Dans l’at­tente de plus amples infor­ma­tions, l’an­nonce de patrouilles indépen­dantes de l’ar­mée turque dans les faubourgs autour de Man­bij appelle à une alerte sur ce que cache un accord présen­té comme de “paci­fi­ca­tion”.

Même s’il s’ag­it d’une coïn­ci­dence de cal­en­dri­er, l’ac­cord entre com­posantes d’une des “coali­tions” en Syrie et la Turquie fai­sait par­tie claire­ment de l’a­gen­da élec­toral d’Erdoğan.

Le Reis turc avait promis que l’ar­mée turque règlerait la ques­tion de Man­bij (Man­bej) en Syrie, après Afrin, par la guerre ou en l’im­posant diplo­ma­tique­ment. La volon­té de désen­gage­ment améri­caine lui a offert l’op­por­tu­nité de tenir sa promesse élec­torale. Les “amis” et “alliés” arabes de la Turquie, seront bien­tôt “débar­rassés de la tutelle des ter­ror­istes de PYD”.

Cet accord était sur toutes les lèvres depuis plusieurs semaine, et ce qui est présen­té par les Etats-majors turcs et améri­cains comme une feuille de route voit un com­mence­ment de réalisation.

A par­tir d’au­jour­d’hui, nos sol­dats ont égale­ment com­mencé leur devoir à Man­bij. Ils tra­vail­lent avec les Etats-Unis pour libér­er Man­bij des élé­ments ter­ror­istes “, a déclaré le Pre­mier Min­istre Yildirim, dans la foulée du Reis.

Man­bij est peu­plée en majorité d’Arabes mais compte égale­ment une impor­tante minorité kurde qui représente env­i­ron 25 % de sa pop­u­la­tion. Un « Con­seil mil­i­taire de Man­bij » est for­mé par les groupes des FDS de la région depuis sa libéra­tion de Daech le 12 aout 2016. (plus de 100 000 habi­tants avant 2016, 20 000 au moment de sa reprise). Des camps de réfugiés y sont importants.

Cet arrange­ment pré­cise entre autres la pos­si­bil­ité de patrouilles mil­i­taires com­munes pour la “sécu­rité” autour de Manbij.

La Turquie aura en cela l’ex­cuse d’être mem­bre à part entière de l’OTAN, ce qui per­met aux Etats-Unis et à la France, dont les ges­tic­u­la­tions macroni­ennes d’il y a déjà quelques temps s’avèrent des leur­res, de se réfugi­er der­rière un ali­bi facile.

Que le régime turc profère à qui veut l’en­ten­dre que Man­bij doit revenir à “ses légitimes pro­prié­taires”, et que les FDS doivent donc défini­tive­ment “quit­ter la ville”, de gré ou de force, n’a pas l’air d’in­quiéter nos sig­nataires d’ac­cord. Les purifi­ca­tions qui pour­raient s’en suiv­re, le tri dans les réfugiés, après Daech, non plus.

C’est une guerre à bas bruit qui se joue entre “coali­tions” sur le dos de la Fédéra­tion de Syrie Nord, et, dis­ons-le claire­ment, con­tre son pro­jet con­fédéral­iste pour la région. Les FDS con­tin­u­ent de servir de chair à canon con­tre les restes mil­i­taires de Daech, tan­dis que cha­cune des com­posantes régionales ou inter­na­tionales occupe le ter­rain ou en sou­tient une coloni­sa­tion par l’une ou l’autre des par­ties, mou­ve­ment kurde exclu, bien entendu.

Il appa­raît claire­ment que ramen­er dans ce jeu poli­tique la puis­sance mil­i­taire turque, après la “purifi­ca­tion eth­nique” opérée à Afrin, revient à soutenir un futur pro­jet de “cha­cun chez-soi” dans une table de négo­ci­a­tions sur la Syrie qui s’en­lise. Les puis­sances inter­na­tionales ou régionales restent arc boutées sur des re-découpages ou des remod­e­lages, dont l’E­tat-nation reste l’os­sa­t­ure, sans tenir compte du fait que les guer­res en sont les con­séquences. Les ques­tions d’én­er­gies, d’eau, d’ax­es de cir­cu­la­tion et de leur con­trôle, sont des élé­ments à ne pas nég­liger non plus, dans cet appar­ent imbroglio d’in­térêts en compétition.

L’ob­jec­tif prin­ci­pal pour le régime turc est de pou­voir pren­dre en tenailles ce qui aujour­d’hui artic­ule les élé­ments du proces­sus poli­tique dit “fédéra­tion de Syrie Nord”, et en son sein le Roja­va.

Les attaques, bom­barde­ments et incur­sions côté fron­tière tur­co-iraki­enne, avec désor­mais une atti­tude peu réac­tive du gou­verne­ment irakien font par­tie de ce dis­posi­tif mil­i­taire, présen­té comme une opéra­tion “d’assèche­ment du ter­ror­isme” aux fron­tières de la Turquie.
Il sera dif­fi­cile aux deux prin­ci­paux adver­saires élec­toraux d’Er­doğan de rivalis­er sur ce ter­rain, kémal­isme , unité nationale et haine anti-PKK obligent…

Même si les choses sont plus com­pliquées, on peut voir dans le tim­ing de cet accord, et en assis­tant en France à la médi­ati­sa­tion de dis­cus­sions télé­phoniques entre son Prési­dent et l’actuel Prési­dent turc, (le pre­mier faisant savoir qu’il “se tiendrait à dis­po­si­tion sitôt après le proces­sus élec­toral ter­miné”), un sou­tien poli­tique ouvert à Erdoğan, dans une diplo­matie de la “sta­bil­i­sa­tion” régionale.

Cha­cun sait que les pro­jets d’Er­doğan sont de con­tin­uer à déplac­er les pop­u­la­tions réfugiées au fur et à mesure, dans ce qu’il conçoit comme des “zones d’in­flu­ence” aux fron­tières. La ques­tion du dji­hadisme bien sûr n’ef­fraie pas le Sul­tan turc et il a su le pro­téger et lui don­ner abri à Afrin.
Faire d’une grande masse de réfugiés syriens les “oblig­és” de la Turquie est pour son régime une garantie de mise en place de ce vieux pro­jet de “zone tam­pon”, mil­i­taire­ment engagé depuis l’ir­rup­tion de Jerablus.

On attend la réac­tion du régime syrien, tout en sachant que rien n’a pu se faire sans l’ac­cord en couliss­es de la Russie. Le peu de réac­tions suite aux bom­barde­ments récents par la coali­tion d’élé­ments de l’ar­mée syri­enne sem­ble con­firmer l’hypothèse.

Des infor­ma­tions con­tra­dic­toires sur la présence tou­jours forte des FDS sur Man­bij, forces d’al­liance arabo-kurde, du fait de l’axe menant à des zones de com­bat con­tre les dernières poches de Daech cir­cu­lent aus­si. Dans le con­texte, on peut penser qu’elle vont se voir trahie dans les jours à venir.

La presse inter­na­tionale com­mente soudain ce pas en avant du régime turc, de con­cert avec les Etats-Unis, à juste rai­son. L’événe­ment est d’im­por­tance à tous points de vue. Si “le mod­èle s’avère être un suc­cès”, “la Turquie fera pres­sion pour un arrange­ment sim­i­laire dans l’est de la Syrie”.

L’au­tonomie des Peu­ples de la région est men­acée directe­ment par ces guer­res de ter­ri­toire à bas bruit, dont on peut prévoir qu’elles pré­par­ent une nou­velle défla­gra­tion pos­si­ble, vu les pro­tag­o­nistes inter­na­tionaux qui la mènent.

Pour visu­alis­er la région cliquez ici.

Lire aus­si : De jeunes inter­na­tion­al­istes français se ren­dent à Qandil pour la solidarité

Com­plé­ment et précisions :
Sher­van Dar­wish, porte parole du Con­seil Mil­i­taire de Man­bij, a nié l’en­trée de l’ar­mée turque dans Man­bij. “Nous con­fir­mons que les forces turques ne sont pas entrées dans la ville de Man­bij et ne vont pas sur nos fronts. Nos forces tien­nent tou­jours nos posi­tions”.

Le régime turc de son côté s’est bien gardé de par­ler “d’en­trée dans Manbij”…

Dire que tout va bien et ignor­er la trahi­son en cours serait dif­fi­cile. Des gages améri­cains ont été don­nés depuis deux semaines et le régime turc a eu pour le moment “la com­mu­ni­ca­tion” qu’il espérait. Les semaines à venir seront déci­sives, si par ailleurs l’AKP était con­fir­mé dans les urnes…


Rédaction par Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Ji kerema xwere dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.
Writing by Kedistan. You may use and share Kedistan’s articles and translations, specifying the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you.
Por respeto hacia la labor de las autoras y traductoras, puedes utilizar y compartir los artículos y las traducciones de Kedistan citando la fuente y añadiendo el enlace. Gracias.
Daniel Fleury on FacebookDaniel Fleury on Twitter
Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…