La Représentation du Rojava en France a été ouverte à Paris, en mai 2016. Nous en avions alors fait part ici, à l’occasion de son inauguration.
Pour cette journée du 1er novembre, restée “Journée mondiale pour Kobanê”, nous trouvons plus qu’utile de revenir sur ce petit coin de Rojava à Paris.
Il fallait donc que des “kedi” aillent y rencontrer Khaled Issa, son coordinateur et représentant.
Ce fut chose faite vendredi dernier.
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Khaled Issa en a profité pour revenir sur les rôles et la place de cette Représentation du Rojava en France.
Cette Représentation n’a pas le statut d’un Consulat ou d’une Ambassade, on le sait. Le Rojava n’est pas reconnu internationalement. Il n’en est pas moins un embryon de “diplomatie” non officielle, tant auprès du gouvernement que des collectivités. Et même si cela ne tient qu’au “bon vouloir” des autorités françaises, il ne tient qu’aux soutiens du Rojava ici de transformer ce bon vouloir en état de fait durable et d’avenir.
Faire de la Représentation du Rojava à Paris un centre de coordination et de ressources pour toutes les initiatives de soutien en France aux processus politiques en cours au Rojava serait déjà un premier pas.
Les besoins sont immenses, et les tâches sont urgentes.
Le Rojava est environné par les guerres, en Irak et en Syrie, et fait l’objet d’attaques incessantes du gouvernement turc, qui visent à empêcher la réunification de ses trois cantons, en isolant celui d’Afrîn. Daech, l’ennemi principal dans la région, est loin d’être le seul.
L’effondrement de l’Etat syrien, la transformation d’un soulèvement populaire en guerres civiles, l’irruption de gangs soutenus par des puissances régionales, armées contradictoirement par des puissances internationales, le rôle de la Russie dans le rétablissement du pouvoir de nuisance du régime syrien, tout cela a contribué à placer cette entité au Nord de la Syrie dans une situation de guerre et de pénurie extrêmement difficile.
Donnons quelques repères :
- Tout d’abord, il faut distinguer le Rojava, (les 3 cantons d’Afrin, Djezireh et Kobanê) et les zones libérées de Daech et à majorité arabe, ayant manifesté démocratiquement la volonté de rejoindre le projet politique et social du Rojava.
- Le Rojava compte (il n’y a pas de données “officielles”, les seules disponibles ayant presque 10 ans) environ 3,5 millions d’habitants (à 90% kurdes) : dans le canton d’Afrin, on serait à plus de 95%, dans celui de Djezireh, 70% et dans le canton de Kobane, à 98% environ. Bien entendu, il y a des Kurdes un peu partout en Syrie, notamment à Damas et à Alep (dont le quartier kurde est régulièrement bombardé par les “rebelles” — modérés selon les E.U et l’UE… et par les troupes d’Assad) qui, n’étant pas au Rojava, ne sont pas comptés. En plus des “rojaviens”, il y a de nombreux réfugiés. Ils ne seraient pas loin d’un million au Rojava et 200000 dans les territoires libérés.
- Si la majorité des Rojaviens sont kurdes, en aucun cas cela ne constitue un argument pour une quelconque domination politique basée sur un critère d’identité ethnique. Le Rojava compte des Kurdes, des Arabes, des Assyriens, des Turkmènes… la seule chose qui importe dans cette multitude ethnique et religieuse c’est l’adhésion au projet et à l’expérience politique et sociale du Rojava, incarnés notamment par notre “contrat social” — (disponible sur le site en construction). D’ailleurs toutes les forces politiques et sociales du Rojava (incluant des hommes et des femmes de multiples origines et de différentes obédiences politiques) se sont mobilisées pour l’auto-administration du Rojava sur une base aux antipodes de toute idée d’Etat-nation ou d’Etat-religion.
Si, dès 2012, les troupes du régime syrien se sont repliées sur les zones plus stratégiques autour de Damas, à partir de 2013, le Rojava a du être défendu contre les groupes issus d’Al-Qaïda : le Front al-Nosra, branche officielle, et Daech. En 2016, bien qu’il n’ait jamais cessé ses pressions et attaques, et le double jeu avec Daech, le gouvernement turc a décidé frontalement d’empêcher la jonction frontalière, et a fait irruption en Syrie. Depuis, les combats sont quotidiens avec l’armée turque et les gangs qu’elle entretient.
Nous ne résumerons pas cette situation du Rojava en un article, et ce n’est pas ici le but. Les informations que l’on trouve aujourd’hui sur beaucoup de sites méritent d’être affinées et corrigées pourtant.
Vous trouverez sur Kedistan de multiples angles de vue pour comprendre les enjeux et leur complexité, tout en mesurant l’urgence qu’il y a à soutenir un processus de construction démocratique fragile, dans cet environnement de guerres, qui concerne plus de 4 millions d’humains.
Le Rojava ne se résume pas à cette guerre et ses images de combattantEs en uniforme. Laissons le martyre à la mort, et l’humain aux vivants.
Le Rojava tente de réunir ses populations sur un projet d’avenir commun, qu’il propose aussi à la Syrie entière, tant que cette proposition politique est encore possible, dans l’imbroglio créé depuis 2011, et bien avant par les guerres irakiennes. Ce projet, s’il commence par consacrer l’égalité homme/femme à tous niveaux et dans les responsabilités, prend aussi en compte l’écologie et le social, la démocratie horizontale et la représentation des minorités. Difficile de résumer le confédéralisme démocratique en deux phrases, sans, au mieux l’idéaliser, au pire, schématiser un processus politique humain.
Depuis le 12 novembre 2013, le Rojava dispose de sa propre administration autonome. Cette administration a vocation à gérer les questions “politiques, militaires, économiques et de sécurité dans la région et en Syrie”.
Le 29 janvier 2014, le conseil législatif de l’autogestion démocratique, composé de membres élus représentant 38 formations politiques, sociales, civiles et associatives incluant aussi des personnalités, mais aussi le PYD, a proclamé une constitution du Rojava . Ces organisations (représentant en quelque sorte la totalités des forces politiques du Rojava) font partie pour certaines du TEV-DEM (comme le PYD), d’autres non (on parle parfois d’opposition reconnue car reconnaissant le contrat social et l’auto-administration), d’autres encore y entrent et en sortent selon les circonstances.
En janvier 2015, les djihadistes sont repoussés de la ville de Kobanê en ruines. Au mois de juin de la même année, le blocus du canton de Kobanê est définitivement rompu après la victoire des YPG/YPJ.
Le 17 mars 2016, l’auto-administration du Rojava a annoncé son existence en mettant en avant un projet de fédéralisme démocratique pour toute la Syrie.
Voici quelques grandes dates, que vous retrouverez dans toutes les descriptions concernant le Rojava. A l’échelle d’une vie humaine, c’est une période d’histoire très courte, et la création de la Représentation du Rojava à Paris est à mettre en parallèle avec cet espace temps.
Il y a donc tant à faire.
Khaled Issa insiste sur la dimension “humaine” de son rôle. Il est là pour la mettre en avant également, et en fait une priorité. Cette dimension est à la fois humanitaire, économique et culturelle. Et l’appel aux soutiens institutionnels, associatifs, concerne ces trois domaines.
Il est là aussi pour faire connaître les propositions politiques mises en oeuvre au Rojava, pour penser l’avenir commun et l’ancrer concrètement dans le présent de la région, dans un processus de construction démocratique à l’échelle du territoire. Et ce processus peut intéresser tous les Etats Nations en crises politiques permanentes.
Nous ne développerons pas davantage sur l’esquisse d’autres échanges, pour lesquels nous aurons sans doute l’occasion de renouveler une telle rencontre.
Mais, et leurs oreilles ont dû sonner, nous terminerons sur l’intérêt qu’à suscité les liens qui se sont tissés entre le Rojava et la Zone à Défendre de Notre Dame des Landes, et tout particulièrement sa commission Kurdistan. Vous qui fréquentez Kedistan régulièrement, n’ignorez pas les publications de Merhaba Hevalno, cette revue de presse sur le Kurdistan, imprimable chaque mois, diffusée déjà aux quatre coins de la France par des militants qui la soutiennent. Il était indispensable, concernant le Rojava, que Khaled Issa en prenne connaissance et puisse apprécier ces liens qui dépassent largement le symbolique. Il y a aussi des chemins à construire de ce côté là, plus que des pistes d’aéroport inutile.
A l’issue de cette première rencontre, nous avons pu mesurer, entre la soirée “Kurdistan en flammes” du jeudi, qui a rempli largement la première partie de son objectif de solidarité financière qui se poursuivra sur le net, et a amené plusieurs centaines de personnes à participer, et la manifestation parisienne du samedi contre la démocrature en Turquie, nous avons pu mesurer, disons-nous, que les initiatives de popularisation et de soutiens restaient dispersées, souvent “en concurrence”, à l’image du paysage politique français.
Puissent-elles, quand il s’agira du Rojava, s’appuyer sur sa représentation en France. Ce serait un pas de géant, et donner à cette modeste représentation, sa réelle place dans le coeur des soutiens ici.
Pour le reste, il y a bien du chemin à parcourir, tant nous avons pu constater la multiplicité des « représentations », liées ou non à des partis franco-français, et souvent à leurs agendas politiques.
Le Moyen Orient, la Turquie, le mouvement kurde, ont besoin d’autres choses que de petites phrases sur un agenda électoral hexagonal, ou de bavardages sur les bavardages. Il s’y joue des affrontements “géopolitiques” qui mettent en danger des millions de vies humaines, tout aussi cruciaux que ceux d’il y a un siècle pour l’avenir. Les Etats Nations européens se prémunissent des conséquences de leurs propres ingérences en fermant leurs frontières. Dans le même élan, les populations se replient sur elles mêmes, bien aidées par des populismes politiques à l’oeuvre.
S’il est indispensable de reconstruire les ponts, de retisser les solidarités transnationales, il faudrait aussi pour cela que les acteurs de cette solidarité se regroupent au delà de leurs différences, de leurs compétences, de leurs obédiences, et à l’écart des aléas des agendas politiques locaux, quelle que soit leur importance. Il y eut dans les années 1990, lors de l’éclatement de l’Ex Yougoslavie, une coordination nationale des initiatives de soutien. Sans internet, mais aussi loin des ingérences partidaires (ce qui explique sans doute l’oubli militant collectif entretenu à gauche). Des collectifs de soutien oeuvrant en commun sur les questions politiques, humanitaires et culturelles ont pesé dans les décisions gouvernementales et avaient apporté une aide aux populations. Cet exemple montre qu’il est possible de coordonner efficacement et démocratiquement une solidarité, dès lors où la volonté est présente et les facteurs de division tenus à l’écart. Cela ne signifie pas qu’au final, les rapports de forces politiques internationaux ne prennent pas le pas dans les décisions. Mais il vaut mieux combattre ensemble contre eux que dispersés. Il y a sûrement un long chemin avant que naissent un jour les premières “Assises” qui verraient naître un large mouvement de soutien pour le Kurdistan, avec un fonctionnement en analogie au confédéralisme démocratique. Mais un kedi qui rêve…
S’il fallait formuler un voeu pour cette journée mondiale pour Kobanê, le voilà fait.
Regarder en complément : “parlons du Rojava”.
Représentation du ROJAVA en France
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