Zinar­in, de son véri­ta­ble nom Sel­ma Doğan, est née en 1972 dans la région de Der­sim. Elle a gran­di à Istan­bul et croisé le PKK durant sa sco­lar­ité. Elle le rejoint en 1992. Elle est tombée au com­bat le 04 sep­tem­bre 1997.

Voici un extrait de son jour­nal de guéril­la, dans lequel elle évoque le moment où elle gagne les zones de com­bat au Kur­dis­tan nord, avec la charge qui lui a été con­fiée, par Abdul­lah Öcalan, d’y dévelop­per un batail­lon féminin.

Zinar­in a écrit son jour­nal sous forme de let­tres à son amie et cama­rade Melisa. Ce jour­nal a été pub­lié en turc aux édi­tions Mezopotamya.

Le texte ci-dessous est une tra­duc­tion, à par­tir d’une pre­mière tra­duc­tion du turc vers l’anglais, sur le site Komun Acad­e­my : (par­tie 1, par­tie 2)


1 février 1997

Heftanin/Geliyê Pisaga

Ma chère amie,

Alors que je descendais une val­lée enneigée – je ne sais pas com­bi­en de fois j’ai glis­sé – je me suis sen­tie lourde, plein de nos­tal­gie et d’é­mo­tions. Mes ami.es n’é­taient pas avec moi. I.elles me man­quent. Pourquoi les pre­mières sec­on­des, les pre­mières heures de sépa­ra­tion et de nos­tal­gie ont-elles été si lour­des et douloureuses? Pourquoi ai-je eu une boule dans la gorge et pourquoi les larmes dans mes yeux ont-elles fail­li déborder?

A côté de moi mes cama­rades, dont l’ami­tié et la cama­raderie n’é­taient pas encore mis­es à l’épreuve, et pas encore prou­vées. I.elles étaient loin. Nous n’avions pas encore pleuré ensem­ble, pas encore ri ensem­ble. Nous n’avions pas encore dis­paru ensem­ble dans le labyrinthe com­plexe de la vie, et nous ne nous étions pas encore retrou­vés sur le bon chemin par la suite. Ces compagnon.nes d’armes étaient donc encore très loins de moi. J’é­tais comme un enfant qui s’é­tait per­du dans une branche du labyrinthe de la vie et qui gelait. Sur mon dos, je por­tais de bons et de mau­vais sou­venirs avec moi au lieu d’un sac à dos.

Au fur et à mesure que la dis­tance entre moi et mes ami.es gran­dis­sait, les sou­venirs deve­naient de plus en plus dif­fi­ciles. Sépa­ra­tions! Surtout la nôtre, ma très chère amie, que je trou­ve impi­toy­able. La douleur de ne jamais voir ceux qui restent est comme un couteau plan­té dans le cœur. Je n’aime pas les rup­tures. Mais qui les aime…

L’amour passe sa plus impor­tante épreuve lors des sépa­ra­tions. L’amour ne peut être créé que si vous ne l’ou­bliez pas, si vous le ren­forcez avec le désir et si vous élar­gis­sez votre cœur avec la force d’at­ten­dre les retrou­vailles. Et le plus grand désir est de ne pas être oublié. Quelle peur impi­toy­able d’être oublié! Est-ce la rai­son pour laque­lle les gens se don­nent des cadeaux avant une sépa­ra­tion et dis­ent les qua­tre mots codés “Ne le perdez pas”, qui sig­ni­fient en fait “Ne m’ou­bliez pas”? Oui, mes ami.es, mes cher.es cama­rades et vous, ma chère ami, je n’ou­blierai bien sûr pas.

J’ai des cen­taines de graines d’amour dans mon cœur et je dois laiss­er cha­cune grandir. Je suis dans une par­tie par­a­disi­aque de notre pays… et en même temps, je suis au moment d’un nou­veau départ. Une tran­si­tion aus­si brusque sera cer­taine­ment douloureuse. Mais mon cœur sup­port­era la douleur. Cette sépa­ra­tion, à laque­lle je suis hos­tile jusqu’aux os, se trans­formera en une douce nos­tal­gie, je le sais. Il doit en être ain­si, car je ne veux pas faire des gens que j’aime la rai­son de mes échecs. (Le sty­lo avec lequel j’écris m’a été don­né par mon ami Serkan. Le sty­lo est épuisé. Si vous saviez à quel point même cela m’at­triste. J’ai vrai­ment besoin de sur­mon­ter cette émo­tion.) Parce que pour moi, le suc­cès est la seule con­di­tion pour vous revoir. Je ne veux pas que les gens regret­tent de m’avoir aimé. Les gens qui m’ai­ment devraient en être fiers. La seule con­di­tion est le suc­cès de la révo­lu­tion. C’est la promesse que j’ai faite à tous mes cama­rades et c’est pourquoi je la tiens.

Il y a des tâch­es et des jours dif­fi­ciles devant moi. Peut-être que tout recom­mencera pour moi. La guerre, et le com­bat pour créer la vie dans la lutte. La pra­tique de la vie me fait face avec toute sa com­plex­ité et ses dif­fi­cultés. Je ne suis pas cen­sée trébuch­er d’a­vant en arrière comme un canard con­fus bat­tant des ailes. Ce n’est pas non plus ce que je veux faire.

Sauter dans les mul­ti­ples couch­es de l’océan de la vie, nag­er et se laiss­er flot­ter… Je dois faire ça, Mel­sa. Parce que j’ai des raisons his­toriques, con­tem­po­raines et per­son­nelles de le faire. Je veux me bat­tre avec con­vic­tion. Je veux me bat­tre avec l’en­ne­mi, avec l’ar­riéra­tion, avec le fait d’être sans foy­er qui m’a séparé de toutes les per­son­nes que j’aime, avec ce manque de lib­erté et toutes les iné­gal­ités et injus­tices, je veux me bat­tre. Peut-être que ces sépa­ra­tions ravivent les sen­ti­ments rebelles de soulève­ment en moi. Je veux me rebeller. Pourquoi sommes-nous oblig­és de nous sépar­er, pourquoi l’amour n’est-il vécu qu’à moitié, pourquoi l’humain ne peut-il pas aimer comme son cœur le veut?

C’est l’impi­toy­able rai­son de la rébel­lion. Je suis en colère con­tre la réal­ité. Et je ne l’ac­cepte pas. Je me bat­trai. Je planterai l’amour et me bat­trai pour une terre digne où nous ne serons plus jamais oblig­és de nous séparer.

Surtout, j’au­rais aimé que tu sois ici aus­si, et nous auri­ons pu nous bat­tre côte à côte. Mais parce que la réal­ité impi­toy­able a pris une par­tie de toi (les deux pieds de Mel­sa ont été amputés par la guerre) et que tu ne peux pas être ici à cause de cela, et que nous ne pour­rons pas respir­er le mer­veilleux air de cette mys­térieuse et mys­tique endroit ensem­ble, je suis en colère et je me battrai.

Ce n’est qu’ain­si que je pour­rai calmer les sen­ti­ments qui me font con­stam­ment penser : “Et si tu pou­vais venir?” Mes sen­ti­ments sont fous et dif­fi­ciles à con­trôler. Je suis une étrangère. Être seule dans un endroit incon­nu a ren­du tout encore plus dif­fi­cile pour moi. Mais je com­prends aus­si que ma présence ici est une expres­sion de la con­fi­ance du Par­ti en moi. Il y a un grand retard et des erreurs. Appa­raître au Par­ti comme un enfant qui pleure et se plaint est une erreur. Il me reste beau­coup à faire. Mel­sa, ce sont les petites choses ici qui font toute la dif­férence. Un petit détail peut men­er au suc­cès comme à la perte. Il est donc impératif que je devi­enne une per­son­ne organisée.

2 févri­er 1997

La guerre a com­mencé. J’ai assisté à une réu­nion de groupe hier. Nous y avons mis à jour une clique et exposé les dirigeants. L’ac­cusée est une femme intri­g­ante, qui a util­isé la ruse pour un.e commandant.e de groupe inexpérimenté.e et inoffensif.ve à utilis­er des méth­odes impar­faites, afin de s’en servir pour grimper les éch­e­lons et ain­si le/la faire tomber. Dans le proces­sus, elle a mon­té de très jeunes ami.es inexpérimenté.es con­tre le/la commandant.e qu’elle a réus­si à dépein­dre comme un mon­stre. Elle est tombée dans le piège qu’elle s’est tendue.

Après une longue et effi­cace péri­ode de pro­pa­gande sur la cama­raderie, elle est dev­enue de plus en plus con­crète. Dès le début, sa voix et son expres­sion faciale ne me sem­blaient pas crédi­bles. Une voix intérieure m’a dit: “Elle ne ressent pas ce qu’elle dit”. Vers la fin de son dis­cours, l’ac­cusée a révélé son atout et a sug­géré que le com­man­dant soit démis de ses fonc­tions et rédi­ge un rap­port d’au­t­o­cri­tique. Une fois de plus, la femme clas­sique est sor­tie avec toute son “orig­i­nal­ité”. Heureuse­ment, certain.es ont pris la parole, même s’ils n’ont pas tout à fait mis de côté leurs pro­pres cal­culs, dans la mesure où cela était dans leur pro­pre intérêt…

Sans trop touch­er aux deux — l’ac­cusé et le/la commandant.e en ques­tion -, i.elles ont touché à la vérité avec leurs cri­tiques et ain­si la sit­u­a­tion a pu être éval­uée, com­prise et révélée par nous. Nous sommes intervenu.es. La cul­pa­bil­ité de la femme a été établie. Nous avons exigé un rap­port. Tou.tes nos ami.es ont accep­té la propo­si­tion. L’ac­cusée a été assez intel­li­gente pour com­pren­dre que de nou­veaux efforts étaient inutiles. Elle regar­da le sol, très en colère, ambitieuse et trompeuse, comme un com­man­dant qui avait per­du mais n’avait pas encore com­plète­ment aban­don­né son atout. Elle ne sem­blait pas aban­don­ner rapi­de­ment. Mais j’étais calme, pais­i­ble et heureuse, car je savais qu’elle ne pou­vait pas influ­encer la volon­té de fer du Par­ti avec ses regards dérangeants, et que la femme libre et droite en développe­ment l’effrayerait plus qu’elle ne nous effrayait.

Hier comme aujour­d’hui, j’es­saye de com­pren­dre et d’é­val­uer instinc­tive­ment les con­nex­ions. Il faut être fort et droit dans la lutte des class­es. Ce n’est qu’ain­si que l’on peut gag­n­er. Pour être prise au sérieux, il faut être forte. Être con­trôlée, impul­sive, courageuse et con­tribuer à des solu­tions con­crètes est essen­tiel. Si vous essayez de men­er la lutte de classe pour des intérêts per­son­nels étriqués et pour de minus­cules raisons per­son­nelles, vous subirez et vous causerez des dom­mages. Il faut être très droit dans la lutte et revendi­quer le bien com­mun. C’est la seule façon de lut­ter avec suc­cès con­tre l’ar­riéra­tion. Je suis per­suadée que ce n’est pas pos­si­ble autrement. Aujour­d’hui, nous qui te con­nais­sons, avons encore par­lé de toi et regardé nos pho­tos. L’im­age de nous deux assis­es sous un arbre, cha­cune de nous ressem­blant à une feuille fanée à l’au­tomne. C’é­tait un jour où j’avais été blessée, et tu as pris tout ton temps pour me récon­forter… Ensuite, nous avons chan­té des chan­sons d’ami­tié. Ce jour-là, nous étions très mélan­col­iques car le temps heureux de notre ami­tié touchait à sa fin. Niet­zsche dit: “La mémoire est une blessure qui se puri­fie.” J’aime de plus en plus ce qu’il dit. Par­fois, j’ai l’impression qu’il me décrit.

Selma Doğan Zinarin

4 févri­er 1997

Nous sommes enfoncé.es dans la neige jusqu’à mi-hau­teur du dos. Et la neige con­tin­ue de tomber sans relâche. Si ce temps con­tin­ue, nous y serons jusqu’au cou ce soir. Parce que l’u­nité ne pou­vait pas venir d’en bas et que leurs tentes sont enneigées, nous ne pour­rons pas faire de cours aujour­d’hui. Les ami.es sont allé.es chercher du bois et nous avons net­toyé les tentes de la neige. Nous résis­tons à l’hiv­er, au froid et à la neige avec des tentes en plas­tique, ce qui n’est pas très utile. Peut-être que c’é­tait appro­prié il y a deux ans, mais main­tenant… Aujour­d’hui, nous pour­rions être dans des tun­nels et des grottes bien con­stru­its, mais à cause de notre paresse, de notre paresse et de notre stu­pid­ité, nous vivons dans ces con­di­tions. Un peu de neige ne viendrait pas sabot­er pas le rythme de nos vies. Avec nos amis, la volon­té de con­tin­uer le rythme même dans des con­di­tions dif­fi­ciles dimin­ue. Aujour­d’hui, par exem­ple, à cause de la neige, les gardes sur la colline et les unités de patrouille n’ont pas rem­pli leurs fonc­tions. Tout le monde pense qu’au­jour­d’hui il neig­era, et donc que l’en­ne­mi ne vien­dra pas.

6 févri­er 1997

La porte du four est ouverte. Les couleurs et les flammes inde­scriptibles, la vive lumière rouge qui scin­tille entre les brais­es rouge fon­cé me font me sen­tir sen­si­ble et pleines de pen­sées. Oui! Demain, je reprendrai mon sac sur le dos et par­ti­rai. Adieux et dis­cus­sions. Aller dans un nou­v­el endroit est “Un autre nou­veau départ de ma vie” — je dirai. Cette fois, je par­ti­rai pour Çiyayê Spî.

11 févri­er 1997

Voici le batail­lon de Çiyaye Sipi (une région du Kur­dis­tan) et voici l’unité des femmes… Après une marche de 26 heures dans la neige, le froid et le vent, nous sommes arrivées chez nous. Je suis dans le Par­ti depuis plus de qua­tre ans main­tenant et près d’un an et demi avec les guéril­las. Mais il est évi­dent que je n’ai pas vrai­ment vécu jusqu’à présent. Je vois que ce n’est que main­tenant que je fais un pas vers la guéril­la et que je n’en com­prends que main­tenant ses beautés, qui sont étroite­ment liées aux dif­fi­cultés. L’ac­tiv­ité de guéril­la de luxe est ter­minée. Il est pré­cieux de vivre la vraie vie de guérilla.

Hier, en chemin, nous sommes allées dans des vil­lages. Nous avons vu des gens au vis­age ami­cal et au regard effrayé, qui étaient man­i­feste­ment pau­vres et avaient le dos cour­bé. Ils étaient claire­ment emplis de peur. Ils se sont sen­tis oblig­és de nous féliciter et de dénon­cer le PDK: c’é­tait la pre­mière chose qu’ils ont faite quand ils nous ont vus. Comme s’ils l’avaient appris par cœur.

La réal­ité de notre peu­ple est très étrange. Com­bi­en de raisons trou­vons-nous pour ne pas être nous-mêmes et dans quelle mesure sommes-nous oblig­és de le faire? Ces gens nous aiment et dans des cir­con­stances nor­males, nous seri­ons leur seul chef à leur demande. Mais en rai­son des pres­sions intérieures et extérieures, tout ce qui les con­cerne est devenu très arti­fi­ciel. Nous dou­tons si nous devons croire leur amour ou non. Ils nous ont don­né des dattes et du pain et nous l’avons mangé en chemin. Ce fut l’un des meilleurs moments avec les guéril­las. Un des moments où je com­prends ce pour quoi je vis, où et comment.

Nous avons marché un peu. Devant nous se trou­vait une forêt de chênes épais d’où nous enten­dions des chants ani­més. C’é­tait la pre­mière fois que j’en­tendais de telles chan­sons dans les mon­tagnes. Je pen­sais qu’un lieu d’une telle beauté n’ex­is­tait que dans les pein­tures. Plus nous nous rap­pro­chions, plus les voix deve­naient fortes. Une ving­taine d’en­fants d’âges dif­férents se tenaient la main et dan­saient le halay. C’é­tait un jour de vacance. Quand ils nous ont vus, ils sont devenus encore plus vivants et tous ensem­ble ils ont chan­té: “Le sivaro, hey lele, hey lolo”.

Ensuite, ils nous ont accueil­lis chaleureuse­ment et nous ont adressé les con­grat­u­la­tions d’usage en ce jour férié. L’un d’eux a offert des cig­a­rettes et j’au­rais voulu les accepter. C’était un moment où j’aurais aimé fumer une cig­a­rette, mais je ne l’ai pas prise. Un enfant de qua­tre à cinq ans aux yeux immenses me regar­dait avec beau­coup d’in­térêt. Je lui ai demandé son nom, mais c’est un autre aux yeux bril­lants qui a répon­du: “Son nom est Héjar”. Il s’ap­pelait Ser­dar. J’ai offert à Hejar une petite pho­to du Prési­dent. Il était con­tent et hon­teux. Les enfants avaient attaché une grande bal­ançoire à l’un des chênes et m’ont invité à me bal­ancer. J’é­tais pris entre l’en­fant en moi et l’adulte que je devais être. Après quelques sec­on­des d’indé­ci­sion, j’ai calmé l’en­fant en moi qui voulait se bal­ancer, ai don­né la pri­or­ité à l’âge adulte et j’ai dit au revoir aux enfants. Pen­dant une autre heure encore, vous pou­viez les enten­dre se bal­ancer et chanter. J’ai regret­té mille fois, de ne pas m’être balancée…

Ensuite nous avons rejoint le batail­lon. Notre vie, la façon dont nous vivons, les endroits où nous habitons et cer­tains des événe­ments ici ne sont pas très agréables, cama­rade, enfin sou­vent ils ne le sont pas. Les méth­odes de cette lutte, que nous appelons la lutte des class­es, changent la vie de telle manière que vous ne la recon­nais­sez pas. De la duplic­ité, des potins et des per­son­nal­ités intri­g­antes se for­ment et devi­en­nent la méth­ode, au lieu de cul­tiv­er une cul­ture de par­ti­san, ou du moins c’est ce qui est essayé. Déjà le pre­mier jour de mon arrivée, même lorsque j’ai été envoyé pour la pre­mière fois, cer­taines choses me préoc­cu­paient; Je veux être ouverte pour toi. Lorsque le Prési­dent m’a con­fié la respon­s­abil­ité du YAJK dans cette région, il a dit que je devrais aus­si être active dans les autres domaines et ne pas être lim­itée. Bien que cela soit su, j’ai été exclue du con­seil exé­cu­tif général et placée unique­ment à la tête d’un groupe à Ciyaye Spî, qui est en fait un détache­ment mais est organ­isé comme une unité. Ils ont même refusé de m’ad­met­tre aux assem­blées régionales sous de faux pré­textes. L’u­nité se com­pose en fait de femmes qui n’ont jamais été déployées dans des groupes de com­bat aupar­a­vant, soit au total 30 amies. Ce n’est pas un prob­lème pour moi, c’est en fait un meilleur point de départ. Mais je crois que je peux trans­met­tre mes trois années de for­ma­tion et les grandes assem­blées du Par­ti aux­quelles j’ai assisté à un cer­cle plus large, et que c’est aus­si l’at­tente du Par­ti et du Prési­dent. Com­ment puis-je m’ex­pli­quer cela? Nous devons essay­er de le com­pren­dre poli­tique­ment. Voilà à quoi ressem­ble la lutte des class­es. Il y a des raisons pour lesquelles il en est ain­si. Je dois avoir plus de clarté à ce sujet et peut-être vous écrirai-je la rai­son plus tard.

Deux jours après mon arrivée ici, j’ai trou­vé néces­saire d’in­ter­venir dans cer­tains aspects de la vie de tous les jours; ce n’é­tait pas grand chose. Mais pen­dant mon absence, cela a beau­coup irrité la com­man­dante en charge du batail­lon. Des déci­sions qu’elle avait tacite­ment accep­tées lors de la réu­nion, elle les a alors, en les trans­met­tant à ses amis mas­culins, présen­tées comme si elle avait été con­tre et que j’avais lais­sé la com­man­dante d’un batail­lon faire n’im­porte quoi. J’é­tais estom­aquée, mais je lui en ai aus­si par­lé. Je lui ai dit indi­recte­ment que son com­porte­ment était ambigu; elle a com­pris. Le matin suiv­ant, son com­porte­ment avait changé.

Nous avons ici un ami intéres­sant, il s’appelle Bedir : “Quelles ques­tions spé­ci­fiques les femmes devraient-elles avoir qu’elles gar­dent secrètes des hommes et qu’elles essaient de résoudre entre elles?” Cet ami curieux me regarde d’une manière étrange. Il veut prob­a­ble­ment savoir ce que je vais devenir. Il est égale­ment très pru­dent envers le YAJK (branche armée du mou­ve­ment des femmes) et a de sérieuses craintes. Avant même que je ne com­mence le tra­vail, il m’a aver­ti de toute urgence, presque de manière menaçante: “Faites atten­tion.” J’au­rai prob­a­ble­ment des prob­lèmes avec cet ami commandant.

… C’est un mau­vais pressen­ti­ment, je sais, et je sais aus­si qu’il faut le sur­mon­ter, sinon ça fini­ra mal. Mais je me sens étrange dans cet endroit. Mon cœur veut être un oiseau et vol­er vers Zagros. À Xanx­urke et par­fois sur les mon­tagnes les plus puis­santes jusqu’à Der­sim et Mun­zur. Mon cœur pleure comme un orphe­lin, mon amour.

Une salu­ta­tion de toi

Laisse le print­emps venir sur les ailes des oiseaux

Au som­met du sanglant

Et de l’héroïque combat

Laisse le sang rouge se répandre

Faire ger­mer une rose

Qui s’ap­pellera ensuite “espoir”

Sous la nuit noire

Le soleil devrait fuir vers la terre

Le lait de l’e­spoir des mamelles

Pour le don­ner aux racines

17 févri­er 1997

Si je vous dis­ais main­tenant la con­fu­sion de mes sen­ti­ments, ma chère amie, vous ne sauriez recon­naître ni la colère, ni le dés­espoir, ni la tristesse, ni la haine, ni le désir, ni rien d’autre. Car tous les sen­ti­ments se fondent dans la haine. Per­sévérance, vengeance et déter­mi­na­tion. Oui! Je n’ai pas la force de vous dire mes sen­ti­ments, mais je peux vous faire part de mes pro­pres obser­va­tions. Com­ment l’homme et la femme asservie qui est son déguise­ment devi­en­nent de plus en plus laids. Comme ils devi­en­nent dégoû­tants. Ils me dégoû­tent. Si vous saviez à quel point ces hommes dégoû­tants, grossiers et vides me dégoû­tent. Ma haine pour les femmes col­lab­o­ra­tri­ces qui sont la seule rai­son pour laque­lle ces hommes exis­tent est encore plus forte.

Aujour­d’hui, ils étaient comme s’ils avaient rem­porté une vic­toire. Lorsque notre ami Metin a appris que les rap­ports d’ac­tiv­ité seraient séparés par unités, il nous a appelées et nous a dit que les rap­ports devaient être remis indi­vidu­elle­ment. Bien sûr, je n’ai pas détaché sa façon de faire de l’at­ti­tude mas­cu­line générale, des approches patri­ar­cales. Mais il faut dire que nos chers amis ont très bien util­isé cette oppor­tu­nité. A la radio, ils ont dit à leur ami Metin que je crée des dif­férences entre les hommes et les femmes du groupe et que j’empêche ain­si l’u­nité. Aux yeux des femmes, je nierais tout, je nierais moi-même le tra­vail devant moi et, de l’avis d’autres amis com­man­dants, j’in­ter­viendrais immé­di­ate­ment sans écouter les autres et j’u­tilis­erais les mau­vais­es méth­odes pour le faire. Après cela, bien sûr, il a réc­ité tous les lieux com­muns clas­siques. Cela ne ferait aucune dif­férence entre l’homme et la femme. Il n’y aurait pas trop de par­tic­u­lar­ités, seul l’emplacement du lieu serait pré­cis, mais la vie serait la même. Par con­séquent, les rap­ports d’ac­tiv­ité ne doivent pas être présen­tés séparé­ment, mais ensem­ble, et ain­si de suite. Nos amis mas­culins se sont ensuite sen­tis vic­to­rieux. Notre amie col­lab­o­ra­trice a observé les réac­tions très atten­tive­ment; elle aus­si a sup­posé qu’elle avait gag­né le pre­mier tour, et tout le monde pen­sait que je réa­gi­rais forte­ment et émo­tion­nelle­ment. Mais j’ai réprimé ma colère et agi de manière très con­trôlée. Je ne veux pas être con­sid­érée comme une femme faible, car je ne suis pas une femme faible. J’ai des prob­lèmes avec le choix et l’ap­pli­ca­tion des méth­odes, mais j’ai accep­té ce com­bat. Je ne capit­ulerai pas; mon estimé Prési­dent me donne de la force. Peu m’im­porte ce qu’ils me dis­ent, je sais que mon Prési­dent sera avec moi dans mon com­bat pour la lib­erté tant que j’y inve­sti­rai du tra­vail. Je suis con­va­in­cu qu’à la fin, la femme qui se libère gag­n­era. Cet événe­ment a ali­men­té encore plus ma pas­sion. Je vais le faire, même si je me fais dévor­er par ça, mes efforts vis­eront à être un souf­fle libre pour toutes les femmes, sans se plain­dre et sans pleur­er. Per­son­ne, ni un homme dégoû­tant ni une femme esclave et col­lab­o­ra­trice, ne parvien­dra à m’arrêter.

20 févri­er 1997

Cette phase me cause des dif­fi­cultés, et cela m’en causera encore plus. Mais je ne vais pas me laiss­er abat­tre. Les com­plex­es dégoû­tants et insat­is­faits de l’homme, l’al­ié­na­tion et l’esclavage de la femme d’une part et mes rêver­ies d’autre part, ma con­cen­tra­tion insuff­isante et la super­fi­cial­ité dans le développe­ment des sen­ti­ments et des pen­sées me causeront beau­coup de dif­fi­cultés. Je ne suc­comberai ni à l’homme, ni à la femme, ni à moi-même. Alors que je suis très déprimée et agitée à l’in­térieur, je sens que mes prob­lèmes à long terme se dépla­cent vers la lumière, vers la sor­tie, et qu’il y aura une explo­sion. Soit j’ac­cepterai ma pro­pre alié­na­tion ou celui des autres, ce qui sig­ni­fierait un échec face à l’his­toire, face au prési­dent et à tou.tes mes cama­rades, face à toutes les valeurs et beautés partagées. Ou je sor­ti­rai plus forte encore de cette sit­u­a­tion. Je remar­que que j’abor­de la con­struc­tion du par­ti (par­ty build­ing) avec des idées acérées. Je ressens le besoin d’une révo­lu­tion et d’une nou­velle vie, et je suis con­va­in­cu que c’est la manière de devenir un par­ti. J’ai honte de la paresse de mes pen­sées et de mes sen­ti­ments. Pour la pre­mière fois, l’idée de gag­n­er et de con­stru­ire le par­ti est consolidée.

Je con­damne mes sen­ti­ments fugaces à l’hori­zon du soulève­ment. Parce que je vois que mes fluc­tu­a­tions de sen­ti­ments sont très égoïstes, qu’elles dévorent mes sen­ti­ments, mon esprit, mes pen­sées, ma créa­tiv­ité et mon temps comme un mon­stre. (…) Oui, je me suis rebel­lée con­tre mes sen­ti­ments et mes rêves éphémères. Je me rends compte que pour vain­cre le monde extérieur, je dois d’abord me vain­cre moi-même. La colère con­tre moi-même, la colère con­tre tout ce qui nous con­tred­it, me ramène à moi-même. (…) Je sens la lumière après une phase douloureuse. Mel­sa, une per­son­ne ne peut pas vivre sans lumière. L’ob­scu­rité me donne envie de chercher la lumière comme une folle jusqu’à la mort. Je mour­rai ou j’embrasserai la seule lumière, la révo­lu­tion, Melsa.


Traduit par Loez
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