23 ans de prison requis contre une journaliste bête noire des Erdoğan
Maintes fois poursuivie pour ses chroniques par la famille Erdoğan, la journaliste Canan Coşkun, du quotidien d’opposition Cumhuriyet, comparaissait jeudi à Istanbul dans un nouveau procès après avoir évoqué l’octroi de ristournes lors de la vente d’appartements de luxe à des juges et procureurs proches du pouvoir. Elle encourt 23 ans et 4 mois de prison.
Dans un article en date du 2 février 2015, Canan Coşkun a fait état de la vente par la compagnie immobilière Emlak Konut GYO d’appartements de luxe à des conditions très avantageuses –la remise pouvant approcher les 100.000 livres turques, soit 30.000 euros- à de nombreux magistrats membres de la Plateforme Unité du Judiciaire (YBP), réputée proche du gouvernement.
La journaliste a étayé son affirmation en citant les noms d’une dizaine d’heureux propriétaires –des juges et procureurs qui se sont fait connaître pour certains par leur rôle dans l’abandon des poursuites pour corruption lancées contre des proches du président Recep Tayyip Erdoğan fin 2013- et le montant de leurs ristournes respectives.
Le parquet a reconnu dans cet article un acte d’« insulte à un agent public dans le cadre de ses fonctions », et réclamé une peine de deux ans et quatre mois de prison multipliée par le nombre de personnes lésées, soit un total de 23 ans et quatre mois d’emprisonnement.
Lors de cette première audience devant la 2e chambre correctionnelle d’Istanbul, la jeune femme a plaidé l’innocence, soulignant que ses propos n’étaient en aucun cas liés aux actes pratiqués par les magistrats dans le cadre de leurs fonctions, tandis que ses avocats invoquaient le droit d’informer, garanti par la Constitution, a rapporté l’agence d’information indépendante BIA.
La cour a ordonné la convocation de représentants d’Emlak Konut GYO à la prochaine audience, fixée au 15 mars 2016, pour établir la réalité des allégations de la journaliste.
Canan Coşkun a été nommée correspondante judiciaire du quotidien Cumhuriyet en octobre 2013, soir deux mois avant le lancement d’une des plus grandes opérations anticorruption de l’histoire turque. Cette enquête, menée du 17 au 25 décembre 2013 par la police turque, visait notamment la famille Erdoğan et des proches, et a conduit à l’arrestation de plusieurs fils de ministres.
Les investigations ont toutes été conclues par un non-lieu et la plupart des enquêteurs ont été mutés ou mis à pied, le gouvernement arguant d’un complot mené par la communauté religieuse du prédicateur Fethullah Gülen –un ancien allié d’Erdoğan, devenu son pire ennemi- dans le but de renverser l’actuel président.
La correspondante judiciaire a depuis été visée par de nombreuses poursuites en raison de ses articles, et revendique avec fierté le privilège d’avoir été poursuivie par tous les membres de la famille présidentielle à l’exception d’Emine, l’épouse de Recep Tayyip.