Nous vous proposons une traduction de Büyükada İddianamesinde Örgüt Üyeliğine Delil “Vapur Keyfi” , un article de Burcu Karakaş, paru sur Bianet, le 14 octobre 2017
“Plaisir de vapur” preuve pour appartenance à organisation terroriste
Quelle belle illustration que ce procès de mercredi dernier, au palais de Justice de Silivri, procès où 18 personnes, (dont Meşale Tolu, journaliste et traductrice), qui avaient été placées en garde-à-vue avant le 1er mai de cette année, puis incarcérées, sont maintenant accusées d’appartenance à l’organisation MLKP [Le Parti communiste marxiste-léniniste].
En face des juges, il y avait un groupe, constitué d’un large éventail de suspects, d’étudiantEs, aux imprimeurs, de chômeurs-ses, aux ouvrier-eres, dont 14 d’entre eux-elles étaient déjà incarcéréEs depuis près de six mois. Les accusations sont “appartenance à une organisation terroriste” et “propagande pour organisation terroriste”. Mais, dans le réquisitoire à charge, il n’y avait aucun effort pour construire des liens de causalité. Toutes les accusations se réduisent à des participations à des enterrements et aux commémorations. De plus, elles datent de quatre ans ! En fin de journée, la libération de huit des accuséEs a été décidée, mais personne ne rendra de comptes pour eux, pour les mois passés en prison.
Dans le même genre de dossier, il existe un autre groupe qui est incarcéré depuis plus de 100 jours. Les défenseurs des droits humains, mis en garde-à-vue, lors d’une cession de formation sur la sécurité virtuelle à laquelle ils-elles participaient à Büyükada [une des îles de Prince près d’Istanbul]. CertainEs sont nos amiEs, d’autres nous sont connuEs de loin.
Le réquisitoire est tout chaud. Peut-on dire qu’il s’agit encore d’un formulaire qui, avec une signature de procureur, devient réquisitoire standard ? Réellement, c’est quelque chose, impossible à croire… C’est à dire, s’ils-elles n’étaient pas en prison, on aurait pu tous et toutes rire à gorge déployée. Malgré tout, on peut quand même ironiser un peu, car le matériel le permet !
Rien que dans l’introduction, il est souligné que la réunion de Büyükada “était menée en respectant les consignes de secret des organisations terroristes”. Par ailleurs il est indiqué que “les participants craignaient beaucoup que leurs appareils électroniques tombent entre les mains de la police” et que lors de la réunion, ils-elles parlaient de “chiffrement”.
Répétons donc le thème de la réunion : Sécurité virtuelle. Peut être que ce serait plus compréhensible en anglais “Cyber security” ma biche. C’est en fait, une formation standard, que pratiquement toutes les entreprises et organisations au monde, donnent à leur personnel. C’est un cheminement adopté à partir des inquiétudes concernant la protection des documents et des informations dans l’environnement virtuel. C’est légal et universel. En outre, que veut-il dire “craindre que les appareils électroniques ne tombent dans les mains de la police” ? Qui voudrait que son téléphone ou son ordinateur portable soit fouillé par quelqu’un d’autre ? Y a t‑il un meilleur fantasme ? Sinon, vous pouvez remplacer le mot “police” par un quelconque autre sujet. Moi, par exemple, je crains qu’ils tombent entre les mains de ma mère…
Descendons un peu dans le réquisitoire. Il existe un passage comme cela :
“Dans la région appelée Kurdistan, bien qu’il aient une idéologie différente” de celle du DHKP‑C [Le Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple], finalement, il y a les protestations du Parc Gezi, n’oublions pas le bureau du procureur Général des Îles [de Prince], ainsi que Fetullah Gülen, aussi.…”
Les phrases sont autant insensées, sans lien entre elles. Et, dans le réquisitoire, il figure un énorme paragraphe constitué de ce genre de fatras de mots sans suite. Que celui ou celle qui comprend se montre. Personnellement, moi qui suis une personne qui lit depuis toujours tout ce qui passe sous ma main, je n’ai rien compris à ce que j’ai lu.
Il y a, par exemple, une magnifique partie concernant İdil Eser, la directrice de l’antenne de Turquie d’Amnesty International. Une personne prétendument membre du PKK aurait pris contact avec elle. Elle aurait répondu ceci : “Bonjour Monsieur Murat, pour toutes les informations concernant l’adhésion, vous pouvez contacter l’adresse e‑mail X. Vous pouvez également prendre contact avec notre bureau d’Istanbul.”
C’est tout. J’ai regardé de près, en me demandant si c’est moi qui voyais mal. Rien. Il n’y a rien d’autre. Cette réponse qu’elle a rédigée, est donc considérée comme preuve d’appartenance à une organisations terroriste.
Ah… après, il y aurait eu d’autres “choses” obtenues du “suspect İdil”, bien sûr. Souvenez-vous de Hakan Yaman ? Il avait perdu un oeil, lors d’une attaque de la police, lors des manifestations de Gezi… Voilà, pour lui, il y avait eu une campagne organisée par Amnesty Turquie et elle s’appelait “Qu’est-il arrivé à Hakan Yaman?”. Une liste de communication fut préparée pour la diffusion des vidéos réalisées dans le cadre de cette campagne. Et il y avait une notification sur cette liste : “Ne partagez cette liste avec personne”. En fait, même le procureur a noté pourquoi cette liste ne devait pas être partagée, mais le document est quand même placé dans le dossier. “Du fait que sur la liste se trouvent les numéros de téléphones et adresses d’artistes.…..”
N’oublions pas les preuves à l’encontre d’Özlem Dalkıran. Partageons donc un court paragraphe :
“J’écris là, quelque chose de très sérieux. Avant de prendre le vapur [bateau navette d’Istanbul], vous allez éteindre tous vos appareils électroniques. Vous voyagerez en savourant le paysage, en prenant plaisir, et vous ne les allumerez pas jusqu’à ce que vous entriez dans votre hôtel.”
De plus, ce paragraphe est écrit en gras ! A mon avis, ce n’est pas une blague, il y a là, la joie d’avoir trouvé une preuve super sérieuse. Voilà, le plaisir de vapur, devenu preuve pour dossier de terrorisme !… Le fait que les procureurs prennent au sérieux, le sérieux que Özlem montre pour le plaisir de vapur, est vraiment admirable. Je ne pense pas que les amiEs du groupe l’avaient reçu avec autant de sérieux.
Maintenant, on arrive à la partie que je je préfère. En réalité, je voulais construire mon article à partir de cette partie, mais je n’ai pas pu laisser sous silence les autres bizarreries. Il y a des accusations inimaginables à l’encontre de İlknur Üstün; défenseure des droits des femmes.
Tellement que, je suis revenu sur mes pas, et que j’ai relu et relu. Parce qu’il est vraiment dif-fi-ci-le d’y croire chers spectatrices et spectateurs…
Cette İlknur, elle est vraiment une sacrée terroriste, voyez-vous ? Mais avant de vous expliquer son crime, je voudrais vous parler d’un sujet que vous ne connaissez pas.
Dans la Turquie de nos jours, la nouvelle favorite des dossier du terrorisme, est “l’égalité sociale des genres”. Mukaddes Alataş aidait les femmes victimes de violences au centre “Kardelen Kadın Merkezi” liée à la mairie de Diyarbakır. Quand elle fut arrêtée, ses travaux sur les femmes avaient servi de preuves, à son encontre, elle aussi. (Elle a été libérée récemment).
Quand nous voyons que nous sommes, en tant que femmes, prises autant au sérieux, tout comme dans le cas du “plaisir de vapur”, nos coeurs battent fort. Dieu soit notre témoin, vous croirez que nous sommes tombées amoureuses et que des papillons volent dans nos poitrines. Bon, maintenant regardons ce que İlknur a fichu :
“Lors de l’observation du document word, intitulé ‘projet réalisé avec le soutien de l’Ambassade.509’, il a été constaté qu’il y a eu des frais provoqués dans le cadre du projet ‘gender equality, participation in policy making and reporting’ [l’égalité des genres, la participation dans l’élaboration des politiques et de rapports] rédigé par İlknur Üstün, et que le financement de ces frais a été demandé à l’Ambassade.…”
İlknur, soeurette, c’est quoi cette “égalité des genres” ? Est-elle mangeable ? Nourrit-elle, désaltère-t-elle ? Quand une militante expérimentée des droits des femmes, est accusée de terrorisme, avec comme preuve, une demande de fonds pour un projet concernant l’égalité sociale des genres, peut-on dormir ? Le cerveau ne se fond-il pas ? L’être humain sensé, ne perd-il pas la tête ?
Les accusations qui concernent les autres suspects, et qui figurent dans ce dossier, sont similaires à tout ce que j’écris ici. Votre imagination fera le reste.
Finissons donc cet article intéressant, avec un message que İlknur a envoyé, par l’intermédiaire des avocates Yasemin Öz et Sedat Selek qui se sont entretenues avec elle très récemment :
“Le soutien et la solidarité que vous montrez avec vos lettres, messages, cartes et salutations, me donnent de l’espoir, non seulement pour moi même, mais aussi pour le monde. Je me dis ‘si ces personnes existent, l’espoir existe pour le monde.’. Je prends des forces de vous. Je sais très bien ce que nous faisons. Nous avons fait des choses bien, au moment juste. Et nous continuerons de les faire. La Justice viendra, je le crois. Je vous enlace tous et toutes avec nostalgie et amitié.”
Burcu Karakaş
Our Turkey office Director will spend her birthday in prison tomorrow. Wish her freedom here: https://t.co/UlICo85x9F #FreeRightsDefenders pic.twitter.com/puCVwe8toG
— Amnesty International (@amnesty) October 13, 2017