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Un pre­mier retour, après l’ap­pel à l’aide de juil­let 2020 lancé par l’U­ni­ver­sité du Roja­va, et les réac­tions qu’il a suscitées.

Gulistan Sido, de l’Université de Rojava :
“Ce qui est très important pour nous, c’est de voir qu’il y a une volonté de nous aider”

L’u­ni­ver­sité du Roja­va a récem­ment lancé un appel à sou­tien aux uni­ver­sités et aux uni­ver­si­taires du monde entier. RIC a inter­viewé Gulis­tan Sido, respon­s­able des rela­tions extérieures de l’U­ni­ver­sité du Roja­va, pour en savoir plus sur son his­toire, ses pro­jets futurs et sur les défis aux­quels cette uni­ver­sité est actuelle­ment confrontée.

Pour voir la vidéo de présen­ta­tion de l’U­ni­ver­sité du Roja­va, cliquez ici.

Pour­riez-vous vous présenter ?

Je m’ap­pelle Gulis­tan Sido. Je suis orig­i­naire d’Afrin. Je suis née à Alep, j’y ai fait mes études, puis plus tard en France. Lorsque les événe­ments ont com­mencé en Syrie en 2011, je tra­vail­lais dans des insti­tuts de langue kurde. Lorsque la révo­lu­tion du Roja­va a débuté le 19 juil­let 2012, à Kobanê, elle a entraîné des change­ments dans de nom­breux domaines. C’é­tait une révo­lu­tion sociale, une révo­lu­tion des femmes, mais aus­si une révo­lu­tion linguistique.

Dans d’autres par­ties de la Syrie, la révo­lu­tion s’est mil­i­tarisée et s’est trans­for­mée en chaos, comme c’est encore le cas encore aujour­d’hui, entraî­nant la destruc­tion des prin­ci­pales infra­struc­tures du pays. Durant cette péri­ode, j’ai tra­vail­lé dans le can­ton d’Afrin et nous avons fondé le pre­mier insti­tut de langue et de lit­téra­ture kurde, Viyan Ama­ra, en 2013. L’in­va­sion turque nous a con­traints à quit­ter la région, et j’ai rejoint l’U­ni­ver­sité du Roja­va à Qamiş­lo, où je suis respon­s­able main­tenant des rela­tions internationales.

Pou­vez-vous nous racon­ter l’his­toire de l’U­ni­ver­sité du Roja­va sur Qamişlo ?

L’U­ni­ver­sité du Roja­va à Qamiş­lo a été fondée en 2016. C’est la deux­ième expéri­ence dans l’en­seigne­ment supérieur [depuis le début de la révo­lu­tion] car il y a eu une pre­mière uni­ver­sité fondée en 2015 à Afrin. Nous avons com­mencé avec peu de dis­ci­plines (au départ, prin­ci­pale­ment la langue et la lit­téra­ture kur­des, l’a­gri­cul­ture et la pétrochimie). Pro­gres­sive­ment, nous avons ajouté d’autres matières et l’u­ni­ver­sité s’est dévelop­pée. Bien­tôt, nous allons ouvrir un départe­ment de langue et de lit­téra­ture arabes. Nous avons un règle­ment écrit et une charte interne pré­cisant les fonde­ments de notre sys­tème édu­catif et les valeurs sur lesquelles il repose. Nous con­sid­érons que notre uni­ver­sité est le fruit de la révo­lu­tion, nous ne pou­vons donc pas sépar­er sa fon­da­tion du proces­sus révo­lu­tion­naire qui a com­mencé ici. Nous cher­chons égale­ment à amélior­er notre sys­tème édu­catif en con­tac­tant d’autres uni­ver­sités pour savoir com­ment elles fonc­tion­nent, mais nous ne voulons pas nous sépar­er de notre cul­ture locale, qui est très impor­tante pour nous.

Peu à peu, nous avons ajouté d’autres matières et l’université s’est agrandie. Bientôt, nous allons ouvrir un département de langue et de littérature arabes.

Quel genre de dif­fi­cultés avez-vous ren­con­tré et com­ment se présente la sit­u­a­tion actuelle ?

Nos con­di­tions de tra­vail ont été très dif­fi­ciles, prin­ci­pale­ment à cause de la guerre et des prob­lèmes de sécu­rité inhérents, mais nous avons pro­gressé petit à petit. Nous avons accueil­li des étu­di­ants africains qui n’avaient pas pu ter­min­er leurs études à cause de l’in­va­sion. Nous accueil­lons des étu­di­ants de toutes les régions de l’ad­min­is­tra­tion autonome du nord-est de la Syrie. Jusqu’à présent, plus de 1500 étu­di­ants ont pu venir ici depuis la créa­tion de l’u­ni­ver­sité. Les chiffres con­cer­nant le nom­bre d’é­tu­di­ants inscrits changent chaque année, égale­ment en fonc­tion de la sit­u­a­tion. Mal­heureuse­ment, lorsqu’il y a des atten­tats, de nom­breux étu­di­ants quit­tent l’u­ni­ver­sité. Il leur est dif­fi­cile de pour­suiv­re leurs études dans ces con­di­tions. Actuelle­ment, il y a env­i­ron 250 diplômées, prin­ci­pale­ment en Jinéolo­gie, en agri­cul­ture et en lit­téra­ture kurde. À l’avenir, nous envis­ageons d’ou­vrir un cours de troisième cycle en maîtrise et en doc­tor­at. Pour l’in­stant, nous sommes con­fron­tés à un manque de spé­cial­istes qui pour­raient enseign­er. À cause de la guerre, les pro­fesseurs et les diplômés de l’en­seigne­ment supérieur ont quit­té le pays.

Malheureusement, lorsqu’il y a des attaques, de nombreux étudiants quittent l’université. Il leur est difficile de poursuivre leurs études dans ces conditions. À cause de la guerre, les professeurs et les diplômés ont également quitté le pays.

Nous faisons donc de l’en­seigne­ment supérieur avec nos pos­si­bil­ités actuelles et avec des gens qui ont étudié à Damas et à Alep. Nous essayons de faire venir des enseignants parce qu’il y a une réelle pénurie à ce niveau.

Com­ment l’U­ni­ver­sité du Roja­va est-elle organisée ?

Comme dans toute insti­tu­tion créée au Roja­va après le début de la Révo­lu­tion, nous fonc­tion­nons avec dif­férents con­seils et comités. Nous organ­isons égale­ment des con­grès et des assem­blées générales chaque semes­tre, au cours desquels nous débat­tons des prin­ci­pales ori­en­ta­tions et de nos méth­odes d’en­seigne­ment. Nous prof­i­tons de ces moments pour éval­uer notre sys­tème éducatif.

Nous dis­posons d’un con­seil autonome de femmes tra­vail­lant à l’u­ni­ver­sité. Nous avons des procé­dures dis­tinctes et un con­seil au sein duquel nous prenons des déci­sions sur les choses qui nous con­cer­nent et dis­cu­tons de nos prob­lèmes, en l’ab­sence d’hommes. Il existe égale­ment un con­seil autonome des étu­di­ants parce que nous pen­sons qu’il est néces­saire de don­ner de l’im­por­tance à leur rôle dans le proces­sus de prise de déci­sion. Chaque départe­ment a des représen­tants des étu­di­ants qui siè­gent aux con­seils avec les pro­fesseurs. Même si nous avons encore des dif­fi­cultés et des lacunes au niveau académique, nous croyons en notre pro­jet. Nous croyons qu’il est pos­si­ble de chang­er la men­tal­ité de chaque généra­tion. Après seule­ment 4 ans d’ex­is­tence, nous avons beau­coup de défis à relever.

Gulistan Sido

Gulis­tan Sido

Quelle est la place des dif­férentes langues par­lées au Roja­va dans le sys­tème d’en­seigne­ment supérieur ?

En Roja­va, il y a trois langues prin­ci­pales : l’arabe, le kurde et l’assyrien. Dans le con­trat social, nous avons pré­cisé que chaque groupe eth­nique peut appren­dre dans sa langue mater­nelle. Dès l’é­cole pri­maire, nous don­nons la pri­or­ité aux langues. Chaque enfant apprend dans sa langue mater­nelle mais il y a aus­si des cours pour qu’il puisse appren­dre les langues des autres. Tout cela n’é­tait pas per­mis dans le sys­tème édu­catif du régime.

En ce moment, à l’u­ni­ver­sité, nous avons deux langues, l’arabe et le kurde. Mais nous voulons faire de la place pour toutes les autres. Et bien sûr, les portes sont ouvertes pour les amis assyriens s’ils veu­lent ouvrir un départe­ment de langue et de lit­téra­ture. Nous pen­sons à tout le monde, les portes sont ouvertes à tout le monde. L’im­por­tant, c’est de don­ner à cha­cun le droit d’é­tudi­er dans la langue qu’il veut.

C’est une région très riche [en cultures et en langues] et nous devons créer un institut pour recueillir toute cette diversité. Nous pensons à mettre en place un système multilingue et multiculturel qui représente la mosaïque de notre région.

Nous allons égale­ment ouvrir un insti­tut pat­ri­mo­ni­al cul­turel local dédié à la col­lecte de textes, de con­tes, de lit­téra­ture orale et de chan­sons pour chaque langue locale. C’est une région très riche et nous devons créer un insti­tut pour recueil­lir toute cette diver­sité. Nous pen­sons met­tre en place un sys­tème mul­ti­lingue et mul­ti­cul­turel qui représente la mosaïque de notre région. Ici, nous sommes très liés les uns aux autres. Nous vivons ensem­ble depuis plusieurs mil­liers d’an­nées, nous ne devons pas nég­liger cette richesse. C’est un pat­ri­moine cul­turel qui doit être préservé.

Quelles sont vos rela­tions avec les autres uni­ver­sités syriennes ?

En Syrie, nous n’avons aucun lien avec les uni­ver­sités d’Alep et de Damas, car au niveau poli­tique, le régime ne recon­naît pas notre admin­is­tra­tion. Le par­ti Baas garde tou­jours sa men­tal­ité, basée sur la répres­sion et le déni des autres ; il n’ad­met qu’une seule nation, un seul dra­peau, une seule langue… Notre par­a­digme est com­plète­ment dif­férent, il est donc com­pliqué d’établir des rela­tions avec eux. Notre mod­èle est conçu pour répon­dre aux besoins de la société. Les uni­ver­sités de Damas et d’Alep sont recon­nues mais, pour établir des rela­tions avec nous, elles dépen­dent du statut poli­tique de cette région. De notre côté, nous n’avons pas de recon­nais­sance admin­is­tra­tive de l’É­tat syrien. Cela explique pourquoi nous n’avons pas de rela­tions avec les autres uni­ver­sités syri­ennes. Ce n’est pas la même con­cep­tion du sys­tème édu­catif ou de la diver­sité. Nous accep­tons les autres, mais ils ne nous acceptent pas.

Cette sit­u­a­tion vous amène-t-elle à regarder plus loin, à voir au-delà des lim­ites ter­ri­to­ri­ales de la Syrie ?

Nous essayons de franchir les fron­tières en tant qu’in­sti­tu­tion éduca­tive. Pour ouvrir des portes et trou­ver de nou­velles voies. Nous voulons établir des rela­tions avec des uni­ver­sités qui parta­gent nos valeurs, des valeurs d’é­man­ci­pa­tion comme la libéra­tion des femmes, la démoc­ra­tie, le mul­ti­cul­tur­al­isme, l’é­d­u­ca­tion laïque. Ces valeurs fon­da­men­tales que nous por­tons dans notre pro­jet, avec lesquelles nous allons frap­per aux portes d’autres uni­ver­sités dans le monde. La révo­lu­tion du Roja­va est con­nue depuis quelques années main­tenant parce que notre région s’est ren­due célèbre par la résis­tance qu’elle a opposée à ISIS. Mais il est égale­ment temps de présen­ter l’ex­péri­ence poli­tique du Roja­va sous tous ses aspects et pas seule­ment son côté mil­i­taire. La révo­lu­tion sociale et la libéra­tion des femmes sont des aspects essen­tiels, tout comme notre sys­tème d’éducation.

Même si la situation mondiale est compliquée à cause de Covid-19, ce qui est très important pour nous, c’est de voir qu’il y a cette volonté de nous aider. Cela nous donne une grande force et nous encourage à persévérer.

Vous avez récem­ment lancé un appel au sou­tien au niveau inter­na­tion­al, pou­vez-vous nous en dire plus ?

Le 19 juil­let 2020, à l’oc­ca­sion du 8e anniver­saire de la révo­lu­tion du Roja­va, nous avons lancé une grande cam­pagne de sol­i­dar­ité inter­na­tionale. Notre appel s’adresse à toutes les per­son­nes du monde académique qui pour­raient nous aider. Soutenir la résis­tance au Roja­va implique égale­ment de soutenir l’é­d­u­ca­tion. Cela fait un mois que nous avons lancé cette cam­pagne et nous avons déjà reçu un sou­tien très impor­tant. Il y a une très forte sol­i­dar­ité inter­na­tionale, tout le monde veut nous aider. Même si la sit­u­a­tion mon­di­ale est com­pliquée à cause de la Covid-19, ce qui est très impor­tant pour nous, c’est de voir qu’il y a cette volon­té de nous aider. Cela nous donne une grande force et nous encour­age à per­sévér­er. C’est pourquoi je prof­ite de cette inter­view pour trans­met­tre mes remer­ciements à tout le monde.

Quel type de sou­tien inter­na­tion­al avez-vous reçu ?

Dans notre appel, nous men­tion­nions plusieurs façons par lesquelles d’autres peu­vent nous aider. La pre­mière chose sur laque­lle nous tra­vail­lons est une grande col­lec­tion de livres et d’ar­ti­cles sci­en­tifiques car nous avons besoin de références dans notre bib­lio­thèque. Le prin­ci­pal prob­lème que nous ren­con­trons dans ce domaine est de faire venir tous ces livres ici, car nous avons reçu de nom­breux dons du monde entier.

Tout type de con­tenu est le bien­venu. De nom­breux uni­ver­si­taires pro­posent de don­ner des con­férences et d’or­gan­is­er des sémi­naires. Nous sommes égale­ment en con­tact avec des groupes de tra­vail afin de recevoir des con­seils académiques et d’amélior­er notre sys­tème édu­catif. Nous recher­chons un sou­tien par­ti­c­uli­er dans les domaines des sci­ences sociales et des études de genre, car nous allons bien­tôt ouvrir un insti­tut pour enseign­er ces dis­ci­plines. Nous sommes con­fron­tés à un défi majeur en ce qui con­cerne les langues. Même si nos étu­di­ants appren­nent des langues étrangères, nous avons besoin de tra­duc­teurs pour ren­dre cer­tains con­tenus édu­cat­ifs plus acces­si­bles. Pour organ­is­er les prochaines étapes, nous allons lancer des comités de tra­vail pour les dif­férentes formes de sol­i­dar­ité, afin de coor­don­ner les mécan­ismes d’aide. Nous pour­rons donc bien­tôt don­ner plus de détails sur les pos­si­bil­ités con­crètes de nous aider.


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