La pro­gram­ma­tion du théâtre Max­im Gor­ki de Berlin et de son tout nou­veau lieu d’ex­po­si­tion a subi les avatars de la pandémie, comme toutes les man­i­fes­ta­tions dans les lieux cul­turels. L’ex­po­si­tion per­son­nelle d’oeu­vres de prison de Zehra Doğan s’est enfin ouverte au “Gor­ki Kiosk”, depuis le 2 juin 2021.

Cette expo­si­tion solo s’in­sère dans un ensem­ble : le 5. Berlin­er Herb­st­sa­lon 2021 – 2022 qui présente ain­si “Encore plus fort (Stronger Still), des expo­si­tions – instal­la­tions – causeries,  pro­jet qui englobe donc “Prison no. 5″, cette présente expo­si­tion avec des œuvres de Zehra Doğan,  “Silivri. Prison de la pen­sée(Silivri,. Prison of thought) et “Musée des petites choses”, (Muse­um of small things) tous deux organ­isés par Can Dün­dar, et l’ex­po­si­tion “Témoins(Wit­ness) avec des œuvres de Timur Çelik.

Les réal­i­sa­tions de Zehra, exposées ou présen­tées, cou­vrent la péri­ode 2016 à 2019. La majorité furent conçues en prison. Une par­tie con­cerne aus­si des oeu­vres de la péri­ode clan­des­tine, que Zehra a vécu entre deux empris­on­nements début 2017 à Istan­bul, et que le pub­lic européen con­nut à ce moment là sous le nom des “oeu­vres évadées” ou “les yeux grands ouverts”.

En effet, ces dernières furent mon­trées en France à Douarnenez, Angers, puis en Bre­tagne dans le Fin­istère, à Rennes, en Alle­magne à Wies­baden, et, sous la forme de repro­duc­tions cette fois à Det­mold, Graul­het, entre autres lieux, puis à Paris, en novem­bre 2019, à la galerie de l’E­space des Femmes, en présence de Zehra, dont les let­tres de prison “Nous aurons aus­si de beaux jours” venaient d’être éditées. Près d’une trentaine d’ini­tia­tives à ce moment là.

D’autres “oeu­vres de prison” sont en ce moment vis­i­bles en Ital­ie, au PAC de Milan, dans le cadre d’une expo­si­tion inti­t­uléeLe temps des papil­lons, après avoir été longtemps mon­trées au Musée de Bres­cia.

Vous trou­verez trace et détails de ces expo­si­tions et de bien d’autres dans le “dossier spé­cial Zehra Doğan” sur Kedis­tan, et pour­rez avoir un large aperçu ici sur le port­fo­lio de son site personnel.

Ain­si donc, Zehra Doğan, la jour­nal­iste et artiste, pour­suit-elle sa vie nomade, entre l’Eu­rope et le Kur­dis­tan, pra­ti­quant son art où elle excelle, mais sans céder aux sirènes d’une notoriété qu’elle a désor­mais acquise. Son Art est poli­tique parce qu’elle a con­nu l’op­pres­sion poli­tique sur les ter­res où elle est née, le Kur­dis­tan de Turquie,  depuis son plus jeune âge. Et, depuis son ado­les­cence, la lutte, elle l’a con­nue autour de Diyarbakir, puis comme femme jour­nal­iste, d’abord lors des exac­tions de Daech et de la ten­ta­tive de géno­cide des Yézidis, enfin, dans l’hor­reur des villes en état de siège de 2015. Tout cela lui valu la prison entre 2016 et 2019, pour couron­ner ces années.

Alors, dit-elle “Com­ment mon Art pour­rait-il s’af­franchir du poli­tique ?” et, “En tant que femme du Moyen-Ori­ent j’ai aus­si une oblig­a­tion de lutte, au delà-même de l’op­pres­sion de mon Peu­ple”.

  • Zehra Dogan Gorki exhibition by Ute Langkafel
    Zehra Doğan • Max­im Gor­ki (Pho­to © Ute Langkafel)

Qui a vu ou ver­ra ces expo­si­tions, lira Prison N°5, pour­ra dire que Zehra ne pra­tique pas un “art engagé”, mais est seule­ment entière dans son Art, qui ne trav­es­tit jamais le réel. Lisez donc la pré­face d’Elet­tra Stam­boulis, pour la paru­tion en Ital­ien de “Pri­gioni N°5”, et vous com­pren­drez mieux.

zehra dogan delcourt bd prison no 5 diyatrbakir amed graphic book

Voici le con­texte de cette expo­si­tion de Berlin qui se pour­suiv­ra en 2021, du 2  au 22 juin et du 24 juil­let au 22 août…

La com­mis­saire d’ex­po­si­tion est Sher­min Lang­hoff, pour la scéno­gra­phie, Pia Grüter, avec les con­seils de Erden Koso­va, Naz Öke et Ken Seng Ong.

En bonus, ce texte intro­duc­tif, fig­u­rant dans les doc­u­ments disponibles au pub­lic sur place, et quelques aperçus des deux autres expo­si­tions et réal­i­sa­tions qui don­nent à cet ensem­ble son relief.

  • Timur Çelik • Max­im Gor­ki “Wit­ness”

maxim gorki berlin

ZEHRA DOĞAN • PRISON N°5


 

Cette expo­si­tion est le fruit d’un tra­vail créatif et déter­miné, qui a trans­for­mé un empris­on­nement de près de trois ans en une résis­tance, vis­i­ble et pal­pa­ble ici.

La Prison : lieu d’isole­ment, univers de con­traintes extrêmes, devenu creuset de sub­ver­sion, d’émancipation, de résis­tances, et dans les faits, de création.

Je ne com­prends pas pourquoi on nous jette dans des pris­ons, nous en sor­tons encore plus fort.e.s.” dit Zehra Doğan. Con­damnée pour un dessin et une infor­ma­tion qu’elle a relayés, elle en a con­nu trois, de pris­ons… La prison de Mardin, la prison n°5 de Diyarbakır, sin­istrement surnom­mé la “geôle d’Amed” puis celle de Tarsus.

Ma rai­son de vivre est puis­sante. Alors pour moi ces murs devi­en­nent, chaque jour qui passe, de plus en plus immatériels” écrivait-elle déjà dans ses pre­mières let­tres qu’elle m’adres­sait depuis sa prison.

A tra­vers ces murs qui dis­parais­sent, le lien entre l’in­térieur et l’ex­térieur ne se bris­era jamais, mal­gré la cen­sure, inter­dits et sanc­tions. Car, “la vie coule comme une rivière au-delà des murs gris”. Elle puise sa force, de ses con­vic­tions et de la sol­i­dar­ité, en prison comme au dehors.

Ne pas pou­voir dessin­er, ne pas avoir accès à mon matériel, est pour moi une forme de tor­ture. Mais cet empêchement me pousse à être plus créative. Dans ce lieu, où tout est con­tin­uelle­ment lim­ité, où même un cray­on est dif­fi­cile à trou­ver, j’apprendrai peut‑être à créer à par­tir du néant.”

Alors Zehra crée, au milieu et col­lec­tive­ment avec ses amies de quarti­er. Par la mise en com­mun de sa pro­pre expres­sion artis­tique, dans cet intérieur clos, elle trans­forme le proces­sus de créa­tion en une per­for­mance de longue haleine. Son art est par­fois éphémère, mal­gré elle, lorsque l’ad­min­is­tra­tion de la prison trou­ve ses œuvres, et qu’elles sont con­fisquées, détruites.

Zehra crée. Un roman graphique et de nom­breux dessins, avec des pig­ments naturels inven­tés sur place, café, thé, cur­cuma, sang men­stru­el, sur des sup­ports de récupéra­tion, embal­lages, mais aus­si dos de let­tres, enveloppes reçues. Plus de 300 œuvres quit­tent clan­des­tine­ment la prison. Les tex­tiles qui lui sont four­nis ingénieuse­ment par sa mère, tra­versent les inter­dits comme linges pro­pres, et s’é­vadent comme linges sales…

Ces œuvres invi­tent depuis l’ex­térieur, et, une fois à l’intérieur, vous hap­pent, vous immer­gent dans l’u­nivers de Zehra. Un monde intérieur nour­ri de l’his­toire des ter­res sur lesquelles elle est née et a gran­di, de la cul­ture mil­lé­naire de son peu­ple et de sa lutte. Sa réflex­ion se con­stru­it sur un chemin de vie qu’elle trace au fur et à mesure. Son pro­pos prend forme à tra­vers le prisme de ses mul­ti­ples iden­tités, femme, Kurde, jour­nal­iste, artiste, activiste… Il est sub­limé par sa démarche plas­tique et ses matéri­aux de fortune.

Comme l’artiste, le vis­i­teur non plus, ne sort jamais indemne de cet intérieur carcéral.

Ici, l’ex­térieur et l’in­térieur se regar­dent, se retrou­vent. En vérité, ils ne se sont jamais per­dus de vue.

Naz Öke

 

L’ex­po­si­tion fut inau­gurée le 1er juin…

  • Can Dün­dar (Pho­togra­phie © Lutz Knospe)
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Image à la Une : Zehra Doğan • Max­im Gor­ki (Pho­to © Ute Langkafel)

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