Lors d’un entre­tien à bâtons rom­pus avec Faysal Sarıyıldız, actuelle­ment député HDP de Şır­nak, qui a tou­jours eu des liens étroits avec le Roja­va, il évo­quait, le jour même, la sit­u­a­tion crée en Syrie par l’in­tru­sion des chars de l’ar­mée turque.Il venait d’avoir con­fir­ma­tion du fait, qu’à l’is­sue de négo­ci­a­tions, les “gangs” liés aux jihadistes et à Daech, cible “offi­cielle” d’Er­doğan, s’é­taient retirés avec armes et bagages. L’ir­rup­tion armée des blind­és turcs dans le secteur de Jer­ablus, n’est donc pas liée à ce pré­texte “offi­ciel” du dan­ger créé à la fron­tière, mais à bien à voir avec cette vieille exi­gence de zone tam­pon, per­me­t­tant d’empêcher la jonc­tion entre les can­tons du Rojava.

rojava syrie carte

Il n’y eut plus de doutes, sur cette opéra­tion dite “boucli­er de l’E­uphrate”, lorsque les bom­barde­ments de l’avi­a­tion ciblèrent les zones où tant les YPG/YPJ que les forces com­munes du FDS (alliance qui a per­mis la récente reprise de Man­bij) se trou­vaient. Il en fut de même sur les vil­lages autour de Jer­ablus. Un bilan de l’Observatoire syrien des droits de l’homme esti­mait que les frappes avaient déjà tué au moins 40 civilEs et blessé plus de 70 per­son­nes dimanche.

Le min­istre des Affaires étrangères de Turquie, Mevlût Cavu­soğlu a prévenu : « Les YPG (Unités de pro­tec­tion du peu­ple kurde), comme les Etats-Unis l’ont promis, et eux-mêmes l’ont déclaré, doivent repass­er à l’est de l’E­uphrate dès que pos­si­ble, et tant qu’ils ne le fer­ont pas ils (res­teront) une cible ». Le secteur de Man­bij, plus exacte­ment le vil­lage de Dan­da­nia a aus­sitôt lui aus­si été l’ob­jet de bom­barde­ments qui ont fait des vic­times civiles dont 3 enfants…

L’ar­mée turque a fait entr­er une cinquan­taine de chars et quelques cen­taines de sol­dats (près de 400, appuyé par des groupes dji­hadistes anti Assad, mar­i­on­nettes des Etat-Unis) sur le sol syrien, mer­cre­di dernier et ne prévoit pas de se retirer.

A son tour, Erdoğan a déclaré dimanche : «Nous n’accepterons aucune activ­ité ter­ror­iste près de nos fron­tières», lors d’une vis­ite à Antep, où il a sans doute con­forté ses assas­sins locaux. Il a pré­cisé qu’il “lut­terait avec la même déter­mi­na­tion” autant con­tre les dji­hadistes de Daech  que con­tre les com­bat­tantEs kur­des du YPG/YPJ. (Unités de pro­tec­tion du peu­ple). La presse aux ordres, elle, relaie depuis les men­songes sur les “gangs de la fron­tière”. Nous y avons cher­ché en vain à ce jour des infor­ma­tions fiables.

Des sources venues de jour­nal­istes présents dans la zone, con­fir­ment que les chars turcs n’ont guère com­bat­tus de dji­hadistes de Daech, ceux-ci s’é­tant repliés. Ces chars et ces troupes turques, soutenus curieuse­ment par l’aviation améri­caine, se sont appuyés sur des brigades rebelles syri­ennes, dont Nourre­dine al-Zen­ki, Fay­laq al-Sham et les Turk­mènes de Sul­tan Mourad. Il leur a fal­lu pour­tant douze heures pour pren­dre Jerablus.

Cette zone était bien évidem­ment la prochaine offen­sive des com­bat­tants du Roja­va, puisqu’après la vic­toire à Man­bij, la voie était ouverte pour en chas­s­er Daech. La pos­si­bil­ité de jonc­tion des ter­ri­toires du Roja­va était alors ouverte. C’est là, la seule rai­son de l’en­trée en guerre sur le sol syrien d’Erdoğan.

La deux­ième s’ex­plique par son choix de ne pas pren­dre le mou­ve­ment kurde de front en Turquie même, mais de jouer plutôt sur les divi­sions entre politi­ciens kur­des irakiens (Barzani) et Roja­va syrien, pour mieux créer la con­fu­sion autour de sa pseu­do offen­sive anti-Daech.

Le vice-prési­dent améri­cain Joe Biden a déclaré que les FDS qui vien­nent de libér­er Man­bij  “devaient se retir­er à l’est de l’Euphrate… et qu’ils ne pour­ront en aucune cir­con­stance recevoir de sou­tien améri­cain”. Là, c’est l’OTAN qui par­le, égrenant l’une des prin­ci­pales exi­gences du gou­verne­ment turc, qui ne veut voir de Kur­des dans la zone, et veut créer sa «zone de sécu­rité» au nord d’Alep où d’ailleurs, dit-il, pour­raient se réfugi­er les Syriens qui fuient les com­bats, voire accueil­lir une par­tie de ceux qui se sont exilés en Turquie ces cinq dernières années, en plus de ceux déjà présents en régions frontalières.

Nous sommes bien oblig­és de con­stater que les YPG se retrou­vent face à l’OTAN, et dans les faits, lui font la guerre.

Cela n’a pas ému depuis quelques jours tant que ça les dirigeants européens, et surtout pas les français, occupés à causer burki­ni. Cette déc­la­ra­tion de guerre a pour­tant diplo­ma­tique­ment, enfin, fait réa­gir le Pen­tagone : “Nous voulons clar­i­fi­er le fait que ces com­bats sont pour nous inac­cept­a­bles et sus­ci­tent une pro­fonde inquié­tude. C’est une zone de com­bats déjà forte­ment occupée, et nous appelons tous les acteurs à se retir­er immé­di­ate­ment”. Ce sont les ter­mes d’un com­mu­niqué, qui note égale­ment que Daech n’était pas présent dans les vil­lages visés par l’armée turque.

Cette sit­u­a­tion chao­tique, et lour­des de dan­gers pour la survie poli­tique du Roja­va, ne peut s’être engagée qu’avec l’ac­cord tacite des grands acteurs inter­na­tionaux, comme des puis­sances régionales. C’est encore plus préoc­cu­pant à ce niveau.

Si les FDS résis­tent pour le moment, les accu­sa­tions qui pleu­vent con­tre eux, l’am­biva­lence améri­caine, comme le silence des Russ­es en stand by, peu­vent con­courir à pour­rir une sit­u­a­tion déjà très cri­tique, et livr­er désor­mais le Roja­va à trois enne­mis à la fois : Daech, Bachar, Erdoğan Ajoutons‑y tous les faux culs occi­den­taux, et l’on com­prend que ces jours sont critiques.

La Turquie compte 15 mil­lions de Kur­des, soit env­i­ron 20 % de la pop­u­la­tion du pays. Ils sont très répar­tis égale­ment dans les métrop­o­les, en dehors du Kur­dis­tan turc. L’Irak, 7 mil­lions, soit là encore 20 % de la pop­u­la­tion. En Iran, ils seraient à peu près 8 mil­lions (18 %), et en Syrie, 2 mil­lions (8 %). La dias­po­ra kurde en Europe est estimée à plus d’1,5 mil­lion de per­son­nes, dont 950 000 en Alle­magne (chiffres révisés). Un embrase­ment région­al pour­rait accélér­er la résis­tance transna­tionale, et provo­quer une sédi­tion coupant la Turquie elle même en deux, ren­voy­ant les forces de paix aux oubli­ettes, elles, qui en sont déjà large­ment dans le couloir d’entrée.

Penser que le régime Erdoğan n’avait pas prévu cet agen­da dans la pour­suite de son coup d’é­tat civ­il serait une erreur. Les grenouil­lages diplo­ma­tiques intens­es du gou­verne­ment Erdoğan de ces derniers temps, inclu­ant même des ren­con­tres avec le gou­verne­ment Barzani en Irak, démon­trent que cette volon­té de s’en pren­dre au Roja­va vise à démoralis­er la résis­tance kurde intérieure, et à en provo­quer les franges les plus rad­i­cales, pour trou­ver le nou­veau pré­texte à relance d’of­fen­sive interne, à l’heure où le PKK par­lait de “reprise néces­saire de négo­ci­a­tions” il y a peu.

Pour une fois, les médias main­stream en par­lent, même si les politi­ciens européens sont tous sur des cal­en­dri­ers qui ne vont pas au delà de leurs “opin­ions xéno­phobes intérieures”.

Des alertes pour défendre le Roja­va s’im­posent. Une infor­ma­tion claire et pré­cise aus­si. Nous ten­terons d’y con­tribuer davantage.

Derniers élé­ments le mar­di 30 août

Les YPG ont accep­té de se retir­er des zones au delà de l’E­uphrate, par souci d’a­paise­ment. C’est d’ailleurs ce qui avait déjà été acté dès le début de l’of­fen­sive autour de Man­bij, mais avait été dif­féré lorsque Daech avait re-con­cen­tré des forces vers Jer­ablous… qu’il a quit­té avant même l’in­ter­ven­tion turque, non sans avoir com­mis ses exac­tions habituelles con­tre les vil­lages. Le gou­verne­ment turc main­tient sa dou­ble posi­tion met­tant dans le même sac le mou­ve­ment kurde et Daech… Et ne bom­barde tou­jours que les pre­miers. Le même dou­ble jeu que celui qui fut engagé après l’at­ten­tat de Suruç en 2015.

La France, par la voix de son rési­dent de l’Elysée, devant ses ambas­sadeurs réu­nis, réaf­firme aujour­d’hui sa posi­tion anti Assad, cou­plée avec une demande de couloirs human­i­taires pour Alep. Il y a là le seul souci de repren­dre pied entre les deux “grands”, Pou­tine et Oba­ma, sans par ailleurs se couper des puis­sances régionales, dont la Turquie. Une poli­tique de marchands d’armes qui ménage ses marchés. A ce jour, hors une con­damna­tion des “repris­es de la vio­lence”, que tout le monde partagerait volon­tiers, ce pays mem­bre du Con­seil de Sécu­rité de l’ONU n’a émis aucune répro­ba­tion à l’en­con­tre de l’ir­rup­tion turque, et con­tin­ue à par­ler du “ter­ror­isme” en général, comme le fait Erdogan.

Depuis près d’un an, la Russie apporte son con­cours au régime de Bachar al Assad, qui utilise ce sou­tien pour bom­barder des rebelles mais aus­si des pop­u­la­tions civiles”, a dit François Hol­lande. “Ce qui fait le jeu des extrémistes de tous bor­ds.” Et d’a­jouter “Aujour­d’hui, c’est la Turquie qui fait le choix de déploy­er son armée sur le ter­ri­toire syrien pour se défendre con­tre Daech, ce qui peut par­faite­ment se com­pren­dre après les attaques que ce pays a subies, mais aus­si pour men­er des actions con­tre les Kur­des, qui eux-mêmes affron­tent l’E­tat islamique avec le sou­tien de la coali­tion”. Une fois cette descrip­tion faite, sans réelle prise de posi­tion, il a appelé à l’ar­rêt des com­bats en Syrie… Comme si la France était une observatrice…

Cessez le feu :

Suite aux­con­tor­sions diplo­ma­tiques engen­drées par une “déc­la­ra­tion de guerre”, au final con­tre un pays mem­bre de l’OTAN, par les com­bat­tants de la défense du Roja­va, en réac­tion à l’in­va­sion turque, une médi­a­tion a don­né des résultats :

« Avec la médi­a­tion de la coali­tion inter­na­tionale menée par les USA, nous avons déclaré un cessez-le feu avec l’ar­mée turque pour arrêter l’ef­fu­sion de sang en cours et assur­er la sécu­rité des civils. Ce cessez-le feu est recon­nu entre nos forces près de Sajour et l’ar­mée turque occu­pante. Nous déclarons par la présente que le cessez-le-feu ne sig­ni­fie pas que nous accep­tons l’in­cur­sion turque à Jarablus “.


Traductions & rédaction par Kedistan. | Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.