Nous pubÂlions ici la letÂtre ouverte au PrĂ©siÂdent de Turquie, de KıvılÂcım Arat, milÂiÂtante trans, avec l’eÂsprit de la solÂiÂdarÂitĂ©, et saluÂons Eren Keskin, avec respect.
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De la plume d’une trans
Lettre ouverte au Président de la République
et hommage Ă Eren Keskin
Le témoignage
Alors que le mauÂdit procesÂsus de guerre dans laqueÂlle nous sommes entrĂ©s après l’atÂtenÂtat de Suruç Ă©parpilÂlait des dizaines de milÂliers de familles, la“persĂ©cution” avait rĂ©usÂsi Ă prenÂdre sa place dans nos vies, dans les quaÂtre coins du pays, des uniÂverÂsitĂ©s aux usines, des vilÂlages aux mĂ©tropÂoÂles. Dans ce cliÂmat oĂą l’inÂtimÂiÂdaÂtion, la dĂ©laÂtion, et la trahiÂson vadrouilÂlaient ; la main mise, le menÂsonge et le pilÂlage deveÂnaient ordiÂnaires, lĂ oĂą la garde-Ă -vue, l’arÂrestaÂtion se sysÂtĂ©ÂmaÂtiÂsaient ; les images de torÂtures et d’exĂ©ÂcuÂtion Ă©taient servies Ă la presse avec fiertĂ©, aucunE de nous n’éÂtions dĂ©sorÂmais en sĂ©curitĂ©.
Chaque matin d’une journĂ©e qui comÂmence, se rĂ©veiller dans ce cliÂmat, ne pas pouÂvoir proÂjeter quoi que ce soit, dĂ©vaste l’inÂtĂ©gritĂ© de chaque citoyenNe, et des blessures difÂfiÂciles a panser s’ouÂvrent dans la mĂ©moire sociale. Des blessures semÂblables Ă celles des AmĂ©niÂenNes, peuÂple hisÂtorique de l’AnaÂtolie, dont les cicaÂtriÂces ont Ă©tĂ© disÂsimulĂ©es par les gangs d’İttÂihÂat1
Cette HisÂtoire obscure, ressenÂtie aujourÂd’hui comme un poids, par chaque perÂsonÂne dotĂ©e de raiÂson et de conÂscience, a pourÂsuivi son Ă©voÂluÂtion, penÂdant 100 ans, en reniÂant et dĂ©truÂisant, pour finaleÂment, metÂtre au monde un hĂ©riÂtiÂer qui lui ressemÂble, l’IsÂlam poliÂtique. La raiÂson de la rĂ©pĂ©tiÂtion fut justeÂment l’abÂsence cenÂteÂnaire d’une reconnaissance.
Ce goĂ»t aigre nĂ© il y a un sièÂcle, sur la langue et dans l’eÂsprit armĂ©nien, est aujourÂd’hui sur nos langues, dans nos esprits. Cette boule de plomb âgĂ©e de cent ans, est aujourÂd’hui dans la gorge de chaÂcunE, comme si elle ne devait jamais disparaĂ®tre.
L’aventure
Je peux dire que l’avenÂture de l’écriÂtÂure de cette letÂtre, a comÂmencĂ© au rĂ©veil, un matin, oĂą ce goĂ»t aigre se faiÂsait ressenÂtir. Le jourÂnal Ă–zgĂĽr GĂĽnÂdem Ă©tait perquiÂsiÂtionÂnĂ©, son perÂsonÂnel Ă©tait mis en garde-Ă -vue. Sur les carÂrĂ©s d’imÂages tombĂ©s dans la presse, des jourÂnalÂistes menotÂtĂ©s, Ă©puisĂ©s, porÂtant des vĂŞteÂments dĂ©chirĂ©s, se faiÂsaient accomÂpaÂgÂnÂer monÂtant dans les vĂ©hicules des Ă©quipes spĂ©Âciales. En regarÂdant des images, la colère, la tristesse et le dĂ©sÂespoir fusant de mon esprit, se sont rĂ©uÂnis et ont enlacĂ© mon corps dans une senÂsaÂtion indeÂscriptible. Le domiÂcile d’Eren Keskin, alors direcÂtrice gĂ©nĂ©rale d’édiÂtion, perquiÂsiÂtionÂnĂ© par des policiers spĂ©ÂciÂaux, des snipers, lourÂdeÂment armĂ©s. Vous auriez cru que cette maiÂson perquiÂsiÂtionÂnĂ©e n’apÂparteÂnait pas Ă une avoÂcate, une memÂbre du barÂreau, dont toute la vie s’est passĂ©e et conÂtinÂue Ă se passÂer dans des palais de jusÂtice, Ă une perÂsonÂne respecÂtĂ©e et aimĂ©e par des dizaines de milÂliers. Mais serait-ce une maiÂson de celÂlule des gangs de Daech ? Encore heureux, Eren Keskin n’éÂtait pas chez-elle.
MalÂgrĂ© le fait que l’inÂforÂmaÂtion sur le fait qu’elle devrait se prĂ©senÂter au palais de jusÂtice de ÇaÄźlayan pour y dĂ©posÂer son tĂ©moignage ne soit pas comÂmuÂniquĂ©e, et qu’auÂcune prĂ©ÂpaÂraÂtion prĂ©alÂable n’ait Ă©tĂ© faite, nous avions pu nous rassemÂbler. Tout le monde Ă©tait lĂ . Des parÂlemenÂtaires aux dĂ©fenseurEs des droits, des Mères de la Paix aux juristes, des reprĂ©senÂtantEs des organÂiÂsaÂtions de sociĂ©tĂ© civile, parÂtis poliÂtiques, assoÂciÂaÂtions LGBTI+, aux objecteurs et objecÂtriÂces de conÂscience… toutes les organÂiÂsaÂtions et perÂsonÂnes qui avaient entenÂdu la nouÂvelle s’éÂtaient retrouÂvĂ©es devant le palais de jusÂtice. Après les procĂ©Âdures de dĂ©poÂsiÂtion d’Eren Keskin, notre vĂ©nĂ©rable proÂcureur qui ne reconÂnait ni droits, ni jusÂtice, a prĂ©senÂtĂ© sa demande d’arÂrestaÂtion au triÂbunal et ainÂsi jetĂ© la balle aux juges. Le couloir, qui en principe parait court, mais qui lĂ , Ă nos yeux de perÂsonÂnes aimantes se ralÂlongeait Ă l’inÂfiÂni, rĂ©sonÂnait de sloÂgans comme “coude Ă coude conÂtre le fasÂcisme !”, “Eren Keskin n’est pas seule !”. Les youyÂous se transÂforÂmaient dans le cĹ“ur de chaÂcunE d’enÂtre nous, en une perce-neige annonçant le printÂemps. Nous attenÂdions tous et toutes, la nouÂvelle qui sorÂtiÂrait de la salle d’audience.
FinaleÂment… La dĂ©ciÂsion tomÂba. Eren allait ĂŞtre jugĂ©e en libÂertĂ© provisoire !
La raison de la lettre
AusÂsitĂ´t après l’opĂ©raÂtion poliÂtique ciblant Ă–zgĂĽr GĂĽnÂdem, les procès ont dĂ©butĂ©. C’est Ă cette Ă©poque lĂ , que j’ai voulu rĂ©diÂger un texte pour Eren Keskin, en tant qu’une de ses clientEs. MĂŞme si je n’ai pas de difÂfiÂcultĂ© pour exprimer Ă l’oÂral ou Ă l’écrit ce que j’ai sur le cĹ“ur, je n’ai pas pu le faire. Je n’ai pas pu le faire, parce que ni mon esprit ne voulait comÂposÂer une seule phrase, ni ma plus l’écrire, ni ma langue porter les paroles Ă l’éÂcoute. Pour cette raiÂson, un brouilÂlon qui pourÂrait donÂner vie Ă cinq textes difÂfĂ©rents, a patienÂtĂ© penÂdant des mois sur le cĂ´tĂ© gauche mon Ă©cran.
Le brouilÂlon que j’avais prĂ©ÂparĂ© Ă©tait conçu sous le titre “LetÂtre ouverte au PrĂ©siÂdent de la RĂ©publique, de la part d’une citoyenne non acceptÂable”. Penser, dans un pays oĂą la libÂertĂ© de penser et de s’exÂprimer n’exÂiste pas, et ne se conÂtentant pas de penÂsĂ©es, mais les les couchant sur papiÂer, est une affaire danÂgereuse. Car, vous pouÂvez attirÂer le courÂroux du souÂverain et bĂ©nĂ©ÂficiÂer de sa vioÂlence. Si ce Ă©tait que cela… Vous pouÂvez ĂŞtre transÂfĂ©rĂ©E vite fait, de la prison de mon pays entourĂ© de mers sur trois cĂ´tĂ©s et le quaÂtrième encerÂclĂ© de chars, vers une celÂlule Ă quaÂtre murs en bĂ©ton. Dans ces rĂ©alÂitĂ©s, j’ai partagĂ© mon brouilÂlon seulE avec quelques amiEs proches. Au point de vue sĂ©cuÂritĂ©, leur rĂ©acÂtion fut très vive. Pour qu’un texte desÂtinĂ© au pubÂlic provoque une telle rĂ©acÂtion, il devrait norÂmaleÂment avoir un conÂtenu sexÂiste, raciste, belliqueux, faisant l’apoloÂgie du crime et de crimÂinels… PourÂtant, dans ce brouilÂlon, je parÂlais de la faim ressenÂtie pour des notions fonÂdaÂmenÂtales, comme la libÂertĂ©, l’éÂgalÂitĂ©, la jusÂtice, les droits, la libÂertĂ© d’opinÂion et d’exÂpresÂsion. Et je transÂmetÂtais mes inquiĂ©Âtudes Ă une perÂsonÂne avec laqueÂlle je vivais dans le mĂŞme pays, et Ă laqueÂlle j’éÂtais liĂ©e par des liens de citoyenÂneté… le PrĂ©siÂdent de la RĂ©publique.
PenÂdant que mon texte, qui ne conÂteÂnait aucun Ă©lĂ©Âment de crime, attendait dans un coin, le dĂ©sir de partager la rĂ©alÂitĂ© proÂduite par mon esprit m’a mise Ă nouÂveau en action. Cette fois, en prenant en compte les inquiĂ©Âtudes de mes amiEs, j’ai comÂmencĂ© Ă feuilÂleter toutes les vidĂ©os de notre cher Reis, de l’époque oĂą il Ă©tait encore maire, parÂtiÂcÂulièreÂment de la pĂ©riÂode oĂą il Ă©tait incarÂcĂ©rĂ©. Mon objecÂtif Ă©tait de d’afÂfichÂer tout ce qui a Ă©tĂ© imposĂ©, et fait subir, Ă ma perÂsonÂne, et Ă des milÂlions de citoyenNes, en me basÂant sur ces vidĂ©os.
Ne disÂait-on pas dans ces terÂres, “la parole sorÂtie de la bouche, devient attesÂtaÂtion” ? N’avions nous pas des expresÂsions assimÂilĂ©es au fait d’être homme, comme “être un homme de parole” ? Mais cette ficÂtion Ă©tait un rĂŞve immaÂture. Les praÂtiques actuelles, le règne de l’hypocrisie, le sysÂtème de jusÂtice, et les prix payĂ©s par les amiEs partageant mes rĂŞves Ă la recherche de droits, Ă©taient toute autre chose. Et tout ce que je conÂsidÂĂ©rais prĂ©ÂcauÂtions de sĂ©cuÂritĂ©s Ă©tait foutaises.
Elles l’éÂtaient, parce que ce que nous avions en face, Ă©tait un pouÂvoir qui Ă©tait capaÂble de dire blanc pour ce qu’il conÂsidÂĂ©rait noir hier, de renier le soir, ce qu’il avait dĂ©clarĂ© le matin, et qui voyÂait la moitiĂ© du pays comme terÂrorÂistes, et l’autre moitiĂ© comme un trouÂpeau de mouÂton Ă mener.
L’Atlas des contradictions, ou l’orchestre des contraires
La Turquie est un tel pays, qu’elle a la puisÂsance de faire coexÂisÂter des conÂtraÂdicÂtions qui seraient imposÂsiÂbles Ă tenir cĂ´te Ă cĂ´te. S’il faut donÂner quelques petits exemÂples… La plus forte des thèsÂes misÂes en avant pour arguÂmenter le fait que l’iÂdenÂtitĂ© transÂsexÂuelle doit ĂŞtre sous oppresÂsion, est la reliÂgion. Les trans vivent dans un très grand pĂŞchĂ©, et vendent leur âme au diaÂble et leur corps aux hommes. Comme Allah a crĂ©e l’être humain, de la façon la plus parÂfaite, les opĂ©raÂtions chirurÂgiÂcales effecÂtuĂ©es par soucis esthĂ©Âtiques sont pĂŞchĂ©s. Ces-lĂ conÂsisÂtent Ă ne pas se conÂtenter de la crĂ©aÂtion du dieu, et Ă se rĂ©volter conÂtre lui. Si vous descenÂdez dans la rue et posez la quesÂtion, c’est la rĂ©ponse que vous obtienÂdrez d’unE musulÂmanE moyenNE. C’est Ă dire que ceTTE musulÂmanE moyenNE, dĂ©clarant la perÂsonÂne trans comme pĂŞcheur ou pĂŞcherÂesse, sa thèse fonÂdaÂmenÂtale sera la reliÂgion. Le ou la trans, est dans le pĂŞchÂer pour ne pas s’être conÂtentĂ©E de ce que le dieu a crĂ©e, et qu’il interÂvient sur cette crĂ©ation.
Lorsque ceTTE citoyenNE moyenNe, se rend Ă l’urne pour votÂer, ce qui dĂ©finiÂra la couleur de son bulÂletin est encore la reliÂgion. C’est Ă dire, la relaÂtion du parÂti pour lequel ille votera, avec la reliÂgion. VoilĂ la conÂtraÂdicÂtion. De nomÂbreux Ă©lecteurs et Ă©lecÂtriÂces qui votent pour l’AKP, dĂ©clarÂent les trans dans le pĂŞchĂ©, mais ne voient, et ne dĂ©clarÂent rien sur les femmes des leadÂers poliÂtiques qui sont botoxĂ©es de partout. Les trans se rebelÂlent conÂtre le dieu, mais les femmes des poliÂtiques, mĂŞme si elles ont des proÂthèsÂes mamÂmaires, il ne s’agÂit pas de rĂ©volte, et les bulÂletins coulent dans l’urne.
Une autre ? Lorsque le souÂverain, lors de sa visÂite en AlleÂmagne en 2010 prononce la phrase “l’asÂsimÂiÂlaÂtion est un crime conÂtre l’huÂmanÂité“2 et renÂforce ses paroles avec la prĂ©ÂciÂsion que cette conÂsidÂĂ©raÂtion n’est pas la sienne, mais provient de la SciÂence. Cela recueille des apprĂ©ÂciÂaÂtions. Mais unE Kurde, peut ĂŞtre lynchĂ©E ou passÂer sa vie dans une celÂlule, pour avoir parÂlĂ© sa langue, sur ses terÂres. Et ce avec l’apÂprĂ©ÂciÂaÂtion, la conÂfirÂmaÂtion des massÂes, ou sous leur silence…
Lorsque le sujet est l’IsÂlam poliÂtique, et le type d’être humain qu’il crĂ©e, il est quaÂsi imposÂsiÂble de ne pas renÂconÂtrÂer ce genre de conÂtraÂdicÂtions. Ceux qui ont dirigĂ© le pays hier avec FetulÂlah GĂĽlen [aujourÂd’hui dĂ©clarĂ© enneÂmi], peuÂvent emprisÂonÂner des perÂsonÂnes qui ont passĂ© leur vie Ă comÂbatÂtre GĂĽlen, ou autres organÂiÂsaÂtions semÂblables, crimÂiÂnalisent aujourÂd’hui les instiÂtuÂtions, assoÂciÂaÂtions en leur invenÂtant des liens invraisemÂblables avec GĂĽlen, avec une crĂ©aÂtivÂitĂ© qui ne laisse pas dĂ©sirÂer des scĂ©ÂnarÂios holÂlyÂwooÂdÂiÂens. Le magÂnifique scĂ©Ânario pubÂliĂ© par le torÂchon intiÂtÂulĂ© Takvim, qui explique le lien des assoÂciÂaÂtions LGBTI+ avec GĂĽlen, est un des meilleurs exemples.
De la pensée à la parole, de la parole à l’acte :
Lettre ouverte au Président de la République
Cher PrĂ©siÂdent de la RĂ©publique,
La rĂ©dacÂtion de cette letÂtre corÂreÂspond Ă un procesÂsus un peu douloureux et comÂpliquĂ©. MĂŞme si elle a traÂverÂsĂ© des embĂ»chÂes, l’idĂ©e d’adressÂer une letÂtre au nouÂveau PrĂ©siÂdent de la nouÂvelle Turquie, aboutit. Chaque fois que j’ai parÂlĂ© Ă quelqu’unE que j’alÂlais Ă©crire une letÂtre, j’ai renÂconÂtrĂ© des regards inquiÂets. Mes amiEs n’ont pas arrĂŞtĂ© de m’exÂpliÂquer en me dĂ©monÂtrant par des exemÂples, que cet acte attirÂerait l’atÂtenÂtion sur moi, et qu’un enchaĂ®neÂment se terÂmiÂnant par une arrestaÂtion serait bâti.
MonÂsieur le PrĂ©siÂdent, je voudrais avant tout vous parÂler de qui je suis. Bien que vos unitĂ©s de renÂseigneÂments puisÂsent vous dessinÂer mon proÂfil, je ne pense pas que vous pouÂvez vous y fier. Pour cette raiÂson, je pense qu’il serait imporÂtant que vous m’éÂcoutiez parÂler de moi mĂŞme, pour que je puisse me faire comÂprenÂdre. Mon prĂ©nom est KıvılÂcım. MĂŞme si pour moi cela n’a pas une grande imporÂtance, je posÂsède un qualÂiÂfiÂcatif qui dĂ©passe mon prĂ©nom : trans femme.
Mon avenÂture de vie de 31 ans, (dont plus de moitiĂ© s’est dĂ©roulĂ©e sous votre direcÂtion), s’est passĂ©e Ă lutÂter conÂtre la culÂture de vioÂlence, qui est le bĂ©nĂ©Âfice du qualÂiÂfiÂcatif qui me dĂ©finit, comme marÂquĂ© au fer rouge.
Si je peux me perÂmeÂtÂtre de dĂ©tailler par quelques petits exemples :
Au 15 juilÂlet [2016], penÂdant que vous remÂplissiez les places, avec l’enÂtÂhouÂsiÂasme de dĂ©buter une pĂ©riÂode disÂtinÂguĂ©e, que vous appelez dĂ©mocÂraÂtie, moi, votre sujet, dans mon quartiÂer dĂ©corĂ© des citaÂtions de Sedat Peker, j’ai perÂdu mon espace de vie, suite aux attaques d’un groupe qui vous suivait.
PenÂdant que vous monÂtriez la fiertĂ© avec les prisÂons qui ne dĂ©semÂplisÂsent pas, et que vous ouvriÂiez des appels d’ofÂfre pour en conÂstruÂire de nouÂvelles, moi, votre sujet, ai renÂconÂtrĂ© l’inÂdifÂfĂ©rence du proÂcureur que j’ai solÂlicÂitĂ© pour qu’il demande le compte de ma gorge coupĂ©e Ă coup de bisÂtouri, “dans des pĂ©riÂodes oĂą la conÂtiÂnuÂitĂ© de l’EÂtat est en quesÂtion, il n’y aura pas de temps pour ce genre d’afÂfaires”, m’a-t-il dit.
PenÂdant que vous rĂ©pondiez aux criÂtiques de mĂ©dias sociÂaux Ă votre proÂpos, par des perquiÂsiÂtions de nuit, et jetiez les proÂpriĂ©Âtaires des criÂtiques entre quaÂtre murs, moi, votre sujet, ai observĂ© qu’il a manÂquĂ© juste l’atÂtriÂbuÂtion d’une mĂ©daille au proÂpriĂ©Âtaire des 6 balles qui ont quitÂtĂ© le fusil Ă pompe et plu sur moi.
PenÂdant que vous dĂ©clarÂiez que vous adopÂtiez comme principe la sourate Al-Ma’iÂda*, moi, votre sujet, Ă©tais en tĂŞte Ă tĂŞte avec les cadavres de mes amies, vioÂlĂ©es et misÂes en morceaux. Et encore, penÂdant que vous parÂliez de la jusÂtice du dieu, moi, je fus tĂ©moin du fait que votre jusÂtice rĂ©comÂpenÂsait nos assassins.
Al-Ma’ida : “La récompense de ceux qui font la guerre contre Dieu et Son messager, et qui s’efforcent de semer la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leurs jambes opposées, ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas ; et dans l’au-delà , il y aura pour eux un énorme châtiment.”
Cher PrĂ©siÂdent,
Lorsqu’il est quesÂtion de perÂsĂ©ÂcuÂtion, les exemÂples “Vous et moi votre sujet”, peuÂvent se ralÂlonger. Je voudrais vous parÂler plutĂ´t d’une belle perÂsonÂne qui prĂ©ocÂcupe mon cĹ“ur et que vous conÂnaisÂsez très bien, vous ausÂsi : chère Eren Keskin.
En tant que trans, notre renÂconÂtre avec Eren Keskin remonte aux annĂ©es 90. Ces annĂ©es que vous-mĂŞme et votre mouÂveÂment avez criÂtiquĂ©es durant toute la pĂ©riÂode de paix, et mĂŞme parÂfois en pleuÂrant, indiquent pour les trans ausÂsi, une pĂ©riÂode difÂfiÂcile, une HisÂtoire lourde d’hĂ©ritage.
On avait tenÂtĂ© d’empaler les trans, sur l’orÂdre de SĂĽleyÂman UluÂsoy, alias “SĂĽleyÂman le tuyau”, chef des patrouilles de BeyÂoÄźlu, dĂ©clarĂ© par le pouÂvoir de l’époque “patriÂote”, mais qui est inscrit dans l’HisÂtoire par les crimes conÂtre l’huÂmanÂitĂ© qu’il a comÂmis. EpuisĂ©es, elles sonÂnent Ă la porte de l’IÂHD [AssoÂciÂaÂtion des droits humains, dont Eren Keskin est prĂ©siÂdente]. Quelques avoÂcatEs souÂtiÂenÂnent alors les trans auxÂquelles tout le monde reste indiffĂ©rent.
Une d’enÂtre eux-elles, jeune et belle, prend par la main toutes ces vicÂtimes de torÂtures, et se plante en face de SĂĽleyÂman le tuyau. Pour la praÂtique de torÂture d’empalement, SĂĽleyÂman lui rĂ©torque “vous dĂ©fendÂez les terÂrorÂistes, bon, on a comÂpris ça, mais pourquoi vous dĂ©fendÂez donc ceux-lĂ ? Ceux ‑lĂ ne sont mĂŞme pas des humains”.
Savez-vous qui est cette avocate ?
Eren Keskin…
Oui, MonÂsieur le PrĂ©sident !
Elle est un juriste, une dĂ©fenseure des droits, une comÂpagne de route, une amie, qui explique Ă tout le monde l’imÂporÂtance d’être solÂidaire avec les trans que vous maudÂisÂsez dans le sysÂtème que vous avez crĂ©e, qui rĂ©siste avec nous, des garde-Ă -vues, aux comÂmisÂsariÂats, des salles de torÂtures aux salles d’auÂdiÂence, des hĂ´piÂtaux lĂ©gaux jusqu’aux terÂrains de rĂ©sisÂtance oĂą nous subisÂsons la vioÂlence de vos forces de l’orÂdre, et qui fait tout cela sans aucune attente finanÂcière. Elle est celle qui nous a appris et fait adopter le principe “L’huÂmain est humain, seuleÂment avec ses droits. Les droits humains sont pour tout le monde”.
Oui, MonÂsieur le PrĂ©sident !
Le sysÂtème que vous reprĂ©senÂtez, pour nous punir, nous les trans, utilise la famille, la plus petite unitĂ© de la sociĂ©tĂ©, comme un moyen d’opÂpresÂsion, et nous conÂdamne Ă un isoleÂment, en brisant nos liens familÂiales. Toutes les conÂnaisÂsances que nous avons acquisÂes, nos comÂpĂ©Âtences perÂsonÂnelles, nos relaÂtions sociales, nos liens familÂiÂaux, et mĂŞme nos diplĂ´mes qui sont le fruit des dizaines d’anÂnĂ©es d’éÂtudes, nous sont conÂfisquĂ©s. C’est pour cela que nous sommes des ĂŞtres humains invisÂiÂbles. Nous sorÂtons la nuit. Lorsque vous, fatiguĂ©s des bienÂfaits du jour et du soleil, quitÂtez l’obÂscuÂritĂ© inquiĂ©Âtante, et vous retirez dans vos apparteÂments familÂiÂaux, MonÂsieur le PrĂ©siÂdent… Nous les trans, dans cette vie qu’on nous donne, nous conÂsidÂĂ©rons le chien, le chat, l’oiseau, l’inÂsecte, comme famille. La pluÂpart d’enÂtre nous les conÂsidÂère comme enfants. C’est pour cela que nos relaÂtions sont touÂjours bonnes avec les espèces autres que l’huÂmain. Nous avons cerÂtains liens auxÂquels nous donÂnons beauÂcoup d’imÂporÂtance. Ces liens ne se conÂstruÂisent pas en venant de l’utĂ©rus d’une mĂŞme mère, ou en provenant des ovules fĂ©condĂ©es par le sperme d’un mĂŞme père. Et ces liens ne se croisent pas spĂ©ÂcialeÂment par le sang d’une gĂ©nĂ©raÂtion Ă l’autre. Parce qu’on ne peut pas choisir la soeur, le frère et les parents.
VoilĂ , MonÂsieur le PrĂ©siÂdent, Eren Keskin, reprĂ©sente pour nous les trans, un tel lien.
Elle n’est pas une conÂnaisÂseuse de Droit qui dĂ©fend ses clientEs, elle est amie, et encore grande sĹ“ur. Quand il faut, elle est voix pour le cri que nous lançons conÂtre la vioÂlence que vous exercez. Elle est une des veines vitales qui irriguent notre rĂ©sisÂtance. Elle est la main qui se tend, vers celles et ceux, qui comme moi, perÂdent la force Ă chaque dilemme, ou qui ne trouÂvent pas la force pour rĂ©sisÂter Ă votre perÂsĂ©ÂcuÂtion, et qui dĂ©rivent vers le nĂ©ant. Elle est notre raiÂson de survie.
MainÂtenant, MonÂsieur le PrĂ©siÂdent, le sysÂtème de jusÂtice que vous avez crĂ©e, tente de taire cette voix prĂ©Âcieuse, de la metÂtre au carÂreau, et nous laissÂer sans soeur, sans amie, sans comÂpagne de route, sans avoÂcate. Le silence est comme une spiÂrale. Une penÂsĂ©e conÂvaÂinÂcue d’être minoriÂtaire ne s’exÂprime pas, la spiÂrale s’élarÂgit jusqu’au jour oĂą un fou se monÂtre et exprime cette penÂsĂ©e. AinÂsi, se forme l’étÂinÂcelle qui transÂforme la spiÂrale silenÂcieuse en un cri. Eren Keskin est cette Ă©tinÂcelle.
Oui, MonÂsieur le PrĂ©siÂdent, il est posÂsiÂble qu’avec mon idenÂtitĂ© et mes penÂsĂ©es, qui tourÂnent dans mon esprit, j’ai Ă©veilÂlĂ© en vous, une impresÂsion nĂ©gaÂtive, comme c’est souÂvent le cas dans la sociĂ©tĂ© actuelle, mais pensez y, je parÂle d’une femme qui a pu touchÂer le cĹ“ur d’une perÂsonÂne si disÂcrimÂinĂ©e et non acceptÂable, et je parÂle d’une oppresÂsion qui la cible. En plus, penÂdant que des tĂŞtes touchent le sol devant vous, en prosterÂnaÂtion, je me mets en face de vous, avec une conÂscience qui pense et proÂduit sans cesse.
J’ai de l’eÂspoir. Mais cet espoir exisÂtant n’est pas la conÂvicÂtion que vous vous renÂdriez compte de cerÂtaines choses, et les corrigiez.
Savez-vous en quoi j’ai de l’eÂspoir MonÂsieur le PrĂ©sident ?
Si vous ne le savez pas, je vais vous le dire.
J’ai espoir dans le bureau d’Eren Keskin.
Si, une mère de Hakkari qui a perÂdu son enfant, un Ă©tuÂdiÂant dont on a conÂfisquĂ© le droit d’éÂtudes, une femme vioÂlenÂtĂ©e par son mari, la vieille traÂvailleuse du sexe blessĂ©e de deux coups de couteau, le non musulÂman dont le temÂple a Ă©tĂ© pilÂlĂ©, et une trans virĂ©e de son quartiÂer… peuÂvent se retrouÂver dans le mĂŞme bureau, cela veut dire qu’il y a encore de l’eÂspoir. Cela veut dire que l’eÂspoir est encore debout, tout droit. Cela veut dire qu’une vie ensemÂble n’est pas une utopie.
MonÂsieur ErdoÄźan, le PrĂ©siÂdent de l’AKP, il est quesÂtion d’une juriste dont le trĂ´ne se trouÂve dans le palais du coeur des opprimĂ©Es. La relaÂtion dialecÂtique entre l’opÂprimĂ©E et sa malĂ©ÂdicÂtion, et une rĂ©alÂitĂ© sciÂenÂtifique, comme vous aimez l’uÂtilisÂer de temps Ă autre pour renÂforcer vos proÂpos. Allez, renonÂcez Ă vous occuÂper de notre Eren qui n’a comÂmis aucune faute et Ă qui les opprimĂ©Es donÂnent une valeur comÂmune. La rĂ©alÂitĂ© du prĂ©sent peut ĂŞtre dĂ©forÂmĂ©e mais le temps l’exÂprimera et l’HisÂtoire l’écrira touÂjours. Je vous dis au revoir avec une phrase prononÂcĂ©e par des dizaines de milÂliers de perÂsonÂnes et je souhaite de tout cĹ“ur que vous atteinÂdrez ce qui est juste.
Nous sommes les eye-linÂer d’Eren !*
* Référence au slogan des kémalistes “Nous sommes les soldats de Mustafa Kemal”.
KıvılÂcım Arat, la non acceptable.
*
Dernier propos
Cette letÂtre est un cri lancĂ© dans l’obÂscuÂritĂ© des temps, et un appel honÂorÂable Ă des milÂlions de perÂsonÂnes qui senÂtent le couteau sur la peau. D’un cĂ´tĂ© les pages de dĂ©laÂtion, de l’inÂtimÂiÂdaÂtion, et mĂŞme de la honte sont remÂplies, de l’autre cotĂ©, des avenÂturiÂerEs pĂ©trisÂsent la pâte de vivre ensemÂble. Soit nous disÂparaitrons tous ensemÂble, soit nous accueillerons des lendeÂmains lumineux en tant que citoyenNEs libres, en dĂ©fenÂdant la libÂertĂ©, la jusÂtice et la souÂverainetĂ© du Droit, face aux SulÂtans CrĂ©Âsus. Ils sont une poignĂ©e, nous sommes des milÂlions. Et il est largeÂment le temps de rapÂpelÂer cela Ă celles et ceux qui l’ont oubliĂ©. Alors rapÂpelons les vers de Bertolt Brecht :
La jusÂtice est le pain du peuple…AusÂsi indisÂpensÂable que le pain quotidienEt comme le pain de tous les joursLe pain de la jusÂtice c’est le peuÂple qui doit le cuire
Le pain du peuÂple n’est pas une utopie, et il n’est pas loin. Regardez les panÂneaux au bord de la route qui assouÂviÂra notre faim de jusÂtice. Nous ne sommes pas seulEs ! Et au comÂmenceÂment de cette route, des milÂliers de Eren nous attenÂdent. Avec sur leurs mains, les traces de la pâte, encore fraĂ®che !