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La for­mule a fleuri aujour­d’hui dans la presse d’Er­doğan en Turquie : “Une ter­ror­iste de plus nour­rie en prison est morte” .

Turquie manchetteUn tor­chon aux ordres du régime, et en forte accoin­tance avec son aile ultra nation­al­iste, a cru bon en effet, à pro­pos du “décès sus­pect” en prison, de Garibe Gez­er, une pris­on­nière kurde, de faire un par­al­lèle his­torique. La manchette fait référence aux pro­pos de Kenan Evren, général du coup d’Etat mil­i­taire du 12 sep­tem­bre 1980, inscrit dans l’histoire fas­ciste du pays. Il avait dit à pro­pos d’Erdal Erden, révo­lu­tion­naire exé­cuté par pendai­son le 13 décem­bre 1980, à l’âge de 17 ans : “Nous devri­ons ne pas le pen­dre mais le nour­rir peut-être ?” 

On peut aus­si entrevoir un par­al­lèle igno­ble avec les vic­times des grèves de la faim.

Garibe a été retrou­vée offi­cielle­ment “pen­due” dans sa cel­lule d’isolement.

Ce bon mot ultra nation­al­iste, puant de haine, est bien sûr repris en meute. C’est là le con­tre feu à l’é­mo­tion et aux ques­tion­nements sus­cités par le fémini­cide d’E­tat que con­stitue le décès de Garibe. Dans une let­tre adressée à la presse kurde, ses co-détenues dénon­cent les con­di­tions de réten­tion, la vio­lence sex­iste dans les pris­ons, le secret qui per­met toutes les atteintes et agres­sions, les fouilles à nu sys­té­ma­tiques, et, con­cer­nant Garibe, sa per­sé­cu­tion con­tin­ue, tant dans ses trans­ferts de prison en prison que dans les mis­es à l’isole­ment suite aux plaintes pour viol et agres­sions sex­uelles qu’elle avait for­mulées. Les pris­ons de type F en Turquie, qui iso­lent les prisonnièr.e.s, avec le pré­texte “d’hu­man­is­er et d’in­di­vid­u­alis­er” les con­di­tions d’in­car­céra­tion, devi­en­nent au con­traire des lieux où les abus sont cachés, l’ar­bi­traire insti­tué en cas­sant toute résis­tance, la tor­ture de l’isole­ment érigée en dogme.

Ce sem­blant d’évo­lu­tion car­cérale, dès lors où il est util­isé con­tre les opposant.e.s, kur­des ou non, devient une arme de répres­sion qui peut men­er autant à la mort que les sys­tèmes de tor­tures d’autre­fois, trop voy­ants. Lire à ce pro­pos le livre graphique “Prison N°5”, de Zehra Doğan.

Garibe a été inhumée sur ses ter­res natales, mal­gré toutes les dif­fi­cultés ren­con­trées par sa famille pour ce faire, les autorités admin­is­tra­tives de tutelle, nom­mées par le régime en lieu et place des élu.e.s limogés par décret, n’ayant fourni aucune aide ni déployé aucun effort, pour une “ter­ror­iste qui se serait sui­cidée”.

Il en va ain­si de toutes les extrêmes droites dans le monde. On passe très rapi­de­ment quand on par­le des con­di­tions car­cérales, du “en plus ils ont la télévi­sion” à “des bouch­es inutiles de crim­inels à nour­rir”. Puis vien­nent les propo­si­tions de peines de sûreté, de Guan­tanamo pour les “ter­ror­istes”, puis du retour de la peine de mort. Une fois de plus, les ultra nation­al­istes alliés d’Er­doğan souf­flent leurs propo­si­tions aux fas­cistes du monde entier.

Inutile égale­ment de point­er com­ment ce vir­il­isme nation­al­iste se dou­ble tou­jours d’un patri­ar­cat assumé, qui, con­cer­nant la mort de Garibe, donne à celle-ci le car­ac­tère d’un fémini­cide d’E­tat, rejoignant les crimes sex­istes com­mis con­tre les LGBTIQ+, assim­ilés pêle-mêle aux “ter­ror­istes qui divisent et détru­isent la nation”. Le dis­cours est partout le même.

Il n’est guère besoin de dévelop­per davan­tage non plus sur ce que sig­ni­fie en Turquie, le poids du nation­al­isme, pour le moment allié à celui des big­ots islamistes. C’est cette même fil­i­a­tion his­torique, avec le géno­cide arménien, la per­sé­cu­tion des Juifs et des Roums (Grecs), celle des Kur­des et les mas­sacres d’Alévis, qui est tou­jours à l’oeu­vre der­rière ces rap­proche­ments de presse.

La bête immonde ne rate jamais un ren­dez-vous avec elle-même, dans ses rap­proche­ments historiques.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…