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Avec la vis­ite osten­si­ble­ment médi­atisée des représen­tants Tal­ibans en Turquie, on dépasse, et de loin, la sim­ple rela­tion diplo­ma­tique entre voisins peu éloignés.

Bien que le Min­istre des Affaires Etrangères de Turquie, Mevlüt Çavuşoğlu, donne le la d’une expli­ca­tion alam­biquée selon laque­lle “la Turquie veut aider l’Afghanistan sans se pré­cip­iter pour recon­naître sa gou­ver­nance”, la vis­ite a pris une dimen­sion offi­cielle, vu sa médi­ati­sa­tion, et une prise de parole par­al­lèle d’Er­doğan annonçant que “le sou­tien se pour­suiv­rait”.

Côté Affaires Etrangères, Çavuşoğlu a “exorté” celles et ceux qui blo­queraient les avoirs financiers des Afghans à l’é­tranger de ne pas le faire. “L’é­conomie afghane ne doit pas s’ef­fon­dr­er” a‑t-il dit. Ils ont égale­ment offi­cielle­ment échangé sur le cas “des migrants afghans de Turquie qui voudraient ren­tr­er”, souhai­tant obtenir des “garanties” à ce sujet. Cela promet sans doute quelques expul­sions pos­si­bles sous cou­vert de “retour”. Enfin, le Min­istre turc affirme s’être fait porte-parole des “Pays musul­mans” en deman­dant le “retour des femmes au tra­vail” et “des filles à l’é­cole”.

Ces posi­tions poli­tiques sont très proches de celles qui sont énon­cées dans la bouche des dirigeants du G20 qui se sont pronon­cés dernière­ment pour une aide human­i­taire. L’UE, pour sa part a déjà promis de met­tre un mil­liard au pot com­mun. Les grandes envolées sur l’ac­cueil des migrant.e.s, vite con­tenues puis con­di­tion­nées, font déjà par­tie du passé.

Le ser­vice après vente de l’a­ban­don améri­cain se met en place, et le régime turc, bien que n’ayant pu obtenir une forte présence en admin­is­trant l’aéro­port de Kaboul, en com­péti­tion avec de plus “musul­mans” que lui côté Qatar, cherche à jouer un rôle région­al. Réus­sir à se ren­dre indis­pens­able, pour le régime turc, serait se redonner un sem­blant d’équili­bre, dans les rela­tions com­pliquées entre Biden et Poutine.

Aus­si le régime turc a‑t-il déployé le kilim.

Le min­istre des Affaires étrangères des Tal­iban, Amir Khan Mut­taqi reve­nait directe­ment de Doha, qui est dev­enue la base d’échanges diplo­ma­tiques, après avoir été celle des dirigeants tal­ibans en exil. Le fait qu’il voy­age en Turquie même est déjà un signe de recon­nais­sance réciproque, d’au­tant que le Min­istre turc aus­si déclaré qu’il rendrait la pareille dans un futur proche.

Le fait qu’il ait été accueil­li égale­ment par la Diyanet (chargée de gér­er le culte musul­man en Turquie) mon­tre par quel angle le régime turc prend le prob­lème et égale­ment l’im­por­tance crois­sante que prend celle-ci en Turquie, au sein de l’at­te­lage gou­verne­men­tal, et dans la poli­tique étrangère.

La délé­ga­tion tal­ibane a égale­ment ren­con­tre le “Crois­sant rouge”, pour affirmer leur accep­ta­tion, voire leur demande pro­pre, d’une aide human­i­taire qu’ils deman­dent de pour­suiv­re en Afghanistan. Le dégel des avoirs serait un plus, bien sûr.

Cette réal­ité en trompe l’oeil est en fait le fruit d’un rafis­to­lage inter­na­tion­al, après l’échec du départ améri­cain de Kaboul. C’est aus­si la preuve évi­dente d’une poli­tique de délé­ga­tion auprès de puis­sances régionales, des ques­tions à solder.

Le monde a bel et bien aban­don­né les pop­u­la­tions afghanes à leur sort, cela on le savait, mais on retrou­ve là main­tenant tous les ingré­di­ents géopoli­tiques per­me­t­tant ce qu’on appelle une “sta­bil­i­sa­tion régionale” et une bal­ance équili­brée dans les rap­ports de forces, où Iran et Pak­istan joueront des rôles “con­tenus”, alors que la Turquie pour­ra y déploy­er ses ailes cassées.

Une dernière image, sur ce bal des hyp­ocrites sera trou­vée dans les pro­pos de Mevlüt Çavuşoğlu, encore lui, repris par l’a­gence de presse Anadolu, agence offi­cielle la voix de son maître, en marge de la visite.

Nous avons don­né des con­seils au gou­verne­ment tal­iban. Nous avons encore une fois souligné qu’ils devaient être inclusifs pour assur­er l’u­nité du pays. Nous avons par­lé de l’im­por­tance d’in­clure des indi­vidus appar­tenant à des groupes eth­niques autres que celui des tal­ibans dans la nou­velle administration”

Non seule­ment le Min­istre se donne un rôle de grand frère, mais surtout, il donne des con­seils que le régime turc n’ap­plique surtout pas pour lui-même, turcité oblige. Les Kur­des de Turquie apprécieront ces belles paroles au niveau où elles doivent l’être.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…