Une prise de parole de même durée, sur une chaîne nationale, par can­di­dat, est dif­fusée comme “pro­pa­gande élec­torale”. Pour Sela­hat­tin Demir­taş, en prison, c’est presque un élé­ment essentiel.

Texte inté­gral de l’al­lo­cu­tion du can­di­dat à la prési­dence Sela­hat­tin Demir­taş du 17 juin 2018. Clip dif­fusé sur la chaine TRT News.

Mes chers frères et sœurs, belles per­son­nes de mon pays, Je vous adresse mes sen­ti­ments les plus chaleureux, avec affec­tion et nos­tal­gie. Mal­heureuse­ment, dans cette cam­pagne élec­torale, dont on se sou­vien­dra comme l’une des tach­es som­bres de notre his­toire poli­tique, je suis obligé de m’adress­er à vous depuis la prison de haute sécu­rité de type F d’Edirne.

Le 4 novem­bre 2016, avec 12 de nos amiEs députéEs, nous avons été mis­Es en prison, tout Droit piét­iné. Je suis détenu ici depuis plus de 20 mois de manière totale­ment illégale.
Nous n’avons con­nu aucune procé­dure judi­ci­aire équitable et impar­tiale, de quelque façon que ce soit. Pen­dant ces 20 mois, même dans le cadre du dossier qui jus­ti­fierait mon incar­céra­tion, je n’ai été présen­té au tri­bunal que deux fois. Alors que mon juge­ment pour­rait facile­ment se faire sans que je sois incar­céré, à chaque étape, en rai­son des pres­sions poli­tiques, ma déten­tion fut main­tenue. L’in­té­gral­ité des accu­sa­tions à mon encon­tre sont mes dis­cours, que vous aus­si avez enten­dus de nom­breuses fois. Je n’ai pas fait l’ob­jet d’autres accusations.

L’u­nique rai­son pour laque­lle je suis encore ici est que l’AKP a peur de moi. Ils pensent qu’il est courageux de lier mes mains et mes bras et de me calom­nier dans les espaces publics. Bien qu’il n’y ait pas une seule con­damna­tion pronon­cée con­tre moi, en me présen­tant comme coupable, ils vio­lent claire­ment la Con­sti­tu­tion et essayent d’ori­en­ter l’opin­ion publique avec de fauss­es informations.

Ils n’hési­tent pas à men­tir et à calom­nier ouverte­ment pour ne pas per­dre leur pou­voir et con­serv­er leur vie pom­peuse et lux­ueuse. Il m’est dif­fi­cile de com­pren­dre com­ment ceux qui ont per­du à ce point, leur moral­ité et leur con­science, pré­ten­dent gou­vern­er le pays. N’ayez aucun doute sur le fait que je sois acquit­té devant la jus­tice, dès que pos­si­ble. Il suf­fit que les autorités judi­ci­aires se fondent sur la pri­mauté du Droit et non sur les attentes du pouvoir.

Mais ils ne doivent pas oubli­er que Sey­it Rıza avait dit : “Je n’ai pas pu lut­ter con­tre tes men­songes et supercheries, cela fut un tour­ment pour moi. Mais je ne me suis pas age­nouil­lé devant toi, que cela soit un tour­ment pour toi”. Vous ver­rez, je m’oc­cu­perai aus­si de vos mensonges !

Mes cherEs compatriotes,

Si ces actes d’in­tim­i­da­tion et d’il­lé­gal­ité se lim­i­taient unique­ment à moi, je n’es­timerais pas néces­saire de les exprimer. Mais vous vivez dans ce genre d’in­tim­i­da­tion et d’il­lé­gal­ité tous les jours et vous en témoignez autour de vous. Vous êtes vic­times de cette persécution.

Je vois et j’en­tends que chaque moment de votre vie se trans­forme en une grande tragédie. Il y a un pro­fond dés­espoir, peur et pes­simisme qui pren­nent en otage toute la société. La divi­sion, la polar­i­sa­tion et la ten­sion ont atteint des dimen­sions effrayantes.

Nous sommes arrivés à un point où il y a sus­pi­cion et peur entre voisins, frères et sœurs. En out­re, le chô­mage, la pau­vreté, l’in­fla­tion, l’aug­men­ta­tion inéluctable des taux de change des devis­es étrangères ont ren­du la vie totale­ment insup­port­able. Pen­dant que le pou­voir AKP jouit de ses jours dans le luxe, dans les palais et les vil­las, des mil­lions de nos citoyens ont été mis en sit­u­a­tion d’avoir besoin de pain. Au nom des intérêts poli­tiques, les poli­tiques de guerre sanc­ti­fi­ant la mort à l’in­térieur et à l’ex­térieur du pays, se pour­suiv­ent au prix de la vie de nos enfants.

Mes chers frères et sœurs,
Bien sûr, dans les régimes démoc­ra­tiques, les élec­tions sont des étapes de déci­sion extrême­ment impor­tantes. Vous élirez nos représen­tants qui fer­ont nos lois et gou­verneront le pays. Votre déci­sion ne con­cern­era pas seule­ment aujour­d’hui, mais aus­si notre avenir, nos enfants et nos petits-enfants.
Notre pays a atteint un car­refour cru­cial pour ces élec­tions du 24 juin ; c’est vous qui déciderez de la direc­tion vers laque­lle notre pays se dirig­era à par­tir d’ici.

Si vous choi­sis­sez de vot­er pour AKP et Erdoğan, alors le des­tin de tout le pays sera sus­pendu aux lèvres d’une seule per­son­ne. Les pou­voirs lég­is­latif, judi­ci­aire et exé­cu­tif très impor­tants seront réu­nis en une seule per­son­ne. Il n’y aura pas d’in­sti­tu­tion pour sur­veiller, con­trôler ou lim­iter même, la plus petite erreur qu’une per­son­ne fera. Le des­tin de 81 mil­lions sera lais­sé à la mer­ci d’une seule personne.

Alors que le reste du monde avance sur le chemin de la démoc­ra­tie, la Turquie s’isol­era avec une approche réac­tion­naire de gou­verne­ment ; elle devien­dra un pays autori­taire, oppres­sif et décon­nec­té de la démocratie.
Tous les acquis démoc­ra­tiques de la République, aus­si posi­tifs soient-ils, seront sup­primés du jour au lende­main. Dans ce régime auto­cra­tique, il n’y aura plus per­son­ne vers qui se tourn­er au cas où vous seriez con­fron­tés à l’in­jus­tice et au chaos. Ni les tri­bunaux, ni les autres min­istères, ne remédieront à vos prob­lèmes. Tout sera organ­isé selon le désir, le bon plaisir et l’in­térêt d’un seul homme. Vous serez inca­pable de respir­er dans un régime de peur et de tyran­nie, vous aurez l’im­pres­sion de suffoquer.

Je ne me fie pas à mes pro­pres hypothès­es ou pré­dic­tions, mais à l’ex­péri­ence de vie réelle de ces dernières années. Ce que nous vivons aujour­d’hui n’est que la bande-annonce du régime d’un seul homme. La par­tie ter­ri­fi­ante du film n’a même pas encore com­mencé. Ici, en ce 24 juin, vous déciderez vous même, par vos pro­pres votes si cette atmo­sphère de peur va se poursuivre.
J’ai aucun doute sur le fait que votre déci­sion favoris­era la démoc­ra­tie et la lib­erté. Mal­gré toutes ces per­sé­cu­tions et men­aces, votre pos­ture droite, qui défie la soumis­sion, est la garantie d’un avenir radieux pour la Turquie. Il n’y a pas besoin de tomber dans le dés­espoir, la peur ou l’an­goisse face à cette image som­bre. Devant nous, il y a une sérieuse oppor­tu­nité à saisir, avant d’en­tr­er dans un tun­nel som­bre dont la fin est incer­taine. Nous éval­uerons ensem­ble cette oppor­tu­nité, et vous ver­rez, nous sor­tirons notre pays de cet abîme.

Ne lais­sez pas bris­er votre courage, par les men­aces et l’in­tim­i­da­tion de la voy­ou­cratie creuse, qui mène cam­pagne élec­torale avec leurs gou­verneurs, mag­is­trats, médias, avec toutes les ressources de l’E­tat, sans aucune lim­ite, qui fait tra­vailler toute la bureau­cratie sous le com­man­de­ment de l’AKP et qui, mal­gré cela, n’est pas en mesure de rem­plir les espaces publics. Ils ne valent pas un clou, encore moins un vote ! Il n’est pas dif­fi­cile de mon­tr­er à ces car­i­ca­tures poli­tiques, qui pensent pou­voir soumet­tre le peu­ple en vocif­érant sur les places, en insul­tant les gens et en créant une inim­i­tié entre eux, qui est le peu­ple, et quelle force il possède.

Le 24 juin, déposez vos bul­letins de vote pour le HDP et Demir­taş, qui expri­ment votre désir de démoc­ra­tie. Déposez l’en­veloppe dans l’urne et per­me­t­tez-nous de nous occu­per du reste. Vous ver­rez, lorsque les bureaux de vote seront fer­més le soir des élec­tions, ce qui advien­dra de ces voy­ous menteurs qui sec­ouent leur doigt et hurlent jusqu’à ce que leurs veines sor­tent ! Ne man­quez pas l’oc­ca­sion de don­ner une bonne leçon à ces politi­ciens provin­ci­aux de troisième classe, qui croient qu’ils sont des lead­ers mon­di­aux. C’est pourquoi vous devez aller aux urnes. Votez et sur­veillez les urnes.

En par­ti­c­uli­er, mes jeunes amis devraient se porter volon­taires en tant qu’ob­ser­va­teurs élec­toraux là où ils se trou­vent. Je me suis présen­té comme can­di­dat, depuis la prison, en faisant con­fi­ance surtout aux femmes et aux jeunes. Ici, mes moyens sont très lim­ités. Je suis détenu dans une cel­lule de haute sécu­rité. Mais je sais que vous con­tin­uerez la cam­pagne élec­torale en mon nom, avec foi et ent­hou­si­asme. Encore une fois, je sais qu’avec la même foi et ent­hou­si­asme vous vous réap­pro­prierez les urnes.

Ne vous inquiétez pas pour moi. Tout ira bien tant que vous allez bien. Je serai libre tant que vous serez libre. Je ne m’in­clin­erai pas devant la per­sé­cu­tion, même s’ils me gar­dent en prison encore, non pas 20 mois, mais pen­dant 20 ans. Je con­tin­uerai à résis­ter en votre nom, pour la paix, pour la démoc­ra­tie et la lib­erté. Ceux qui croient qu’ils vont nous faire peur avec l’emprisonnement, l’isole­ment et la mort, sont ceux qui ont peur de leur pro­pre ombre. Lais­sons les seuls avec leurs pro­pres pho­bies, et mar­chons main dans la main vers des lumineux lendemains.

Qui sommes-nous ? Nous sommes Kur­des, Turcs, femmes, hommes, AléviEs, Sun­nites. Mais avant tout nous sommes des êtres humains.
Nous n’avons aucune supéri­or­ité l’un par rap­port à l’autre. Nous sommes sim­ple­ment en colère con­tre la persécution.

Nous sommes Sheikh Bedret­tin au bazar marc­hand de Ser­rai. Pir Sul­tan est de notre côté. Nous étions Hallac‑ı Mansur sur les bancs de tor­ture. Nous étions Abra­ham. Nous étions Mazlum. Nous avons gardé la tête droite en marchant jusqu’à la potence. Nous étions Deniz. Nous étions Hüseyin. Nous étions Yusuf. Notre nom était Sait sur la place Dağkapı. Si nous avions du nous inclin­er devant le comte de Bolu, nous n’au­ri­ons pas été appelés Köroğlu. Nous ne seri­ons pas Mahir, sym­bole de courage. Nous étions Yusuf dans le puits, Hüseyin à Kar­bela. En exil, notre nom fut Ahmet Kaya, en prison, celui d’Yıl­maz Güney.

N’ou­bliez pas qu’on a pris la route en disant :

Grain semé, à la mois­son on vient
Une fois moulu, farine on devient
On part un, mille on revient
Est-ce un salut de nous abattre?

C’est ce qui nous dis­tingue. Nous ne sommes pas auto­crates, nous sommes nom­bre. Tant de gens, nous n’avons pas peur d’un seul homme. Nous attein­drons la plaine tous ensem­ble, cœur con­tre cœur, pour les lende­mains de nos enfants. Nous ne nous inclinerons pas devant ceux qui nous men­a­cent de pendaison.

Dans l’en­veloppe que vous glis­serez dans l’urne le 24 juin, ne met­tez pas la peur, mais votre mes­sage d’e­spoir pour l’avenir. Dites, 1 voix pour HDP, 1 voix pour Demir­taş. Don­nez une chance, non pas à l’ob­scu­rité, à la peur et au cauchemar, mais à l’e­spoir, à la sérénité, à la con­fi­ance et à la paix. Ayons foi en notre suc­cès et faisons-le ensemble. 

Sou­viens-toi, tout change avec toi.
Venez et changeons tout, ensem­ble, soyons touTEs gagnantEs.

Avant de ter­min­er la pre­mière par­tie de mon dis­cours depuis la prison, je voudrais exprimer que je dénonce pour ses pra­tiques injustes et inéquita­bles, la TRT et ses admin­is­tra­teurs inex­cus­ables. Mais j’aimerais saluer avec respect tous les tra­vailleurs-ses de la TRT et soulign­er qu’ils-elles n’ont aucune respon­s­abil­ité con­cer­nant ces injustices.

Empli de ces sen­ti­ments, je vous salue encore une fois avec respect et affec­tion, je vous souhaite bonnes fêtes de Ramadan. Et je for­mule pour vous toutes et tous, des espoirs de lende­mains heureux.

Sela­hat­tin Demirtaş

Vous trou­verez la deux­ième allo­cu­tion du 23 juin 2018, ICI

Vidéo sous-titré en français.


Traduction collective groupe Barış İçin Çeviri dont Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
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