ISTANBUL, 28 décem­bre (Reuters) — La jus­tice turque a ouvert une enquête con­tre Sela­hat­tin Demir­tas, chef de file du Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples (HDP, pro Kurde), après des déc­la­ra­tions qu’il aurait faites sur l’au­todéter­mi­na­tion kurde, rap­porte l’a­gence de presse Dogan, lundi.

Plusieurs organ­i­sa­tions, y com­pris le HDP, ont tenu ce week-end un rassem­ble­ment de deux jours dans la ville de Diyarbakir, dans le sud-est de la Turquie. Un appel en faveur d’une autonomie kurde a été lancé dimanche. “La résis­tance légitime organ­isée par notre peu­ple con­tre la poli­tique qui avilit le prob­lème kurde est essen­tielle­ment une demande et un com­bat pour l’au­tonomie locale et la démoc­ra­tie locale”, affir­maient les dif­férentes organ­i­sa­tions dans un com­mu­niqué final.

Voilà les copi­er-coller que reprend en par­tie la presse inter­na­tionale via Reuters…

Cer­tains électeurs qui avaient émis un vote “utile” de « peur » dans l’urne, pour qu’Erdoğan pour­tant le pre­mier prob­lème du pays, puisse con­tin­uer sa poli­tique de chaos, pour­raient bien devoir ouvrir les yeux. L’enquête ouverte à l’encontre de Demir­taş, met en lumière plus que jamais les inten­tions d’Erdoğan, qui essaie tou­jours de sauver sa peau des plaintes de cor­rup­tion bien réelles celles là, en restant au pou­voir et se met­tant en sécu­rité. Il n’a pas aban­don­né non plus ses pré­ten­tions à un régime prési­den­tiel, et à l’élim­i­na­tion des par­tis empêcheurs de tourn­er en rond.

Mais, après les élec­tions du 1er novem­bre, le nom­bre de siège que l’AKP a obtenu à l’Assem­blée Nationale n’est pas suff­isant pour chang­er la Con­sti­tu­tion et l’opposition est con­tre le change­ment de régime. Erdoğan plan­i­fie tou­jours de remet­tre le change­ment de Con­sti­tu­tion sur la table avec un quel­conque pré­texte et d’aller vers un référen­dum. Le pre­mier Min­istre Davu­toğlu a d’ailleurs demandé des ren­dez-vous pour un tour de table avec les lead­ers des par­tis d’opposition à cet effet. Durant la guerre, la poli­tique politi­ci­enne continue.

Il y a peu de chances que l’opposition donne une réponse pos­i­tive aux désirs d’Erdoğan. Dans ce cas, le Prési­dent de la République a une seule alter­na­tive, retourn­er à d’autres élec­tions afin d’atteindre le nom­bre néces­saire de députés, soit 330.

Si le Pro­cureur d’Ankara a ouvert une enquête à l’encontre des députés du HDP, com­mençant par Sela­hat­tin Demir­taş, com­prenant aus­si le député d’Ankara Sır­rı Süreyya Önder, le Co-Prési­dent du BDP Kamu­ran Yük­sek, les Co-Prési­dents du DTK Hatip Dicle et Sel­ma Irmak, ain­si que la porte parole du HDP, Seba­hat Tun­cel, ce n’est pas pour rien…

Le Pro­cureur a accep­té comme “preuves”, les arti­cles pub­liés dans la presse, relayant les pro­pos défor­més de Demir­taş, au sujet de l’autonomie, dis­cutée par DTK dans une réu­nion de 2 jours à Diyarbakır. La presse relayait les pro­pos de Demir­taş en les qual­i­fi­ant “d’ap­pel au soulève­ment”. D’ailleurs le Pro­cureur de Diyarbakır a ouvert à son tour une enquête à l’en­con­tre du DTK, à peu près avec les mêmes accu­sa­tions con­tre Demir­taş : « Inci­ta­tion à la haine », « apolo­gie de crimes et crim­inels » “pro­pa­gande pour organ­i­sa­tion ter­ror­iste” etc etc.…

Notez qu’avant l’ouverture de l’enquête, le Min­istre de Jus­tice Bekir Boz­dağ, pub­li­ait sur son compte Twit­ter per­son­nel ces messages :

1- Le co-Prési­dent du HDP S. Demir­taş, s’est fait le porte parole de l’organisation ter­ror­iste et des ter­ror­istes séparatistes, des armes, bombes, mines, pièges, bar­ri­cades et fossés.

2- S. Demir­taş, a exprimé claire­ment et net­te­ment les objec­tifs séparatistes de l’organisation ter­ror­iste séparatiste. Ces déc­la­ra­tions sont de la trahi­son, des délits.

3- S. Demir­taş, au lieu de faire de la poli­tique sur des bases libres et démoc­ra­tiques au par­lement, s’est appro­prié la sale poli­tique  ter­ror­iste, et a avoué son séparatisme.

4- L’intégrité indi­vis­i­ble de la Turquie a été/sera pro­tégée mal­gré l’organisation ter­ror­iste, tous les traitres et les seigneurs qui les utilisent.

5- L’organisation ter­ror­iste séparatiste et ses sou­tiens, ne pour­ront pas attein­dre leurs objec­tifs, non pas en cent ans, mais même si des cen­taines d’années passent.

6- Le Droit à la fra­ter­nité, le des­tin et l’histoire com­muns qui exis­tent depuis plus de mille ans, entre les Turcs et les Kur­des, est la remède de toutes séparatismes.

7- L’organisation ter­ror­iste qui n’a pas réus­si depuis des dizaines d’années, à démar­rer une rixe entre frères, entre les Turcs et les Kur­des, ne réus­sira pas non plus à le faire à par­tir de maintenant.

8- Il faudrait que l’organisation ter­ror­iste séparatiste et ses sou­tiens sachent qu’aucune force n’a pu anéan­tir la fra­ter­nité des Turcs et des Kur­des, et ne pour­ra pas l’anéantir.

Petite remar­que : Le Min­istre Boz­dağ, est un des pre­miers inter­venants qui ont fait clore, par de lour­des pres­sions, les gros dossiers d’enquêtes sur les affaires de cor­rup­tion (boîtes à chaus­sures) dont le rôle prin­ci­pal était joué par Erdoğan même. Il est aus­si la per­son­ne qui par le biais de change­ments de lois, a attaché le Judi­ci­aire via le gou­verne­ment, rompant le principe de sépa­ra­tion, et donc directe­ment à Erdoğan.

On peut penser que le fait que Boz­dağ qual­i­fie publique­ment et en tant que Min­istre de Jus­tice, les pro­pos de Demir­taş de « dél­its », n’était qu’une sug­ges­tion  « impéra­tive » en direc­tion du Pro­cureur d’Ankara. L’ouverture de l’enquête a suivi explicite­ment ces tweets.

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QUE FAUT ‑IL DE PLUS ?
Il a provo­qué la mort de 50 per­son­nes avec l’ap­pel à la rébel­lion en pré­tex­tant Kobanê. Il s’est mis comme boucli­er humain pour pro­téger les ter­ror­istes san­guinaires. Et dernière­ment, il a men­acé la Turquie de divi­sion. Mal­gré tout cela la Jus­tice ne s’est tou­jours pas activée con­tre lui.

 

D’une part, si Demir­taş est arrêté, un HDP déjà affaib­li (élec­torale­ment il avait reculé en nom­bre d’élus, bien qu’il ait résisté au rouleau com­presseur de toutes les attaques physiques et poli­tiques) en cas d’élections anticipées, aurait prob­a­ble­ment beau­coup de dif­fi­cultés à pass­er le bar­rage de 10%. Si le par­ti existe tou­jours… Car si Demir­taş est arrêté, il sera accusé d’avoir com­mis un délit con­tre l’intégrité indi­vis­i­ble de la Turquie. Le risque est grand qu’Er­doğan, dans son élan, exige la dis­so­lu­tion pure et sim­ple du HDP. Les médias « alliés » du Cal­ife par­lent déjà de cette dissolution.

Au moment aus­si où une “marche pour la paix” tente de ressoud­er l’op­po­si­tion, en même temps que des déc­la­ra­tions des Maires et élus des villes du Kur­dis­tan turc appel­lent au “retrait des armes” (voir bil­let à suiv­re), lancer égale­ment une offen­sive de divi­sion comme cette procé­dure judi­ci­aire, en cri­ant à la “sédi­tion et séces­sion” est une manoeu­vre politi­ci­enne à laque­lle on pou­vait s’attendre.

Il nous parais­sait donc impor­tant, comme nous l’avons fait dans un arti­cle récent, de bien informer sur la réal­ité du con­grès de Diyarbakır, qui, entre les mains du pou­voir AKP, devient un “chef d’accusation”.

Ce con­grès, qui a débat­tu de l’au­tonomie, de l’au­to ges­tion, et d’un change­ment con­sti­tu­tion­nel néces­saire pour par­venir à une République turque qui unisse ses com­posantes dans leurs diver­sités, se voulait une réponse poli­tique à pro­pos­er à l’ensem­ble des pop­u­la­tions de Turquie. Ses atten­dus en sont fort intéres­sants, en terme de pro­jet d’avenir pour la Turquie, et au delà la région.

Lorsque nous dénon­cions les inter­pré­ta­tions ten­dan­cieuses, tant dans la presse inter­na­tionale (reprenant celle de la presse turque aux ordres), que de la part d’une petite par­tie de la dias­po­ra kurde, qui y voy­ait là “marche vers l’indépen­dance”, nous ne fai­sions que met­tre en garde con­tre “l’arme de destruc­tion mas­sive” que con­stitue la défor­ma­tion, l’in­stru­men­tal­i­sa­tion, tant des déc­la­ra­tions de Demir­taş, que du pro­gramme poli­tique élaboré à Diyarbakır, où fig­ure tout le con­traire du séparatisme.

Dénon­cer les attaques et men­aces con­tre Demir­taş et les autres accusés, c’est donc rap­pel­er et expliciter les propo­si­tions poli­tiques qu’il fait comme porte parole à la Turquie toute entière, et non se réfugi­er dans la défense et le repli séparatiste “pro Kurde”, qui est l’arme même util­isée con­tre lui par Erdoğan.

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