La grève de la faim est une arme de résis­tance à dou­ble tran­chant, mais elle est très sou­vent la seule qui reste à des otages poli­tiques incar­cérés, comme c’est le cas en Turquie.

On sait très bien qu’un régime qui veut anéan­tir son oppo­si­tion par la force et la répres­sion, est tou­jours prêt à laiss­er mourir un opposant, dès lors où sa lutte n’est pas con­nue, portée au grand jour, et qu’elle reste “con­fi­den­tielle”.

On con­naît tous, dans l’his­toire des luttes de ces quar­ante dernières années, des cas où un état est allé jusqu’au bout et n’a pas cédé, comme ce fut le cas dans la guerre de libéra­tion irlandaise, où en Turquie même dans les années 1990 et 2000.

Le 20 octo­bre 2000, la gauche rad­i­cale en Turquie avait com­mencé, dans les pris­ons, une grève de la faim illim­itée qui est dev­enue un jeûne de la mort. Ce jeûne s’est pour­suivi jusqu’en 2007 et a causé la mort de 123 détenus. Au total, 600 per­son­nes sont dev­enues hand­i­capées suite à l’alimentation for­cée de l’Etat.

Ain­si on trou­ve sous la plume de Eylem Özkaya, (doc­teur en soci­olo­gie) en 2010, dans un arti­cle inti­t­ulé “Se laiss­er mourir pour que l’autre puisse vivre”

En Turquie, la grève de la faim est un moyen de con­tes­ta­tion très pra­tiqué chez les détenus. Les pris­on­niers turcs, comme ceux de bien d’autres pays, ont adop­té cette façon de con­tester surtout à par­tir de 1984. En Turquie, nous avons qua­tre dates impor­tantes con­cer­nant les grèves de la faim : 1981, 1984, 1996 et 2000. Ces dates sont essen­tielles car elles indiquent com­ment les grèves de la faim sont dev­enues jeûnes de la mort pour pro­test­er dans un pre­mier temps con­tre les con­di­tions de déten­tion des pris­on­niers et par la suite pour men­er une action poli­tique à par­tir des pris­ons. En 1981, les pris­on­niers enta­ment une grève de la faim dans la prison de Diyarbakır con­tre les tor­tures, les tabas­sages et les mau­vais­es con­di­tions de vie en prison. En 1984, une grève de la faim éclate car l’administration oblige les pris­on­niers à porter des uni­formes. Ce jeûne de la mort vise tout à la fois à dénon­cer les mau­vais­es con­di­tions de vie dans les pris­ons, les tor­tures et les isole­ments dans des cel­lules pour des durées indéter­minées. En 1996, les pris­on­niers font la grève de la faim pour arrêter les trans­ferts dans les pris­ons de haute sécu­rité com­muné­ment appelées « pris­ons de type F ». Ces pris­ons sont spé­cial­isées dans l’isolement des détenus dans des cel­lules appelées « cham­bres ». Après la mort de douze per­son­nes lors de cette grève, l’Etat arrête les trans­ferts. Hormis ces jeûnes de la mort, il est pos­si­ble de compter soix­ante ‑dix grèves de la faim non mortelles, réal­isées par les mil­i­tants appar­tenant aux organ­i­sa­tions de la gauche rad­i­cale turque dans l’espace car­céral turc.

ou encore :

La grève de la faim lim­itée, qui est appelé “süre­li açlık gre­vi” en turc, sig­ni­fie des grèves de la faim à durée lim­itée et le refus de l’alimentation don­née par l’Administration pour une durée pré­cise. Dans ce cas, les grévistes pré­cisent les raisons et la durée de la grève de la faim dans une péti­tion adressée à l’administration péni­ten­ti­aire. La grève de la faim illim­itée que l’on nomme “süre­siz açlık gre­vi” en turc part de ce même principe de refus d’alimentation mais pour une durée indéter­minée. La grève de la faim illim­itée ne vise pas la mort bien que la mort puisse sur­venir à cause de la sous-ali­men­ta­tion. Cette grève de la faim illim­itée vise à répon­dre à une mesure ou une sanc­tion de l’Etat ou encore à faire arrêter ces mesures pour une durée plus longue. Autrement dit, de faire enten­dre sa voix sans aller jusqu’à la mort. Dans cette expres­sion, le qual­i­fi­catif illim­ité con­cerne la durée de l’action. Il ne veut pas force­ment dire grève illim­itée d’une seule per­son­ne mais grève inin­ter­rompue pen­dant un cer­tain laps de temps par l’ensemble de l’organisation. Il est pos­si­ble ain­si de faire la grève de la faim à tour de rôle. Dans ce type de grève de la faim, cer­tains grévistes arrê­tent la grève de la faim au bout d’un cer­tain nom­bre de jours et d’autres la repren­nent. Finale­ment, le jeûne de la mort que l’on désigne par l’expression “ölüm oru­cu” en turc, est le refus de l’alimentation venant à la fois de l’Etat et du pro­pre stock des pris­on­niers jusqu’à la sat­is­fac­tion de leurs deman­des ou jusqu’à la mort. La prise de tisanes, de sel, d’eau sucrée ain­si que de vit­a­mine B1 est per­mise pen­dant le jeûne de la mort. Cepen­dant, même si cer­taines organ­i­sa­tions ont par­fois cessé d’en pren­dre, la prise de vit­a­mine B1 pen­dant le jeûne de la mort de 2000, est un fac­teur pri­mor­dial. C’est en effet grâce à cette vit­a­mine que le cerveau reste intact. Ce qui explique les longues durées de jeûne, allant par­fois jusqu’à 300 jours.

Une grande dame de l’his­toire poli­tique du mou­ve­ment kurde Ley­la Zana, qui échap­pa de peu à la pendai­son, à laque­lle les mil­i­taires kémal­istes l’avait con­damnée pour séparatisme, grâce à de très fortes mobil­i­sa­tions de sou­tien, a plus que d’autres, util­isé ce moyen de lutte et de résistance.

Aujourd’hui, c’est une nouvelle vague de grèves de la faim qui s’est soulevée dans les prisons turques.

Nous vous don­nons à lire un rap­port d’ur­gence, établi par l’op­po­si­tion démoc­ra­tique de Turquie, et dif­fusé par le CDKF, qui alerte sur la sit­u­a­tion urgente et dramatique.

Inutile de pré­cis­er que partager, alert­er, est indispensable…

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Mise à jour du 19 avril :

Une info impor­tante, dont on ne peut mal­heureuse­ment se réjouir qu’à moitié (leurs jours ne sont plus en dan­ger, mais leurs voix n’ont pas été enten­dues). Les pris­on­niers poli­tiques ont mis fin aux grèves de la faim suite à l’ap­pel du KCK. À la suite de cet appel, les pris­on­niers poli­tiques du PKK et du PAJK ont mis fin aux grèves de la faim, dev­enues inaudi­bles alors qu’un mou­ve­ment de protes­ta­tion con­tre le référen­dum se fait enten­dre. On peut toute­fois con­stater que pour l’heure, ce mou­ve­ment de protes­ta­tion n’en­globe pas toutes les raisons de s’op­pos­er au régime, et l’une des plus impor­tantes, le géno­cide poli­tique de l’op­po­si­tion démoc­ra­tique et les otages en prison.

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