­pa­tion de Durak en 2015, la Turquie avait assou­pli ses restric­tions sur la cul­ture kurde tout en se méfi­ant des attaques du PKK. À la fin des années 80, le gou­verne­ment du pays a réa­gi à ces attaques par une opéra­tion de police qui a con­duit à l’ar­resta­tion de plus de 150 per­son­nes, con­sid­érées comme ter­ror­istes par le gou­verne­ment. Avec une sur­veil­lance accrue de la région, les autorités ont accusé Durak d’avoir passé des appels télé­phoniques à des mem­bres du PKK et d’avoir vis­ité une adresse qui s’est avérée être une cel­lule du PKK. (Le min­istère turc de la Jus­tice n’a pas répon­du aux mul­ti­ples deman­des de ren­seigne­ments sur le statut de la peine de Durak). “Elle a été empris­on­née parce qu’elle a été fausse­ment accusée d’être un dan­ger pour la société turque, parce qu’ils pré­ten­dent qu’elle était une ter­ror­iste ou une sym­pa­thisante des ter­ror­istes”, dit Waters, qui a appris le sort de Durak par un ami qui l’a dirigé vers le reportage d’Al-Jazeera de 2015 sur elle.

Mon avo­cat m’a appelé et m’a dit que j’avais été con­damnée”, a déclaré Durak dans le clip. “Il y avait un man­dat d’ar­rêt con­tre moi. Je pen­sais qu’il plaisan­tait. Je me suis même moquée de lui. Mal­heureuse­ment, c’é­tait vrai. Et ce n’est pas quelques années de prison, c’est 10 ans et demi”. (Le clip rap­porte par erreur que Durak a été con­damnée sim­ple­ment pour avoir chan­té en prison, bien que son avo­cat affirme main­tenant que ce n’é­tait pas le cas. Sa peine a ensuite été allongée à 19 ans).

Roger Waters by Kamilah Chavis

L’av­o­cat de Durak, Ali Çimen, a déclaré à Waters qu’elle n’avait pas été en mesure de se défendre cor­recte­ment, affir­mant qu’elle avait été con­damnée, en par­tie, sur la base de l’en­reg­istrement d’une écoute télé­phonique qui con­sti­tu­ait une “forte pos­si­bil­ité” qu’il s’agisse d’elle, mais non con­fir­mée. Çimen a égale­ment affir­mé que Durak n’é­tait pas au courant d’une quel­conque impli­ca­tion avec le PKK à l’adresse qu’elle a vis­itée. Les autorités lui ont dit qu’elles avaient com­mencé à enquêter sur elle après qu’elle ait accep­té un mes­sage d’un mem­bre du PKK alors qu’elle se pro­dui­sait au cen­tre cul­turel Mezopotamya, bien que la per­son­ne qui avait ini­tiale­ment dit qu’elle avait pris les mes­sages se soit rétrac­tée plus tard en dis­ant qu’elle avait été for­cée de faire une fausse déc­la­ra­tion, selon l’av­o­cat de Durak.

Il sem­ble tout à fait clair qu’il n’y a pas l’om­bre d’une preuve pour soutenir la protes­ta­tion du gou­verne­ment selon laque­lle elle est une crim­inelle vio­lente”, dit Waters. “Il n’y a pas la moin­dre preuve pour soutenir ce point de vue. Elle n’a rien fait d’autre que d’ap­pren­dre aux enfants à jouer de la gui­tare et d’écrire et chanter des chan­sons sur sa patrie. C’est une Kurde.

Lors de deux procès, aux côtés de plus d’une douzaine d’autres accusés cha­cun, Durak a été con­damnée à neuf et dix ans, respec­tive­ment, en lien avec une attaque ter­ror­iste qui a fait 18 morts. L’av­o­cat de Durak déclare à Waters qu’en dépit du fait que per­son­ne ne s’est présen­té avec des accu­sa­tions con­tre elle, elle a été con­damnée pour s’être trou­vée au mau­vais endroit au mau­vais moment.

C’est choquant de réalis­er qu’il existe encore des pays dans lesquels des musi­ciens qui veu­lent faire exacte­ment la même chose que nous finis­sent en prison avec leur vie en dan­ger”, dit Gabriel. “C’est à la fois un rap­pel des lib­ertés que nous prenons pour acquis­es et de la respon­s­abil­ité que nous avons de faire mieux con­naître leurs his­toires.

À la ques­tion de savoir ce que le citoyen moyen peut faire pour aider Durak, Waters répond : “C’est une très bonne ques­tion.Il y a un chœur là-bas, et ce chœur sera pro­fondé­ment con­cerné par la sit­u­a­tion dif­fi­cile de cette jeune femme, comme il est con­cerné par la sit­u­a­tion dif­fi­cile des per­son­nes empris­on­nées à tort, qu’elles soient poli­tiques ou non, partout. Et ce chœur, de temps en temps, élève sa voix en har­monie.

Cam­pagne inter­na­tionale “Free Nûdem Durak”
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Pour écrire à Nûdem :

Nûdem Durak
M Tipi Kapalı Kadın Cezaevi
Bay­burt TURQUIE


Image à la Une : Roger Waters, Unit­ed Cen­ter, Juil­let 2017 Chica­go, Illi­nois. Pho­to : Tim­o­thy Hiatt / Get­ty Images

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