Vedat Türkali, auteur et scé­nar­iste, est décédé le 29 août dernier à l’hôpital de Yalova.

De son vrai nom, Abdülka­dir Pirhasan, l’auteur avait 97 ans de vie, rem­plie de luttes et de let­tres, et était devenu une des fig­ures incon­tourn­ables de la lit­téra­ture turque moderne.

Vedat Türkali est né le 13 mai 1919 à Sam­sun. Diplômé de la fac­ulté de lit­téra­ture et de langue turque de l’Université d’Istanbul, il a enseigné aux lycées mil­i­taires de Mal­te­pe et Kuleli. En 1951, il fut arrêté et con­damné à 9 ans de réclu­sion pour être mem­bre du TKP, Par­ti com­mu­niste de Turquie. Son épouse a égale­ment été con­damné à la réclu­sion, quelques mois plus tard.

En 1958, il a été libéré sous con­di­tions et a tra­vail­lé comme cor­recteur au jour­nal kémal­iste Cumhuriyet, alors sous la direc­tion de Nadir Nadi Abalıoğlu. Vedat ayant des diver­gences avec Nadir Nadi, quit­ta le jour­nal un peu plus tard, et fon­da, avec Rıfat Ilgaz, les Edi­tions Gar. La ren­con­tre avec l’acteur, réal­isa­teur, Yıl­maz Güney, sera un tour­nant pour Vedat. Il écriv­it avec l’aide de Yıl­maz, son pre­mier scé­nario de film : Dolandırıcılar Şahı (Le roi des arnaqueurs).

Lors de la commémoration de Hrant Dink : "Nous sommes tous arméniens".

Com­mé­mora­tion de l’as­sas­si­nat de Hrant Dink : “Nous sommes tous, Hrant, nous sommes tous arméniens”.

En 2002, alors âgé de 84 ans, il se présente aux élec­tions lég­isla­tives sous les couleurs de DEHAP (Par­ti démoc­ra­tique du peuple)

Il est le père de l’actrice Deniz Türkali et du réal­isa­teur Barış Pirhasan, et le grand père de la chanteuse Zeynep Casalini.

En 2014, son dernier roman Bit­ti Bit­ti Bitme­di (C’est la fin, c’est la fin, mais ce n’est pas fini) dans lequel il par­le du géno­cide des Arméniens, avait à la fois créé un scan­dale et des polémiques en Turquie. Il a con­nu cepen­dant une très large diffusion.

Il détient plusieurs prix : En 1965 il obtient l’Orange d’or du meilleur scé­nar­iste pour le film Karan­lık­ta Uyanan­lar (ceux/celles qui dor­ment dans l’obscurité). Pour son pre­mier roman Bir gün tek Başı­na sur la péri­ode précé­dent le coup d’Etat du 27 mai 1960, il lui a été décerné en 1974, le pre­mier prix du con­cours des édi­tions Mil­liyet Yayın­ları et en 1976, le prix de roman Orhan Kemal. En 2016 Vedat a reçu le prix d’hon­neur de lit­téra­ture de la Mou­ette Blanche.

Vedat Türkali avec Yaşar Kemal

Vedat Türkali avec Yaşar Kemal, deux géants de la lit­téra­ture en Turquie.

En hom­mage, nous ajou­tons les vidéos des ver­sions chan­tées du poème de Vedat Türkali : Bek­le bizi İst­anb­ul (Attends-nous Istan­bul). Elles sont précédées d’une pre­mière vidéo dans laque­lle on entend le même poème de la voix de l’au­teur et de la tra­duc­tion vers le français.

Après l’interprétation musi­cale du 1987 par Groupe Baran dans leur album Yedi­v­erenAttends-nous Istan­bul elle est dev­enue une des chan­sons révo­lu­tion­naires inoubliables.

Vedat Türkali, en par­lant de ses poèmes fig­u­rant dans le recueil qui porte égale­ment le titre  Bek­le bizi İst­anb­ul, s’ex­pri­mait ainsi :

Ces poèmes qui ont survécu par hasard, sont des exem­plaires d’un long tra­vail qui a pris des années. Je serais recon­nais­sant à ce que leur insuff­i­sance soit par­don­née. Et si ces poèmes, écrits majori­taire­ment dans dif­férentes pris­ons, dans une péri­ode d’oppression lourde dans notre pays, soient con­sid­érés, non pas comme les poèmes de leur auteur, mais comme le témoignage de la sen­si­bil­ité de toutes les per­son­nes qui ont mené une lutte révo­lu­tion­naire dans une som­bre époque. 

Bek­le bizi İst­anb­ul en turc1

Attends nous Istanbul

Quand les bris­es du matin souf­flent en essaim
De loin, je pense à toi Istan­bul, avec tes bateaux qui déchirent les étoffes
Le soir à ton Hal­iç à milles colonnes,
Le print­emps dans tes îles,
Le soleil sur Süleymaniye…
Ô que tu es belle, la ville de notre lutte !

En ces jours où je pense à toi de loin,
ta pénom­bre du soir est dans mes yeux,
ta voix est dans mes oreilles Istanbul !

En ces jours où je pense à toi de loin,
tu es main­tenant dans la main des voleurs, Istanbul !

Sur tes plages, des marchands de marché noir
ont éten­du leurs corps gras sur le sable.
Des filles avor­tons leur font des minauderies !
Ils parta­gent ensemble
le fruit des hari­cots cachés dans des entre­pôts à Balıkpazarı…
Tu es main­tenant dans la main des voleurs, Istanbul !

Viande, beurre et sucre ;
sont les trois fils du Sultan.
Dans tes quartiers banlieues
tes enfants sont élevés avec des con­tes par­lant des oeufs.
Pas de liberté !
Pas de pain !
Pas de droits !
Tes mains sont attachées à ton dos,
tes routes sont coupées
il n’y a pas de vie pour d’autres que les voleurs !

Les rênes sont prises
par une poignée d’entrepreneurs oppor­tunistes et saigneurs de terres,
et leurs amis lécheurs d’os…
Leur jazz, leur saz (instru­ment de musique), leurs vil­las, leurs médecins, leur dentistes…
Et le com­merçant, par­le toi !
Toi fonc­tion­naire, toi intellectuel,
et toi, celui qui par­le des droits
l’ouvrier d’Ortaköy, de Cibali !
Ils te tueront, ils t’exileront.
Les crises seront réglées sur ton dos.
Pour la sérénité des mate­las en soie, des homards et des cons
des sen­tences de mort seront données.

Ils ont réu­ni un soir plu­vieux de mars,
les gens hon­nêtes qui par­laient de droits ;
dans des caves obscures de la ville.
Le jour s’est levé pour les bourreaux !
Tu as une paire d’yeux qui brûle par la douleur de tes frères,
tu as quelques lignes à écrire,
tu as deux mots qui brû­lent tes lèvres ;
Ils ne peu­vent pas être prononcés !

Les voleurs ont coupé les routes.
Le fou­et de la police, la corde du bour­reau, la langue du présen­ta­teur, la machine à imprimer
sont dans les mains des voleurs…
Et les gens dans tes caves, attendent,
la lutte dans leur coeur, la vic­toire dans leur coeur…
Le manque des leurs enfoui dans leur poitrine !
Des cama­rades de vie sont cachés dans tes caves.

Toutes ses souf­frances n’ont pas été sup­port­ées pour rien, Istanbul !
Der­rière les nuages, des voix, goutte à goutte,
des amiEs me sont apparuEs
avec leur vis­age souri­ant et leur courage ;
la douleur sur mes tem­pes s’est calmée.

Je con­nais­sais une camarade
une femme de frère…
Avec ses épaules ché­tives qui por­taient ses poumons malades,
et avec son vis­age triste,
elle regar­dait ses bébés.
Le jour où l’ordre fut don­né aux bour­reaux dans le palais des voleurs,
au neu­vième mois de sa grossesse,
Un minu­it de tem­pête de neige
où les loups affamés ont attaqué les quartiers
elle a descen­du de son dos, dans un vil­lage loin­tain, notre secret de trente cinq kilos.
La vic­toire est sanglante, la vic­toire est rouge !

Toutes ses souf­frances n’ont pas été sup­port­ées pour rien, Istanbul !
attends-nous;
attends avec ton Süley­maniye, grand et calme !
Avec tes parcs, tes ponts, tes tours, tes places…
Attends-nous avec tes cafés à tables blanch­es, en bois
adossés à tes mers bleues !
Attends-nous avec tes enfants sales
qui dor­ment enlacés dans les rues som­bres de Tophane,
où de nou­velles vies sont ven­dues à trois sous !
Attends avec notre pas­sage dans les avenues
en chan­tant des chan­sons de victoire !
Attends la dyna­mite de l’Histoire !
Attends ;
que nos poings
démolis­sent le sul­tanat des voleurs !
Attends que ces jours arrivent, Istan­bul, attends !
Tu nous mérites.

Vedat Türkali

Groupe Baran

Edip Akbayram

Onur Akın

Fer­hat Tunç & Kardeş Türküler ont de nou­veau com­posé la chan­son sur la demande de Vedat Türkali. Elle a été inter­prétée en turc, en kurde, en laze et en arménien…

Elle a été reprise égale­ment pen­dant la résis­tance de Gezi en 2013

https://youtu.be/0S3tVcOWSOE


vedat turkaliBibliographie de Vedat Türkali :

Bir Gün Tek Başı­na (roman, 1974) | Eski Şiir­ler, Yeni Türküler (şiir­ler, 1979) | Üç Film Bir­d­en (scé­narii, 1979) | Mavi Karan­lık (roman, 1983) | Eski Film­ler (scé­narii, 1984) | Bu Gemi Ner­eye (textes et mémoires, 1985) | Dal­lar Yeşil Olmalı (pièce de théâtre, 1985) | Tek Kişi­lik Ölüm (roman, 1989) | Özgür­lük İçin Kürt Yazıları (textes, 1996) | Güven (roman, 1999) | Komünist (mémoires, 2001) | Yeşilçam Dedik­leri Türkiye (roman, 2001) | Bu Ölü Kalka­cak (pièce de théâtre, 2002) | Dal­lar Yeşil Olmalı (pièce de théa­tre, 2002) | Kayıp Roman­lar (roman, 2004) | Yalancı Tanık­lar Kahvesi (roman, 2009) | Bit­ti Bit­ti Bitme­di (roman, 2014)


Image à la une :

Vedat Türkali à une man­i­fes­ta­tion por­tant la pan­car­te “Le ciné­ma libre, dans toutes les langues”


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.