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Con­damné suite à un procès absurde et mené avec acharne­ment, le jour­nal­iste kurde Nuri Akman avait été con­traint de quit­ter la Turquie. Le soir du 19 novem­bre, la Roumanie a voulu l’ex­pulser , mal­gré sa demande d’asile, avec une cinquan­taine de migrants, dont 2 autres poli­tiques kur­des. 35 des 50 migrantEs arrêtéEs lors d’une descente de police dans un hôtel de Tim­ișoara furent expul­sés. L’ex­pul­sion du jour­nal­iste Nuri Akman, des hommes poli­tiques kur­des Lok­man Çoşkun, Ser­dar Bil­giç, et de deux autres deman­deurs d’asile kur­des de Turquie fut inter­rompue de justesse, à la fois grâce à la résis­tance des con­cernés, mais aus­si à une chaine de sol­i­dar­ité qui s’est très rapi­de­ment activée et qui fut efficace.

En mars 2019, le jour­nal­iste Nuri Akman est passé une pre­mière fois devant le juge, avec son con­frère Erdoğan Alayu­mat, accusés tous deux de “trahi­son et d’es­pi­onnage” ain­si que “d’ap­par­te­nance à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, pour avoir pho­tographié un lieu d’habi­ta­tion soupçon­né d’être un QG des ren­seigne­ments turcs (MIT). Le ver­dict du tri­bunal fut à la fois un acquit­te­ment pour ces accu­sa­tions et… la réou­ver­ture d’une nou­velle enquête pour les mêmes motifs… Ce nou­veau procès s’est ter­miné par une con­damna­tion à 6 ans 3 mois de prison. La Cour d’ap­pel a annulé la déci­sion. En 2020, un nou­veau procès fut ouvert, tou­jours avec les mêmes accu­sa­tions, et la pre­mière audi­ence annon­cée était pour le 21 Novem­bre. Un ordre d’ar­resta­tion fut lancé à l’en­con­tre de Nuri Akman. Face à cet acharne­ment, le jour­nal­iste a été obligé de quit­ter la Turquie…

Nuri Akman réus­sit à attein­dre la Grèce et y déposa sa demande d’asile. Le prob­lème est que dans les camps de réfugiés en Grèce, frap­pée de crise économique, les con­di­tions des deman­deurs d’asile sont très dif­fi­ciles, et les aides extrême­ment lim­itées. Sans per­mis de tra­vail, le temps d’at­tente pour l’asile allant jusqu’à deux, trois, voire qua­tre ans, devient inten­able. Nuri Akman essaya alors de se ren­dre dans un autre pays européen. En com­pag­nie d’autres migrants kur­des, dont Lok­man Çoşkun, Ser­dar Bil­giç, il pas­sa en Macé­doine, puis en Ser­bie, et arri­va en Roumanie.

Le 13 novem­bre, suite à une opéra­tion poli­cière dans un hôtel de la ville de Tim­ișoara, 50 migrantEs sont arrêtéEs. Les forces de sécu­rité les font atten­dre devant l’ho­tel durant 6 heures, dans le froid, mains menot­tées au dos.

Ils sont amenés d’abord à un lieu de déten­tion près de Tim­ișoara où il passeront 2 jours, sans nour­ri­t­ure, sans eau. Ensuite ils sont trans­férés vers un camp de réten­tion à Arad. Selon les témoignages des migrants que nous avons pu join­dre, “un long voy­age mains menot­tées au dos”, suivi de “fouilles à nuE”.

Un jeune kurde expul­sé, Y.S., témoigne : “Ils nous ont emmenés d’abord dans un cen­tre d’In­ter­pol, où ils ont con­tin­ué à nous faire atten­dre menot­tés, encore quelques heures, dans le froid. Ensuite, pen­dant deux jours, nous sommes restés sans avoir de quoi manger ni boire. Nos deman­des d’av­o­cat furent refusées et nos dossiers d’asile déposés ne fig­u­raient pas dans le sys­tème. De plus, un tra­duc­teur nous a men­acés en nous dis­ant ‘on va vous tuer’. 

Après deux jours passés dans cet endroit, nous avons été trans­férés dans un camp de réten­tion, dans la ville d’Arad. C’é­tait comme une prison. Un bâti­ment où se trou­vent de toutes petites cel­lules. Là, ils nous ont enfer­més dans les cel­lules, nous ont tor­turés avec des matraques. C’é­tait un traite­ment inhu­main. Nous enten­dions des voix d’en­fants depuis les étages plus bas. Il y avait aus­si un jeune mineur de 17 ans.”

Qua­tre jours plus tard, les autorités roumaines leur annon­cent qu’ils seront trans­férés dans un camp à Bucarest : “Nous avons pris la route dans la mat­inée, et c’est seule­ment en arrivant au ter­mi­nus, que nous avons com­pris que nous étions à l’aéro­port de Bucarest. Ils nous ont men­tis.” témoignent les uns… La ver­sion de S.Y. con­firme ces faits : “Le matin du 18 novem­bre, ils nous ont dit qu’ils allaient nous amen­er dans un autre camps à Bucarest et ils nous ont fait mon­ter dans un car. Nous sommes arrivéEs dans la soirée, à l’aéroport.”

Les 35 per­son­nes furent for­cées de mon­ter dans l’avion. Cer­tains des migrants, en pos­ses­sion de leur pièce d’i­den­tité, se voient en refus de deman­der asile sous ce pré­texte. Cer­tains mon­tent dans l’avion. Cinq d’en­tre eux résis­tent : Nuri Akman, Lok­man Çoşkun, Serbest Derin, le jeune Y.S. et un homme âgé. Y.S. con­tin­ue : “Mal­gré le fait que nous leur disions que nous voulions deman­der asile, ils nous ont mis dans l’avion. Moi et le vieil oncle avions nos cartes d’i­den­tité, alors ils nous ont fait mon­ter dans l’avion, en usant de la vio­lence”. Souf­frant de mal­adies chroniques, et son état de vieil­lesse ne lui per­me­t­tant pas de tenir longtemps, la per­son­ne âgée est mise dans l’avion. Quant au jeune Y.S., il dit “Quelqu’un m’a frap­pé der­rière la tête. J’ai per­du con­nais­sance et lorsque j’ai ouvert mes yeux, j’é­tais dans l’avion”.

Nuri Akman, Lok­man Çoşkun, Serbest Derin pren­nent le risque de recevoir les coups et con­tin­u­ent de résis­ter.  Dans le même temps, prév­enuEs, leurs nom­breux con­frères et con­soeurs, des sou­tiens, réagis­sent, com­mu­niquent et dénon­cent sur les réseaux soci­aux, ces pra­tiques vio­lentes de la Roumanie : demande d’asile en cours, ils ne peu­vent être ren­voyés en Turquie. Leur expul­sion est totale­ment illé­gale. Un avo­cat est dépêché à l’aéro­port, mais il n’est pas autorisé à les voir, aucune infor­ma­tion ne lui a été donnée…

Nous apprenons ce matin, que Nuri Akman, Lok­man Çoşkun, Serbest Derin, sont envoyés dans un camp de réten­tion près de Bucarest. Ils donc sont ensem­ble et vont bien. Leur demande d’asile sera pris en charge par la Roumanie.

Donc une affaire à suivre…

Un deman­deur d’asile est une per­son­ne qui dit être réfugiée mais qui n’a pas encore obtenu ce statut dans le pays auquel elle réclame l’ac­cueil.” C’est là une déf­i­ni­tion que recon­naît la Roumanie, état de droit, mem­bre de l’U­nion Européenne. A ce titre, elle se doit de respecter les con­ven­tions qu’elle a signée, même si le texte relatif au droit d’asile (Loi 122/2006, art. 4) a subi des mod­i­fi­ca­tions. La Roumanie dans l’UE n’est pas par­ti­c­ulière­ment un pays où les demandeurs/ses afflu­ent. Très peu de migrants restent sur le ter­ri­toire roumain.

En Roumanie, pour obtenir le statut de réfugié, les deman­deurs d’asile doivent d’abord accom­plir une étape admin­is­tra­tive qui com­prend l’analyse du dossier per­son­nel et des entre­tiens indi­vidu­els. Si la demande d’asile est refusée, ils ont la pos­si­bil­ité de recourir à la démarche judi­ci­aire en vue de l’évaluation de leur sit­u­a­tion par les instances habil­itées. Durant le proces­sus d’évaluation de leur sit­u­a­tion, les deman­deurs d’asile sont logés dans les rési­dences des cen­tres d’accueil et béné­fi­cient d’une aide médi­cale et d’une allo­ca­tion men­su­elle d’environ 30 euros – un mon­tant insuff­isant pour un niveau de vie décent ; ils n’ont pas le droit de travailler.

On mesure là à quel point la dif­férence entre les “textes” et la pra­tique est grande, en Roumanie comme ailleurs, et surtout le car­ac­tère illé­gal des pra­tiques de refus d’in­stru­ire les deman­des et d’ex­pulser manu mil­i­tari, comme c’est le cas.

Les crispa­tions iden­ti­taires des états européens, qui ont fer­mé les routes de l’ex­il, au prix de dizaines de mil­liers de morts, et ont en par­tie con­fié les clés au régime turc, amè­nent au non respect de tout engage­ment vis à vis de la Con­ven­tion de Genève. Cette UE renie ses pro­pres “valeurs fon­da­tri­ces” et, alors qu’elle met en avant “la ques­tion migra­toire”, con­tin­ue de com­mercer avec les fau­teurs de guerre et de mis­ère, pour­voyeur d’exils.


Image à la Une : A gauche Nuri Akman, à droite du haut en bas, Lok­man Çoşkun, Serbest Derin.

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