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Zehra Doğan séjourne en ce moment au Kur­dis­tan et, vis­i­ble­ment, s’y ressource. Les images qui suiv­ent mon­trent la très forte énergie créa­trice qui l’anime, sur “ses ter­res”, comme elle se plaît à le dire et l’écrire.

Entourée d’artistes comme elle, de femmes qui, “sur ces ter­res” juste­ment sont ani­mées par une volon­té de lutte que les Kur­des énon­cent avec le voca­ble de jinéolo­gie, elle débat, retisse des liens, échange et crée.

Chaque jour devient jour de créa­tion, dans l’ate­lier à ciel ouvert du Kurdistan.

Elle avait été invitée par le Cen­tre de kur­dolo­gie de Souley­manieh pour débat­tre de l’Art et de l’ex­pres­sion des femmes. Ce même cen­tre lui a per­mis de réalis­er une per­for­mance artis­tique, organ­isée par le Cen­tre de recherche en jinéolo­gie, dans les locaux Cul­ture Fac­to­ry — Karge Kul­tur, anci­en­nement man­u­fac­ture de cig­a­rettes de Souley­manieh, qu’y s’y prê­taient bien.

Pen­dant et après la pro­jec­tion d’un court métrage qu’elle a réal­isé ces dernières semaines, court métrage sur “les meurtres de femmes”, qui donne tout son sens à la per­for­mance artis­tique, elle s’est servie de ses cheveux, de son corps entier, pour pein­dre avec rage, une toile grand for­mat, elle-même sup­port de la projection.

Le con­cept du film, tourné dans un cimetière de Souley­manieh, se résume ainsi :

Le deuil de la terre

Un immense cimetière en plein milieu de Souley­manieh, une grande ville de deux mil­lions d’habitants : le cimetière Saiwn…

Ici, il y a des mil­liers de tombeaux. Dans ce lieu décoré de fleurs, s’élèvent des stèles ouvragées qui font presque penser à une forêt.

Dans un angle de ce grand cimetière, une zone déserte, aride et lugubre, attire l’attention. Con­traire­ment aux autres, cette par­tie est d’une stéril­ité macabre. Ce con­traste donne la sen­sa­tion que le monde d’après la mort peut aus­si être pavé de pier­res dis­crim­i­na­toires. Comme si cette terre, silen­cieuse et grise, était en deuil.

La vue de ce ter­rain où près de deux milles dépouilles sont inhumées, comme jetées côte à côte, au hasard, pêle mêle, assombrit le coeur. Les iden­tités des per­son­nes enter­rées dans ce lieu, à la fois solen­nel mais autant sin­istre, sont incon­nues. Ces tombeaux, cha­cun à la taille d’un petit tombeau d’en­fant, et qui sont dis­per­sés, en désor­dre, appar­ti­en­nent à des femmes assas­s­inées. Cer­taines pier­res tombales por­tent des numéros. Quelques unes, rares, sont col­orées, comme peintes ultérieure­ment ou secrète­ment par un.e proche, pour la retrou­ver. La plus grande par­tie d’en­tre elles ne por­tent aucun signe. Mais elles ont toutes un point com­mun ; aucune des pier­res ne por­tent le nom de la défunte.

C’est Rauf, le gar­di­en du cimetière qui con­nait le mieux cet endroit. “Cer­taines, je les ai enter­rées de mes pro­pres mains. Cer­taines, trou­vées en pleine rue, tuées, d’autres, dont le corps a atten­du durant des mois dans une morgue. Toutes des femmes, toutes non iden­ti­fiées” dit-il. Il y a aus­si des tombeaux qui appar­ti­en­nent à des femmes ensevelies de nuit, par leur pro­pre assassin…

Ce cimetière est à Souley­manieh, mais les mêmes exis­tent aus­si à Hewler, et dans de nom­breuses autres villes d’Irak. Et les autorités de l’Irak et de Kur­dis­tan du sud, restent sans réac­tion devant cette situation…

Zehra Doğan

La per­for­mance artis­tique qui l’ac­com­pa­gne et le com­plète a donc été nom­mée par Zehra “le deuil de la terre”.

C’est une dénon­ci­a­tion des fémini­cides impunis.

Il sera bien­tôt pos­si­ble de retrou­ver Zehra Doğan au cours de ce pre­mier trimestre 2021 de plusieurs façons. En Alle­magne, à Berlin, le Théâtre Maxime Gor­ki exposera de façon con­séquente prin­ci­pale­ment des oeu­vres de prison, et les orig­in­aux de la bande dess­inée créée clan­des­tine­ment, déjà présen­tée à la XIe Bien­nale. Le musée d’Art Con­tem­po­rain de Milan, quant à lui, repren­dra une majeure par­tie de ce qui fut exposé longue­ment au musée de Bres­cia en 2020.

La bande dess­inée, juste­ment, “Prison n°5″, du nom de la geôle de Diyarbakır (Amed), paraî­tra égale­ment aux Edi­tions Del­court, dans les semaines qui viennent.

Les “écrits de prison”, “Nous aurons aus­si de beaux jours”, en français, parus aux Edi­tions des Femmes, sont tou­jours disponibles en librairie et le seront bien­tôt égale­ment en ver­sion italienne.

Zehra Doğan, infati­ga­ble, con­tin­ue ain­si à met­tre sa notoriété et son Art à dis­po­si­tion de la lutte des Kur­des et, prin­ci­pale­ment apporte une con­tri­bu­tion forte au com­bat des femmes. Elle ne conçoit pas sa lib­erté autrement…

 

  • Zehra Doğan

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