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En Turquie, est présen­té en ce moment un pro­jet de loi qui per­me­t­trait la créa­tion de plusieurs “bar­reaux” dans des villes comp­tant plus de 5 000 avo­cats inscrits.

Prévoy­ant ain­si la créa­tion de plus d’un bar­reau dans une juri­dic­tion, le pro­jet de loi sur les amende­ments à la loi sur le statut des avo­cats et à cer­taines autres lois a été soumis au bureau du prési­dent du Par­lement le 30 juin au matin. Le pou­voir AKP s’ef­force de faire adopter le texte le plus rapi­de­ment pos­si­ble, avant que par­lement ne ferme ses portes pour les vacances par­lemen­taires. Ain­si, le prévoit-il, le nou­veau sys­tème entr­erait en vigueur dès les prochaines élec­tions des bâton­niers, prévues début octo­bre 2020.

Selon ce pro­jet de loi con­cer­nant la “plu­ral­ité des bar­reaux”, pré­paré con­join­te­ment par les députés du Par­ti de la jus­tice et du développe­ment (AKP) et du Par­ti du mou­ve­ment nation­al­iste (MHP) au pou­voir, les avo­cats pour­raient s’in­scrire dans le bar­reau de leur choix s’il existe plus d’un bar­reau dans la ville. Le pro­jet de loi prévoit qu’un bar­reau serait créé par un min­i­mum de 2 000 avo­cats s’il y a plus de 5 000 avo­cats dans une ville.

Selon les chiffres de l’U­nion des bar­reaux turcs (TBB), alors que 17 598 avo­cats sont inscrits au bar­reau d’Ankara, 46 052 avo­cats sont inscrits au bar­reau d’Is­tan­bul et 9 612 avo­cats au bar­reau de Izmir. Le nom­bre total d’av­o­cats enreg­istrés dans le pays est de 127 691. Ce pro­jet de loi, “visant à scinder les bar­reaux”, devrait affecter ces trois bar­reaux qui comptent plus de 5 000 avocats.

Selon les avo­cats, l’ob­jec­tif du pou­voir est de divis­er les avo­cats et surtout de bris­er l’op­po­si­tion que les grands bar­reaux mon­trent depuis plusieurs années, con­tre les réformes du pou­voir. Ils dénon­cent la main­mise sur le sys­tème judi­ci­aire, avec des purges suc­ces­sives ou des révo­ca­tions ponctuelles, et les nom­i­na­tions des juges et pro­cureurs alliés. L’indépen­dance du Juridique étant déjà dou­teuse et s’ex­erçant tel le bras juridique du pou­voir AKP, la créa­tion de plusieurs bar­reaux, dont cer­tains seraient inévitable­ment soutenus, voire financés par le pou­voir, est impensable.

Le 30 juin dernier, le jour même de la soumis­sion du pro­jet au par­lement, à l’ap­pel du Bar­reau d’Istanbul, des cen­taines d’av­o­cats se sont rassem­blés devant le Palais de jus­tice Çağlayan à Istan­bul et ont protesté con­tre ce pro­jet de loi qui “divis­era les barreaux”.

Les avo­cats ont égale­ment ailleurs ten­té de se ral­li­er au mou­ve­ment et ont défilé en signe de protes­ta­tion dans la province méditer­ranéenne d’Adana, en Turquie. La police est inter­v­enue, une agi­ta­tion s’en est suiv­ie et la police a util­isé du gaz lacrymogène.

Lors du rassem­ble­ment devant le tri­bunal d’Is­tan­bul le 30 juin, des cen­taines d’av­o­cats ont scan­dé le slo­gan “La défense ne s’est pas tue, elle ne se taira pas” et à Istan­bul le bâton­nier du bar­reau Mehmet Durakoğlu s’est adressé à la foule : “Ils dis­ent que nous faisons de la poli­tique. Pou­vez-vous me dire dans quel pays c’est un crime de faire de la poli­tique ? Ils veu­lent que les avo­cats ne par­lent pas de poli­tique. Nous en par­lerons jusqu’à notre mort. Nous devons revendi­quer les droits humains. Il est de notre devoir de pro­téger l’É­tat de Droit. Je m’adresse à Ankara d’i­ci : Les bar­reaux ne peu­vent pas rester silen­cieux. Ankara doit le savoir. Nous n’obéis­sons pas, nous ne plions pas.”

Durakoğlu a égale­ment fait référence au référen­dum con­sti­tu­tion­nel de 2010 dans le cadre de la Con­frérie du prêcheur Gülen, ancien ami, actuel enne­mi d’Erdoğan, et nom­mé depuis leur con­flit “l’Organisation ter­ror­iste féthul­lahiste (FETÖ)”, et qui est tenue pour respon­s­able de la ten­ta­tive de coup d’É­tat ratée du 15 juil­let 2016. “Lors du référen­dum de 2010, nous avons dit : ‘Ne faites pas ça, vous remet­tez le pou­voir judi­ci­aire au FETÖ’. Ils nous ont dit : ‘Vous ne pou­vez pas dire le FETÖ, vous devez dire M. Hod­ja’. C’est aus­si un pro­jet du FETÖ ! Gardez cela à l’e­sprit. C’est un pro­jet prévu avec le référen­dum de 2010.”

Nous respecterons tou­jours la volon­té de la Grande Assem­blée nationale de Turquie (TBMM), mais nous nous adresserons aus­si à ceux qui ten­tent d’u­tilis­er le pou­voir lég­is­latif comme une arme et leur expli­querons qu’il va revenir en arrière sous la forme d’un boomerang. Nous leur rap­pellerons cela. C’est notre droit démoc­ra­tique. Nous utilis­erons ce droit jusqu’au bout. Nous prou­verons que ce pro­jet de loi est con­traire aux normes du droit uni­versel parce que nous sommes des avocats”.

78 bar­reaux ont pub­lié dans la presse une déc­la­ra­tion com­mune : “Sous le nom de réforme, il s’ag­it du déman­tèle­ment des bar­reaux et c’est une réac­tion afin de les déqual­i­fi­er, les musel­er, et c’est en vérité, une men­ace pour musel­er les citoyens, et les laiss­er sans défense devant la vio­la­tion de ses lib­ertés et droits fon­da­men­taux. Ce déman­tèle­ment créera des groupes de juristes à voix faibles, qui se soumet­tent au lieu de la défense indépen­dante, à la poli­tique ou à d’autres alliances, et qui remet­tent sur leur robes des boutons.”

Les protes­ta­tions appelées “Grand Rassem­ble­ment de la Défense” rejoint par d’autres bar­reaux se pour­suiv­ant, le bureau du gou­verneur d’Ankara a imposé une inter­dic­tion de rassem­ble­ments et de man­i­fes­ta­tions pen­dant 15 jours. Dans sa déc­la­ra­tion con­cer­nant l’interdiction, le gou­verneur fait référence à une récente aug­men­ta­tion du nom­bre de cas de nou­veaux coro­n­avirus…  “Con­sid­érant que cela pour­rait con­duire à une prop­a­ga­tion encore plus rapi­de de la mal­adie si les gens se réu­nis­sent en grands groupes” et souligne que “ceux qui ne respectent pas cette déci­sion s’ex­posent à des sanc­tions con­for­mé­ment à la loi n° 1593 sur la san­té publique”. Le min­istre de la san­té Fahret­tin Koca a égale­ment soutenu cette inter­dic­tion et les motifs annoncés.

Un grand rassem­ble­ment s’est tenu à Ankara aujourd’hui 3 juil­let, mal­gré l’interdiction, mal­gré la police qui a bar­ri­cadé l’en­trée de la cap­i­tale aux avo­cats, et leurs annonces pour dis­pers­er… Des ban­deroles portés par des mil­liers de juristes on peut lire “La défense ne peut pas être réduite au silence”, “Nous défendons la défense”, “La défense marche”, “Pas touche à mon bar­reau”. Les avo­cats scan­dent les slo­gans “La défense ne s’est pas tue, elle ne se taira pas” et “Nous ne nous taisons pas, nous ne craignons pas, nous n’obéis­sons pas”, “coude à coude con­tre le fas­cisme” ain­si que “Feyzioğlu  démis­sion”.

Le cas d’E­bru Timtik et Aytaç Ünsal, est égale­ment soutenu. Les deux avo­catEs sont empris­on­néEs et en grève de la faim “pour leur droit à un procès équitable”.

Les représen­tantEs du bar­reau de Diyarbakır ont rejoint le rassem­ble­ment. Ils-elles ont scan­dé le nom de Tahir Elçi, bâton­nier du bar­reau de Diyarbakır, assas­s­iné le 28 novem­bre 2015 et scan­dé le slo­gan “Vive la fra­ter­nité des peu­ples”.

Le bâton­nier du bar­reau d’Ankara, Erinç Sağkan, lors de son dis­cours a exprimé leur déter­mi­na­tion : “Nous ne nous pli­erons jamais sous le bâton bran­di par le régime coerci­tif”.

L’In­jus­tice en Turquie ayant déjà rem­placé, sous la férule du pou­voir AKP, la pos­si­bil­ité de voir un “procès poli­tique” se dérouler équitable­ment, divis­er ce qui reste des pos­si­bil­ités de défense con­séquente est une étape supplémentaire.


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