Vous savez que nous avons délibéré­ment fer­mé les com­men­taires sur Kedis­tan. Celles et ceux qui veu­lent nous écrire peu­vent tou­jours le faire, et nous n’avons par con­tre pas le car­ac­tère masochiste suff­isam­ment dévelop­pé pour laiss­er place aux injures sous nos billets.

Voici donc un mail que nous avons reçu hier, suite à “l’at­ten­tat d’Is­tan­bul”.

Son auteure pose des ques­tions qui tra­versent le mou­ve­ment kurde lui même, et qui vont bien plus loin que le débat sur la “vio­lence”.

Nous avons décidé de le pub­li­er, puisque les “points de vue” de la presse main­stream ne se gênent pas eux, pour pra­ti­quer les amal­games. L’au­teure dit elle même, ne pas faire dans le “poli­tique­ment cor­rect”. Ce coup de gueule à chaud peut déranger, mais il nous dérange moins que le défer­lement “anti ter­ror­iste” con­venu depuis hier, qui mélange et con­fond tout, et ferait pass­er pour des paci­fistes un podi­um de marchands d’armes.

Nous, on donne notre langue au chat.

Je vous écris pour vous faire par­venir un petit texte que je viens de rédiger. 

Pour faire un bref résumé je l’ai écrit en réac­tion aux amal­games des jour­nal­istes français qui assim­i­lent les mou­ve­ments kur­des à des ter­ror­istes, notam­ment cet arti­cle du Monde, pour ne pas le citer, inti­t­ulé “la dou­ble men­ace ter­ror­iste en Turquie”. Je pré­cise que je ne suis pas kurde, ni turque mais fran­co-arabe, et que j’ai décou­vert la lutte du peu­ple kurde ces deux dernières années où j’ai vécu à Istanbul…


N’avoir honte de rien. De rien ! Après Libéra­tion qui exhibe les cadavres des vic­times de l’at­ten­tat d’Is­tan­bul comme on exhib­erait n’im­porte quel bétail, voici Le Monde qui se lance dans les amal­games les plus bas en met­tant sur le même plan Daesh et… les Kur­des, nom­més sous l’ex­pres­sion volon­taire­ment floue de “la rébel­lion kurde”. Ain­si donc le Monde, ce ô com­bi­en grand et objec­tif jour­nal, tente de nous faire com­pren­dre que, bah oui, Daesh qui tue des gens et les Kur­des qui tuent des gens c’est la même chose.

Sans évidem­ment atten­dre une reven­di­ca­tion quel­conque de l’at­taque, un début d’en­quête, un début d’ex­pli­ca­tion. Le Monde se pré­cip­ite sur l’occasion, alors que le sang des vic­times est encore chaud et que la terre n’a prob­a­ble­ment pas encore cou­vert leur vis­age, pour nous rap­pel­er que, oui, la Turquie subit le ter­ror­isme inter­na­tion­al, à l’in­star de ses voisins, mais aus­si le ter­ror­isme intérieur des Kurdes.

Ter­ror­isme vous dites ? De quel ter­ror­isme par­lons-nous ? De celui de Daesh ou de… celui de l’E­tat turc ?

Faut-il rap­pel­er aux “cor­re­spon­dants sur place” que la Turquie est à nou­veau en guerre civile “ouverte” depuis que Erdo­gan a décidé de met­tre fin au proces­sus de paix et de lit­térale­ment envahir l’Est kurde par la terre et par l’air ? Que cette sit­u­a­tion est la con­séquence directe de la peur d’Er­do­gan de per­dre le pou­voir depuis que le HDP ‑par­ti kurde, mais pas que, loin de là- appor­ta un vent de démoc­ra­tie et d’e­spoir en accé­dant au par­lement turc en juin 2015 ? Que “le ter­ror­isme kurde” n’est que le résul­tat de plus de 100 ans de spo­li­a­tion des ter­res, assim­i­la­tion for­cée, vio­lences physiques et poli­tiques à l’en­con­tre du peu­ple kurde en Turquie ?

N’avoir honte de rien, c’est nous bal­ancer ce genre d’ar­ti­cle impuné­ment sans jamais nous pro­pos­er d’analy­ses fiables sur la sit­u­a­tion à l’Est de la Turquie, sans jamais nous par­ler du siège de Cizre, ville kurde asphyx­iée et mar­tyrisée par l’ar­mée turque depuis près d’un an, sans jamais nous par­ler de la souf­france de l’autre, se con­tenter de le dépein­dre comme un mon­stre sans vis­age, sans humanité.

C’est un clas­sique des dom­i­nants que de refuser d’hu­man­is­er les dom­inés, les Kur­des le savent, les Pales­tiniens aus­si. C’est un clas­sique des dom­i­nants de se ser­rer les coudes, la France n’ayant rien à appren­dre des Turcs en matière d’op­pres­sion de peu­ples indigènes. Le ter­ror­isme est devenu le nou­veau terme à la mode pour faire taire toutes les luttes même les plus légitimes, celui qui met tout le monde d’ac­cord, qui ne per­met aucune discussion.

Je me per­me­ts de le dire car j’ai fail­li faire les frais du soi-dis­ant “ter­ror­isme des Kur­des”. J’é­tais à Kızılay, lors de l’at­ten­tat du 3 Mars 2016. Quand j’écris que j’é­tais à Kızılay, je veux bien dire que j’é­tais pile assise devant la sta­tion de métro à côté de laque­lle la mem­bre du TAK s’est faite explos­er. J’ai bougé du dit lieu une minute avant que tout explose, mais j’é­tais encore assez près pour sen­tir le vent de la défla­gra­tion dans mon dos, pour sen­tir le trem­ble­ment de terre sous mes pieds, enten­dre les hurlements des pre­mières vic­times et sen­tir l’odeur du sang.

J’ai été dans un déni pen­dant près d’une semaine con­cer­nant les respon­s­ables de l’at­ten­tat. Je n’ar­rivais pas à accepter, alors même qu’il avait été revendiqué, que ce soit une par­tie du mou­ve­ment kurde qui soit respon­s­able de ce qui con­stitue un des plus gros trau­ma­tismes de ma vie. Appren­dre un peu plus tard que la pre­mière cible n’é­tait pas la place Kızılay mais le siège du pre­mier min­istre m’avait par­tielle­ment ras­surée. Et puis je me suis reprise. Com­ment pou­vais-je porter un juge­ment sur l’ac­tion armée des kur­des ? Pourquoi aurais-je besoin d’être ras­surée sur la légitim­ité de leurs actes ? Pourquoi avais-je été presque ten­tée de faire l’a­mal­game entre ce qui s’é­tait passé et une action ter­ror­iste ? Pour­tant, les faits sont là et je les con­nais­sais. Ce n’é­tait pas du ter­ror­isme, pas plus que les autres actions armées des mou­ve­ments kur­des. C’est la guerre et ses conséquences.

Dieu m’a épargnée, mer­ci à lui, mais s’il ne l’avait pas fait, j’au­rais détesté de là haut qu’on me con­sid­ère comme une vic­time du “ter­ror­isme kurde”, “ter­ror­isme du PKK”. Je n’au­rais été qu’une vic­time de plus de la sale guerre menée par l’E­tat turc con­tre une par­tie des ses pro­pres citoyens et dont la mort ne mérite pas plus de larmes ou de com­pas­sion que la mort d’un citoyen de Cizre à cause d’un obus tombé sur sa maison.

J’en­tends déjà, les paci­fistes 2.0, hurler que la vio­lence n’est pas la solu­tion. Evidem­ment qu’elle n’est pas la solu­tion tout comme elle n’est pas un choix. Tu as brulé ma mai­son, volé ma terre, tu as inter­dit ma langue, tu as tué mon père, enfer­mé mon frère, vio­lé ma soeur et je suis respon­s­able parce que j’ai répon­du en posant une bombe chez toi ?

L’in­sur­rec­tion n’est pas un choix. Elle est.

Le PKK fut l’un des pre­miers à repren­dre au dom­i­nant, l’outil par lequel il le mate : la vio­lence. Le sys­tème colo­nial est un sys­tème né de la vio­lence et pour la vio­lence, de vio­ls quo­ti­di­ens du colon sur le colonisé. Con­sti­tué de spo­li­a­tion et de destruc­tions des biens matériels et immatériels allant du vol de sa terre à la destruc­tion de sa cul­ture et du déni de sa con­di­tion d’homme, le tout dans une vio­lence physique et sym­bol­ique inouïe. L’utilisation de la vio­lence rel­e­vait jusqu’alors du priv­ilège du dom­i­nant. Seul le dom­i­nant a le droit dans le sys­tème colo­nial, d’user de la vio­lence à l’encontre du colonisé. Pren­dre les armes pour le colonisé, c’est bien plus que de s’approprier ce qui était jusqu’alors le priv­ilège du dom­i­nant. C’est repren­dre pos­ses­sion de sa con­di­tion d’homme. C’est la résis­tance à l’oppression. C’est le droit d’un peu­ple à dis­pos­er de lui-même et à user de la lutte armée en cas d’oppression. Droits qui seront inscrits des années plus tard, dans cette charte de l’ONU con­tin­uelle­ment piét­inée, souil­lée par l’impunité dont béné­fi­cie la Turquie dans ses actions.

Durant la lutte con­tre l’apartheid en Afrique du Sud, le Prési­dent du Comité spé­cial con­tre l’apartheid de l’ONU avait déclaré que le peu­ple sud-africain n’avait d’autres choix que d’intensifier sa résis­tance armée étant don­né l’intensification du règne de la ter­reur imposé par le régime de Pre­to­ria. Le Comité spé­cial réaf­fir­mait que le peu­ple sud-africain et ses mou­ve­ments de libéra­tion avaient le droit d’utiliser tous les moyens à leur dis­po­si­tion, y com­pris la lutte armée, pour obtenir le déman­tèle­ment de l’apartheid.

Ce droit que l’on refuse encore aux kur­des est totale­ment con­forme aux droits inter­na­tionaux étant don­né qu’ils sont sous le joug d’un Etat qui les opprime. La lutte du PKK, comme celle des branch­es armées de la résis­tance pales­tini­enne ou de n’im­porte quelle autre résis­tance indigène, s’inscrit dans une légitim­ité au regard des faits et du droit.

Bien sûr ce n’est pas beau, bien sûr que cela est triste. C’est même un putain de crève coeur. Mais le respon­s­able ce n’est pas l’in­sur­rec­tion et ses moyens. Le seul est unique respon­s­able c’est le fas­cisme porté par un Etat qui a décidé de dénier tous ses droits à un Peuple.

Il est donc impar­donnable aujour­d’hui que les médias con­tin­u­ent de faire l’a­mal­game entre le mou­ve­ment de libéra­tion kurde et un groupe ter­ror­iste comme Daesh, à l’heure où le monde ferme les yeux sur les mas­sacres des Kur­des à l’Est de la Turquie.

Hac­er Arapoğlu
Juin 29, 2016 à 4:04


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