Deux exemples, parmi tant d’autres, à Şırnak et Nusaybin de la volonté des populations du Kurdistan turc, pour rester sur leurs terres, dans leurs lieux de vie, malgré la répression de l’Etat qui se poursuit contre tout un Peuple.Merci à l’agence JINHA qui nous a permis de rédiger cet article, et rappelons que l’une de ses membres, Zehra Doğan est toujours détenue dans les geôles de l’Etat turc.
Şırnak
Un couvre — feu a été imposé à Şırnak pendant plus de sept mois. Les forces armées turques avaient annoncé “l’opération” comme terminée en juin dernier. Les forces de l’Etat n’ont pourtant pas permis aux populations de revenir dans le centre-ville. Elles survivent donc sous des tentes mises en place autour de la ville depuis 187 jours, refusant de quitter et d’abandonner leurs terres. Cela n’est pas du goût des forces de répression turque, et l’Etat se fâche de la résistance des personnes de Şırnak et menace de les déplacer de force à nouveau.
Il y a deux jours, les forces de répression ont bloqué la zone de tentes et arrêté quatre personnes. Les forces de l’Etat, par exemple, ont encerclé les réfugiés dans le village de Toptepe toute la matinée et fouillé toutes les tentes. Ils ont également menacé les gens en disant: “Nous allons vous sortir d’ici”.
Il y a un mois, le gouverneur adjoint de Şırnak avait convoqué les populations et fait un discours sur “l’enlèvement nécessaire des tentes”. Les gens avaient répondu qu’ils ne retireraient pas leurs tentes malgré toutes les difficultés et dit au gouverneur qu’ils ne quitteraient jamais leurs terres.
La destruction de sept quartiers de Şırnak se poursuit. Outre la destruction, les forces de l’Etat ouvrent le feu à partir de la station de police Ikizce et Sanayi Police Checkpoint, chaque nuit, afin d’effrayer les gens. Le nouveau scénario mis en place par l’Etat pour déplacer les gens consiste à dire que « les terroristes se cachent dans les tentes».
Récemment, lors d’incursions de forces gouvernementales, les menaces ont fusé : “De quel côté êtes-vous ? Pourquoi restez-vous silencieux à propos des attaques contre nous ? S’ils nous attaquent à nouveau, nous allons supprimer toutes ces tentes, et nous vous suivrons à la trace.”
Nusaybin
Nusaybin a subi un état de siège depuis plus d’un an, dont un couvre-feu imposé de cinq mois. La municipalité a été confisquée par un administrateur nommé le 11 Septembre, par décret, comme pour 28 autres, (dont 34 municipalités kurdes) et la porte de la municipalité a été fermée à la population.
Les travaux réalisés dans 15 quartiers depuis la fin du couvre-feu, malgré la mise sous tutelle, ont continué d’être menées dans les quartiers par l’ancienne équipe municipale.
Co-maires, responsables municipaux et employés ont continué leurs visites maison par maison et ont poursuivi la préparation de l’exécution des travaux en disant: «Chaque maison est bâtiment de la municipalité ».
A Nusaybin, la Co-maire Sara Kaya s’exprime ainsi :
“Un représentant fictif a été nommé à l’édifice municipal. Pour nous, chaque avenue, rue, chaque maison est une municipalité. Avant, les gens venaient à nous, maintenant , nous allons aller vers eux. Nous allons défendre la volonté du peuple.”
Sara Kaya a aussi déclaré qu’elle ne reconnaissait pas cette décision et que le “représentant fictif” n’occupait qu’un bâtiment. Sara a rappelé les couvre-feux imposés à Nusaybin durant environ cinq mois, les destructions, et a expliqué qu’ils avaient effectué des travaux en établissant des commissions pour les personnes victimes. Sara dit :
« Comme vous le savez, l’AKP a saisi notre municipalité. Nous avons commencé à visiter les familles en créant 11 groupes afin de mener à bien nos travaux prévus. Par exemple, nous visitons cette maison maintenant et cette maison est notre municipalité.”
“Ils ne pourront pas briser la volonté du peuple et c’est aussi notre volonté. Nous continuerons d’être avec notre peuple jusqu’à ce qu’ils ne veulent plus de nous. Nous avons obtenu 80% des votes lors des dernières élections. Cependant, aujourd’hui, le bâtiment municipal n’est guère différent du palais de justice ou de la police. Il n’y a pas de sens à ce bâtiment pour nous. Nous avons gouverné cette municipalité pendant deux ans et demi. Nous avons toujours été avec notre peuple. Nos gens peuvent nous contacter quand ils le veulent. Nous sommes encore leurs Co-maires.”
Sara a également déclaré :
“Nous avons déterminé combien de familles reviennent à Nusaybin et combien de maisons ont été détruites. Nous prenons également en compte les familles de frères et soeurs.”
Sara a souligné les attaques sur la volonté des femmes en nommant l’administrateur aux municipalités et dit :
“Des ‘représentants fictifs’ ont été nommés dans nos 24 municipalités. Les maires de 14 municipalités étaient des femmes. Ils ignorent le travail et la volonté des femmes avec ces ‘fiduciaires’ (non élus, nommés par l’Etat). Cependant, ils ne peuvent pas briser la volonté des femmes. Tout le monde doit se lever pour la volonté des femmes.”
Soutien immédiat et concret
Deux exemples, non pas pour faire des “images” ou susciter des “c’est horrible”. La compassion, si elle est un moteur pour l’action aussi, ne doit pas nous faire oublier que le combat politique du mouvement kurde se mène pour l’avenir de populations “de chair et de sang”, aujourd’hui victimes d’une volonté nationaliste dont l’idéologie génocidaire n’est plus à démontrer.
L’extrême polarisation de la société turque, résultat d’une politique d’état AKP, dirigée par un Erdoğan dont on aurait tort de sous-estimer l’intelligence politique, a conduit à faire en sorte que tant les massacres, que les expropriations, suivies par des décisions prises dans l’arbitraire total de l’état d’urgence, à l’Est de la Turquie, sont quasi ignorées de la population à l’Ouest. “L’alliance nationale contre le terrorisme”, élargie jusqu’au “centre gauche”, fait le reste. La presse “alliée” aux ordres, va même jusqu’à accuser le PKK des destructions à Nusaybin…
L’offensive turque en Syrie, aux côtés de “djihadistes libres”, à Jerablus, puis d’Al-Bab, et bientôt peut être vers Alep, fait aussi passer au second plan les souffrances des populations dans les villes martyres, nombreuses, au Kurdistan turc.
Nous les rappellerons prochainement, à Paris, fin octobre, lors d’une réunion publique et d’un concert, en cours d’organisation, destinés à collecter des fonds pour les populations de ces villes. Celle-ci sera complémentaire, bien sûr, avec le rassemblement du 19 octobre, toujours à Paris.
Les initiatives, fort heureusement, se développent en Europe. Et nous les relayons chaque fois, pour peu que nous en ayons connaissance à l’avance.
Car, si la dénonciation des conditions géopolitiques, et la popularisation des combats pour l’émancipation des Peuples contre les nationalismes à l’oeuvre sont fondamentales, n’oublions jamais que la souffrance quotidienne de ces Peuples n’attendra pas que les “solutions soient trouvées”, et que, comme pour les réfugiés, des hommes et des femmes sont en cause, et doivent obtenir un soutien immédiat et concret.
Image à la une : Sertaç Kayar