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La Bien­nale de Berlin, bien que vic­time col­latérale elle-aus­si de la pandémie de Covid-19, se pour­suit pour­tant en ce début d’automne.

Cette 11e édi­tion de la Bien­nale d’Art Con­tem­po­rain de Berlin fait donc de la résis­tance et, de fait, con­sacre une part de ses expo­si­tions à des artistes inter­na­tionaux qui n’ont ni le cray­on, ni l’œil, ni la langue dans leur poche.

Notre amie Zehra avait donc très logique­ment sa place au sein de cette 11e édition.

Bien que nom­bre de “per­for­mances” publiques aient été annulées, nom­bre d’ex­po­si­tions pren­nent place en qua­tre lieux de Berlin, dont un, où Zehra Doğan présente au pub­lic les 103 planch­es orig­i­nales d’une “bande dess­inée de prison”, réal­isée clan­des­tine­ment durant ses plus de deux années d’emprisonnement. Cette œuvre fait d’ailleurs l’ob­jet d’une édi­tion début 2021, en ver­sion française, aux Edi­tions Del­court, sous forme d’album.

Ces orig­in­aux exposés à Berlin, sous le titre “Xêzên Dizî” (dessins cachés en kurde) réal­isés avec les moyens aléa­toires de la prison, où le matériel d’art était inter­dit pour Zehra, se présen­tent sur papi­er craft, au for­mat des grandes let­tres qu’elle rece­vait de son amie et con­fi­dente Naz Oke. Cette cor­re­spon­dance, de plus de deux années, a été pub­liée en France, aux Edi­tions des Femmes, sous le titre “Nous aurons aus­si de beaux jours”, fin 2019. Vous la trou­verez en librairie.

Photos Kedistan
  • zehra dogan berlin biennale

Ecrits et bande dess­inée s’a­dossent pour décrire l’u­nivers car­céral en Turquie et apporter le con­texte his­torique de la lutte kurde, du com­bat des femmes, en plus du réc­it d’un quo­ti­di­en dif­fi­cile, mais comblé de solidarité.

Au fil des planch­es, qui se sont évadées elles aus­si une à une de la de la prison n°5 de Diyarbakır, surnom­mée “Geôle d’Amed”, sur­gis­sent des décen­nies de résis­tance kurde, que ces murs de pier­res ont vu pass­er. Cette bien­nale met­tra donc aus­si en lumière l’his­toire des Kur­des, dont on con­naît le nom­bre en exil en Alle­magne. (Lieu : Insti­tut KW pour l’art con­tem­po­rain. Berlin)

Avant cette bien­nale de Berlin, Zehra Doğan avait déjà été sol­lic­itée fin 2019, pour par­ticiper à une expo­si­tion col­lec­tive à New York, au Draw­ing Cen­ter, sur le thème de l’Art comme résis­tance à l’emprisonnement. Elle y a exposé entre autres des robes dess­inées et peintes en prison, avec ce qu’elle avait sous la main, et qui furent passées ensuite dans le linge sale.

  • zehra dogan

Ces années d’in­ter­dic­tion, qui furent des années de résis­tance par l’Art pour Zehra, le plus sou­vent col­lec­tive­ment avec ses co-détenues, ont finale­ment amené Zehra à pro­duire plus de 400 oeu­vres, sur des sup­ports très dif­férents, et avec des matéri­aux très com­pos­ites, dont l’u­til­i­sa­tion de sang men­stru­el, ce qui lui val­ut des “ennuis” supplémentaires.

Cette bande dess­inée,  dont le papi­er rap­pelle le jour­nal clan­des­tin réal­isé lors de sa précé­dente incar­céra­tion à Mardin, fait donc par­tie inté­grante de l’œu­vre orig­i­nale de Zehra Doğan, et doc­u­mente les actes de résis­tance des pris­on­nier-es à majorité kurde, dans les geôles de Turquie, et, comme toutes les autres réal­i­sa­tions de prison d’ailleurs, illus­tre le com­bat des femmes. A ce titre, l’expo­si­tion qui s’est tenue à Bres­cia (cat­a­logue disponible en Ital­ien) et se déplace cet automne au PAC Con­tam­po­rary Art Pavil­ion Milan, est là aus­si un com­plé­ment indissociable.

Mul­ti­forme, l’Artiste Zehra Doğan, la jour­nal­iste et la femme kurde, pour­suiv­ent inlass­able­ment leur œuvre, pour la lutte des femmes, pour le com­bat d’é­man­ci­pa­tion kurde, pour que rien ne s’oublie. 

L’Art, qui touche à l’in­time, est pour elle une arme de dénon­ci­a­tion massive.

Et quelle arme ! Pour qui a suivi le trait artis­tique de Zehra depuis 4 années, il est pos­si­ble d’écrire qu’elle con­stru­it au fil de ses oeu­vres un pan de l’Art con­tem­po­rain kurde, et au delà, de l’Art de résis­tance tout court, loin des ges­tic­u­la­tions de l’Art comp­tant pour rien.

Recevoir Zehra dans un ate­lier impro­visé, et assis­ter à dix jours de tra­vail acharné, voir et filmer des heures de créa­tion d’œu­vres inédites grand for­mat, qu’elle pré­parait fin juil­let pour une expo­si­tion ital­i­enne à Milan, organ­isée par Prom­e­teo Gallery, a fini de nous con­va­in­cre, comme si cela était encore néces­saire, de la force d’artiste qui est la sienne, de son immense tal­ent, de sa déter­mi­na­tion à faire enten­dre, aux côtés d’autres, une grande voix de l’Art de résistance.

  • Zehra Dogan biennale
    “Bigihêj” (Attein­dre), Zehra Doğan, Juil­let 2020, Angers. (Prom­e­teo Gallery. Milan) “Bigi­hêj” (To Reach) Zehra Dogan, July 2020, Angers. (Prom­e­teo Galery.Milan)

Exposée en Europe et aux Etats-Unis depuis 2016, avec ses “œuvres évadées” ou sa “péri­ode clan­des­tine”, soutenue par des pairs comme Banksy ou Ai Wei­wei, alors qu’elle était encore en prison, Zehra Doğan mesure aujour­d’hui la recon­nais­sance que lui appor­tent les milieux de l’Art, sans qu’elle n’ait besoin de se ven­dre au plus offrant, ni de trav­e­s­tir son com­bat de femme kurde. La tête pleine de pro­jets, son agen­da nomade en Europe l’amèn­era à bien d’autres ren­con­tres encore, où elle fera enten­dre son com­bat fémin­iste, son human­isme, et son attache­ment indé­fectible à ses ter­res kurdes.

Kedis­tan se tien­dra tou­jours à ses côtés pour vous en par­ler, du fait de l’ami­tié qui nous lie, et parce que les médias main­stream, en France notam­ment, regar­dent tou­jours ailleurs.

Cette par­tic­i­pa­tion à la 11e bien­nale de Berlin en annonce donc bien d’autres, chaque fois avec des sur­pris­es. A suiv­re donc…

zehra dogan berlin biennale

Pho­to : Barış Seyitvan


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