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Place Sin­tag­ma, à Athènes, le 15 juin. Un fait, par­mi des dizaines d’af­fron­te­ments entre la police et les protes­tataires, plutôt remarquable.
Pen­dant que la police inter­vient sans répit et envoie impuné­ment les bombes lacry­mogènes sur les gens, un groupe de musi­ciens, en plein milieu de la place, fait par­ler ses instru­ments avec brio. Equipés de masques, ils con­tin­u­ent à jouer, ain­si pro­tégés, avec un sar­cas­tique rejet de la vio­lence d’E­tat. Ce qui trans­forme cette asymétrie total­i­taire en une belle chose, c’est la colère : une colère joyeuse, une colère digne.”
1. Ain­si par­le John Hol­loway, dans l’in­tro­duc­tion du texte inti­t­ulé “Jours de colère”.

Le mot colère est défi­ni comme l’a­gres­siv­ité mon­trée face à une men­ace ou une humil­i­a­tion perçues. La colère est une émo­tion de réac­tion, ou une force dévas­ta­trice qui nait en général en lien avec des sujets ou querelles per­son­nelles. Ain­si, la notion de colère est sou­vent encadrée comme néga­tive ou destructive.

L’au­teur Hol­loway, dont je pre­nais un extrait en intro­duisant cet arti­cle, ne se sat­is­faisant pas de l’aspect destruc­tif de la colère seul, a tâché d’aller au-delà. Il dit qu’il faut bien choisir les domaines et sit­u­a­tions vers lesquelles nous pou­vons canalis­er nos colères, et les porter au delà du sub­jec­tif. Il pré­cise que les vagues immenses de la colère sociale, se trans­for­ment soudaine­ment en un flux extrême­ment fort, lorsqu’elles ren­con­trent ces coléreux qui font des efforts pour nag­er à con­tre courant et pass­er à tra­vers les failles.

En effet, en général, on se fâche con­tre nos amoureux-ses, nos cama­rades, nos patrons. On se met en colère, parce que nous n’avons pas assez d’ar­gent pour boucler le mois, ou encore pour avoir raté un exa­m­en… Mais cette colère indi­vidu­elle, appelant la querelle, est sou­vent ravageuse et attri­tion­nelle. Or, Hol­loway nous pro­pose une colère col­lec­tive, par delà les indi­vidus, et face aux pou­voirs. Cette sug­ges­tion appa­rait comme un con­seil appro­prié, qui vaut la peine de ten­dre l’oreille.

L’ire et la vio­lence du pouvoir/dominant sont sujets con­stants à être légitimées par la loi, alors que la colère du peu­ple est mal­menée en dehors de la légal­ité. Le peu­ple est appelé sans cesse à avoir du “bon sens”, pour ain­si le retenir sous con­trôle con­stant. Pour para­phras­er Hol­loway, il est con­stant de mon­tr­er la colère comme anti­ra­tionnelle. Mais, face à un pouvoir/dominant qui a per­du la rai­son, il ne peut exis­ter une réac­tion raisonnable ou de bon sens. La seule réac­tion qui puisse y répon­dre est la colère.

C’est exacte­ment pour cette rai­son, que nous devons chang­er le flux de la colère. Elle est peut être l’é­mo­tion la plus appro­priée qui puisse être pos­i­tivée face aux pou­voirs et aux oppres­sions. Comme le dit si bien Hol­loway, “nous devons laiss­er aller notre colère à la gou­ver­nance de la dig­nité“2

Bien évidem­ment, Hol­loway a aus­si des sug­ges­tions sur les façons dont cette colère se reflèterait. Selon lui, les slo­gans “Crevez les ban­quiers !”, “Crevez les rich­es !” peu­vent être extrême­ment alléchants, mais struc­turelle­ment, ils ne sont pas dif­férents de “Crevez les juifs !”, ou “Crevez les migrants !”. Immol­er un polici­er est aus­si un acte sim­i­laire. C’est sans doute pour cette rai­son, que les “protes­tataires dignes” aux Etats-Unis, ont mis le feu au com­mis­sari­at de police, après avoir fait évac­uer les bâti­ments. Car ce dont ces foules étaient con­scientes, était le fait qu’un seul polici­er ne pou­vait per­son­nelle­ment représen­ter le pou­voir. Les laiss­er dans le feu, n’i­rait pas au delà de la colère indi­vidu­elle, mais la mise en feu du bâti­ment en tant que représen­ta­tion du pou­voir, allait déranger l’autorité.

Pas seule­ment aux Etat-Unis, mais dans tous les recoins du monde, les iné­gal­ités, les injus­tices, la vio­lence et le fas­cisme gran­dis­sent. Cette réac­tion mon­trée à la mon­tée du fas­cisme n’est pas for­tu­ite, et elle n’est ni inutile ni irra­tionnelle. C’est une agres­siv­ité appro­priée et légitime. C’est une agres­siv­ité pos­i­tive, entre­prise au nom d’a­gir et de construire.

Michel Fou­cault dis­ait “là où il y a pou­voir, il y a résis­tance”. Alors, si le pou­voir se durcit, doivent aug­menter résis­tance et colère. Parce que désor­mais, nous avons appris à dire “nos rêves ne tien­dront pas seuls dans vos besaces, ils les fer­ont éclater” . Voilà la colère, tel un bel instru­ment, à con­di­tion de l’u­tilis­er de façon bien accordé.

Comme dit Tami­ka Mal­lo­ry ” La vio­lence, nous la tenons de vous !”

Aram


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