Note de Kedis­tan : A not­er que cet arti­cle a été rédigé avant l’ir­rup­tion turque à Jarablus, et ses con­séquences. Il n’a pu être pub­lié ici plus tôt. Il en est pour­tant d’au­tant plus impor­tant pour com­pren­dre les enjeux actuels.

Comme sou­vent, de nom­breux médias ont infor­mé de façon par­tielle et sans grande con­nais­sance des dif­férents enjeux, de la bataille de Man­bij, qui a vu s’op­pos­er les FDS1dont la prin­ci­pale com­posante sont les mil­ices majori­taire­ment kur­des des YPG/YPJ2et Daech.  La com­préhen­sion mil­i­taire notam­ment des événe­ments a large­ment été délais­sée. Cet arti­cle tente d’ex­pli­quer les enjeux poli­tiques et mil­i­taires de la bataille de Man­bij dans son ensemble.

Manbij

Carte sim­pli­fiée de la bataille de Manbij

Phase 1
La préparation

Pour un stratège, c’est prob­a­ble­ment la phase la plus impor­tante, car cette par­tie déter­mine sou­vent l’is­sue d’une bataille. Dans le cas de la Bataille de Man­bij, la pré­pa­ra­tion mil­i­taire com­mença des mois avant que les FDS n’at­taque­nt Man­bij par une série de pris­es de posi­tions stratégiques par les YPG /YPJ. D’abord un an aupar­a­vant la ville fron­tière de Tall Abyad (en kurde : Gîté spi) était prise par les YPG/YPJ fer­mant à Daech l’une de ses deux prin­ci­pales sources de rav­i­taille­ment. Par la suite, la bataille dif­fi­cile de Sar­rin et de sa région mon­tag­neuse pu sécuris­er le flanc sud de Kobané. C’est par la suite de la bataille de Sar­rin que les FDS, créées entre temps en Octo­bre, vont en Décem­bre 2015 pren­dre le bar­rage hydroélec­trique stratégique de Tishrin pour pou­voir tra­vers­er l’E­uphrate au sud-est de Man­bij et avoir un appro­vi­sion­nent en élec­tric­ité qui manque cru­elle­ment dans les régions à majorité kurde. En effet lors de mon voy­age sur place, les coupure de courant étaient quo­ti­di­ennes. Les FDS vont établir une tête de pont dans quelques vil­lages à l’Ouest du bar­rage et l’Euphrate.

Com­mence le plus dif­fi­cile. Les FDS, bien posi­tion­nées pour l’as­saut, vont devoir atten­dre près de six mois. Des négo­ci­a­tions dif­fi­ciles s’en­clenchent entre les représen­tants poli­tiques de trois par­tis : Les FDS, l’État-major améri­cain et le gou­verne­ment Turc. Le but de cette par­tie à trois pour les Etats-Unis est de trou­ver un com­pro­mis entre les FDS et le gou­verne­ment turc pour en finir le plus vite pos­si­ble avec Daech en coupant son appro­vi­sion­nement depuis la fron­tière turque. Le but des FDS est de pou­voir au plus vite tra­vers­er l’E­uphrate pour faire la jonc­tion entre le can­ton de Kobané et d’Afrin à l’Ouest encer­clé et isolé. Pour le gou­verne­ment Turc, il s’ag­it d’empêcher l’ex­ten­sion du Roja­va, ou Kur­dis­tan syrien, par tous les moyens. Par con­séquent, ces derniers vont tout faire pour blo­quer le proces­sus diplo­ma­tique en cours. Après des propo­si­tions sur­réal­istes, le gou­verne­ment Turc va deman­der à ce que la force qui prenne Man­bij soit com­posée exclu­sive­ment d’arabes, alors que Man­bij est une ville mixte kur­do-arabe et que la majorité des troupes des FDS sont kur­des. Ils vont deman­der à ce qu’il n’y ait pas d’as­saut sur Jarab­u­lus, ville-fron­tière stratégique avec la Turquie, qui facilit­erait bien la tâche aux FDS si ils pou­vaient y pren­dre posi­tion. La Turquie va pro­pos­er à de mul­ti­ples repris­es que ce soit des islamistes financés par elle qui pren­nent les posi­tions con­voitées par les FDS. Les islamistes vont lancer plusieurs assauts depuis leur poche d’Azaz con­tre Daech et ils vont lam­en­ta­ble­ment échouer. De plus, les islamistes vont retourn­er leurs armes con­tre les FDS. Le com­porte­ment de la Turquie va pro­fondé­ment agac­er les Etats-Unis qui vont finir par don­ner gain de cause aux Kur­des en accor­dant le min­i­ma à la Turquie c’est à dire que la force qui pren­dra Man­bij sera en majorité com­posée d’Arabes et que Jarab­u­lus ne sera pas ciblée… pour le moment. Les FDS, eux, ont atten­du l’aval des États-Unis car ils ont con­sid­éré qu’un sou­tien aérien de la coali­tion anti-Daech était impor­tant ain­si que le sou­tien des forces spé­ciales de la coali­tion. D’un point de vue diplo­ma­tique, les FDS ont une nou­velle fois gag­né des points vis à vis des États-Unis.

Il n’empêche qu’une des con­séquences néfastes de cette longue négo­ci­a­tion est que Daech à eu le temps suff­isant pour ren­forcer con­sid­érable­ment ses défens­es creu­sant de nom­breux tun­nels dans la ville, con­stru­isant de nom­breuses for­ti­fi­ca­tions. Plus tard, les FDS décou­vriront qu’ils avaient même mis en place un ate­lier d’armes fac­tices pour tromper les bom­barde­ments de la coalition.

Pour combler le retard pris par les négo­ci­a­tions, les FDS appuyées par la coali­tion inter­na­tionale vont met­tre un ingénieux plan en place pour repren­dre la ville de Manbij.

Phase 2
Campagne de désinformation

Peu après la vis­ite du chef d’E­tat major améri­cain pour le Moyen-Ori­ent le 21 mai, une offen­sive majeure est déclarée par les FDS et la coali­tion en direc­tion de Raqqa. Sur les réseaux soci­aux de nom­breuses vidéos cir­cu­lent avec des com­bat­tants des FDS se réu­nis­sant en masse au nord de Raqqa. Les FDS mul­ti­plient les provo­ca­tions con­tre Daech. Ils se pava­nent avec de nou­veaux blind­és, dont des trans­ports de troupes BMP et de l’ar­tillerie anti­aéri­enne Shil­ka. Ces blind­és n’é­taient jamais apparus dans une autre vidéo avant. Le mes­sage était clair : nous avons obtenu des armes de nos alliées et nous avons main­tenant les moyens de pren­dre Raqqa. Ensuite les FDS nom­ment comme com­man­dant de la cam­pagne de Raqqa une com­man­dante ce qui atti­ra encore plus l’or­gan­i­sa­tion misog­y­ne qu’est Daech. Les troupes nou­velles massées com­mençaient à avancer lente­ment dans la pre­mière ligne de Daech avec le sou­tien des frappes de la coali­tion. Daech com­mença à mass­er des troupes pour défendre ses lignes. Après quelques jours où le front est resté assez stag­nant la com­man­dante des opéra­tions a annon­cé l’ou­ver­ture d’un nou­veau front en direc­tion du bar­rage de Tabqa, le jour même les FDS s’emparent d’une dizaine de vil­lages au sud-est de Tishrin. Cette manœu­vre avait pour voca­tion de tromper Daech en faisant croire à un déplace­ment de troupes vers Tishrin pour le pren­dre par sur­prise sur une voie peu défendue. En réal­ité, les troupes des FDS se posi­tion­naient pour tra­vers­er l’E­uphrate vers Manbij…

Phase 3
La traversé de l’Euphrate

Les troupes massées au bar­rage de Tishrin n’é­taient pas les seules à lancer l’as­saut dans la nuit du 31 mai au 1er Juin. Les FDS avaient posi­tion­né des troupes de réserve dans les alen­tours de Sar­rin ouvrant un nou­veau front, celles-ci vont pren­dre posi­tion sur la rive Ouest de l’E­uphrate au niveau du pont de Qarah Qawzaq. Les forces spé­ciales améri­caines vont y déploy­er une plate-forme mobile. Les défens­es de Daech par­tielle­ment dégar­nies au niveau du bar­rage de Tishrin et com­plète­ment sur­prise au niveau du pont de Qarah Qawzaq vont rapi­de­ment s’effondrer. Les com­bats dans les alen­tours de Man­bij vont rapi­de­ment avancer tan­dis que le pont de Qarah Qawzaq va être réparé.

Manbij

Plate-forme des forces spé­ciales déployées sur l’Euphrate

Après dix jours de com­bats, Daech est com­plète­ment encer­clé dans la ville de Man­bij le 10 Juin. Les derniers hauts respon­s­ables de Daech quit­tent la ville en catastrophe.

Phase 4
Les combats urbains et le maintien de l’encerclement

Daech avait un plan en cas d’of­fen­sive sur Man­bij et, mal­gré la sur­prise, il le mit en œuvre. Juste avant l’encer­clement, Daech a envoyé des cen­taines de com­bat­tants dans la ville de Man­bij, four­nit une quan­tité de pièges explosifs con­sid­érable et retenu les civils dans la ville pour s’en servir comme boucli­er humain. Les deux prin­ci­paux objec­tifs que Daech s’é­tait fixé étaient d’in­fliger un max­i­mum de pertes afin de stop­per l’of­fen­sive des FDS dans un envi­ron­nement urbain de la taille d’une ville de 100 000 habi­tants qu’est Man­bij, ter­rain favor­able à des tac­tiques défen­sives. De plus Daech espérait un mas­sacre provo­qué par l’in­ten­sité des com­bats et la prox­im­ité des civils. Une avance mas­sive et rapi­de aurait provo­qué une véri­ta­ble boucherie. Daech espérait que la pop­u­la­tion déteste les FDS.

Les FDS ont un besoin cru­cial de sou­tien pop­u­laire dans une zone peu­plée majori­taire­ment d’Arabes. De plus, ils ont priv­ilégié jusqu’à présent les approches pru­dentes, aux charges pré­cip­itées. Com­men­cent alors des com­bats urbains d’une grande com­plex­ité pour les FDS. Daech envoy­ait des petites unités très mobiles pour éviter d’être des cibles trop faciles pour les chas­seurs-bom­bardiers de la coali­tion. Les com­bat­tants de Daech envoy­aient des kamikazes dans des engins bour­rés d’ex­plosifs. De nom­breux tireurs embusqués blo­quaient les avancées dans les rues. Les dji­hadistes n’hési­taient pas à tir­er sur les civils en fuite. Les mines lais­sées par Daech ont tué et blessé de nom­breux com­bat­tants mais aus­si de nom­breux civils. Les FDS ont étab­lis plusieurs cor­ri­dors pour les évac­uer au fil de leur avancée.

Cela oblig­ea les FDS a une approche très lente et à cibler des points stratégiques pré­cis comme les silos à grain au sud de Man­bij qui per­me­t­taient d’avoir une vue sur toute la ville par le Sud. Après la prise des silos, ils ont décou­vert un tun­nel de plus de 800 mètres jusqu’à une sta­tion essence !

Pen­dant les com­bats urbains, Daech redou­bla ses assauts dans la cam­pagne envi­ron­nante sur les posi­tions des FDS, sou­vent les assauts étaient ouverts par des attaques kamikazes aux véhicules blind­és impro­visés et bour­rés d’ex­plosifs. Daech s’empala lit­térale­ment sur les FDS. En effet, les troupes kur­do-arabes de bonne qual­ité com­binée à des frappes aéri­ennes dévas­ta­tri­ces sur les con­cen­tra­tions de troupes de Daech eurent facile­ment rai­son de ces attaques.

Pen­dant les com­bats, une frappe de la coali­tion sur un vil­lage con­trôlé par Daech proche des zones de com­bat a fait de nom­breuses vic­times civiles. Ces morts posent beau­coup de ques­tions. Pourquoi des civils étaient-ils à prox­im­ité des zones de com­bat ? Pour quelle rai­son la coali­tion aurait frap­pé des maisons rem­plies de civils ? En tout cas, que cela soit une bavure ou un coup organ­isé par Daech, l’op­po­si­tion syri­enne s’est saisie de ce trag­ique événe­ment, appelant à la fin des frappes de la coali­tion en Syrie. L’op­po­si­tion dom­i­nait sur le ter­rain par les islamistes et les dji­hadistes qui n’ont pas hésité à mas­sacr­er des vil­lages d’Alaouites, de Druzes ou encore à bom­barder pen­dant 8 mois le quarti­er kurde de Cheikh Maq­soud à Alep faisant de nom­breux morts civils étaient soudain épris d’un sen­ti­ment d’al­tru­isme. Le comble c’est que plus de 200 frappes de la coali­tion avaient servi à sauver les islamistes et les dji­hadistes de la poche d’Azaz. L’ap­pel a été relayé en France par les sou­tiens de l’op­po­si­tion sans dévoil­er tous les enjeux de cette déclaration.

Après cela, les FDS ont redou­blé d’ex­em­plar­ité. Après avoir avancé dans la ville, ces dernier vont pro­pos­er à plusieurs repris­es une porte de sor­tie aux dji­hadistes de Man­bij afin d’é­pargn­er les civils pris en otages. Daech ne don­nera jamais de réponse à ces appels. Par ailleurs, cer­tains dji­hadistes locaux ont vu d’un mau­vais œil les ordres don­nés d’exécuter les civils en fuite. Il y eu plusieurs affron­te­ments internes entre les dji­hadistes locaux et étrangers. Il y eu même quelques rares désertions.

Au fil de l’a­vancé des FDS, les dji­hadistes ont lais­sé dans leur fuite de nom­breux doc­u­ments internes, quand ils ne les avaient pas brûlés. Il y eu aus­si la décou­verte de plusieurs usines de fab­ri­ca­tion d’ex­plosifs ou encore d’obus de morti­er. Une véri­ta­ble indus­trie de la mort avait pris son essor à Man­bij. Cela mon­tre une fois de plus l’im­por­tance stratégique de la ville.

Après deux mois de com­bats, les FDS ont enfer­mé les dji­hadistes dans une petite poche au nord-est de la ville. Des négo­ci­a­tions s’en­ga­gent de nou­veau pour que les dji­hadistes par­tent de la ville pour épargn­er la vie des civils. Deux ver­sions exis­tent sur la fin de cette bataille : la ver­sion offi­cielle des FDS est que les dji­hadistes ont quit­té la ville en util­isant des civils comme boucli­er humain dans env­i­ron 500 voitures. D’autres pensent qu’un arrange­ment a été trou­vé, les dji­hadistes par­tant en réal­ité avec des civils pro-Daech. Peu après, la plu­part des civils util­isés comme boucli­er humain seront relâchés, ce qui accrédite la thèse d’un accord offi­cieux. Dans tous les cas, les civils ont été épargnés sur cette fin de bataille et les FDS ont évité un bain de sang.

Conclusion et perspectives

Les gains des FDS sont con­sid­érables, 170 000 civils libérés, une ville de 100 000 habi­tants avant guerre cap­turée. 200 vil­lages et hameaux délivrés. La route d’ap­pro­vi­sion­nement de Daech vers la Turquie se retrou­ve forte­ment restreinte et plus com­plexe à emprunter. Plus impor­tant encore : les femmes fuyant Daech ont brûlé leur niqab une fois dans les zones sous con­trôle des FDS. Les hommes ont égale­ment rasé leur barbe en grand nom­bre. Des rap­ports indiquent que de nom­breuses femmes arabes veu­lent s’en­gager dans les rangs des FDS. Cela est le résul­tat de la poli­tique de pro­tec­tion envers les civils des FDS et de la haine qu’in­spire Daech à ces pop­u­la­tions. Ain­si les FDS se sont créées une base pop­u­laire qui jouera un rôle impor­tant dans les années à venir. Le seul véri­ta­ble gain de Daech est d’avoir retardé sa chute. Mal­gré cela est il est not­er qu’il y a eu au moins 400 morts civils ‚(prob­a­ble­ment beau­coup plus, d’après l’Ob­ser­va­toire Syrien des Droits de de l’Homme), prin­ci­pale­ment causés par les mines et les explosifs que Daech a lais­sé der­rière lui. On estime qu’il reste 50 000 mines et autres engins explosifs dans la ville à déman­tel­er, qui tueront prob­a­ble­ment de nom­breuses annéees encore.

D’après les FDS, Daech aurait per­du 4180 com­bat­tants, dont plus de 1700 corps ont été retrou­vés. 112 dji­hadistes auraient été arrêtés vivants, un record, 144 véhicules détru­its et 264 morts du côté des FDS dont le com­man­dant Abu ley­la. L’opéra­tion a été renom­mée à son nom, ce com­man­dant jouis­sant d’un grand renom depuis sa par­tic­i­pa­tion à la bataille de Kobané 1 an et demi plus tôt.

Les per­spec­tives dans les jours à venir sont bonnes pour lancer l’as­saut sur Jarab­u­lus ou encore Al Bab. Un con­seil mil­i­taire d’Al Bab a été con­sti­tué sur le même mod­èle que celui de Man­bij avec de nom­breux com­man­dants issus de la ville ou de la région. Le com­man­dant en chef du con­seil mil­i­taire d’Al-bab est un habi­tant de la ville, il y est né.

La suite pour bientôt…

Raphaël Lebru­jah
Arti­cle pub­lié sur son blog Médiapart

Manbij

Vert : les rebelles islamistes et dji­hadistes
Rouge : le régime syrien
Noir : Daech
Jaune : les FDS


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