La cam­pagne élec­torale en Turquie, dans les con­di­tions où elle se déroule, sous la botte à l’Est, avec les matraques et les canons à eau tou­jours prêtes dans les métrop­o­les, ne peut guère être, côté pou­voir d’un grand niveau.

Le Pre­mier Min­istre turc Davu­toğlu vient de déclar­er par exemple :
“Si l’AKP perd, alors les Renault blanch­es Toros reviendront”.

Il fait tout sim­ple­ment allu­sion aux voitures de sin­istre mémoire qui ser­vaient aux escadrons de la mort pour ter­roris­er les Kur­des dans les années 1990. Cer­tains auraient même iro­nisé ensuite en dis­ant que la moder­nité aujour­d’hui, c’est le 4 x 4.
Quand on sait que pour l’in­stant ils se con­tentent de détru­ire les cimetières en guise d’aver­tisse­ment, après avoir ce dernier mois assas­s­iné et tor­turé dans des villes préal­able­ment mis­es en état de siège, on peut pren­dre ces men­aces au sérieux.

Et la défer­lante islamo nation­al­iste est même vis­i­ble ici sur les réseaux soci­aux, n’hési­tant pas à injuri­er, men­ac­er celles et ceux qui de par leur méti­er de com­mu­ni­quants ou de chercheurs, ou leurs « orig­ines »pren­nent par­ti con­tre Erdo­gan. Le meet­ing de Stras­bourg a délié les langues.

Le même mépris s’est exer­cé con­tre une cen­taine d’in­tel­lectuels, qui en Turquie même avait ensem­ble signé un texte con­damnant la poli­tique de guerre et de divi­sion menée. On leur a tout sim­ple­ment sig­nifié au plus haut niveau qu’être intel­lectuel, c’é­tait être respon­s­able, et que là, en émet­tant des cri­tiques, ils deve­naient « ter­ror­istes ». On vous laisse devin­er les autres qual­i­fi­cat­ifs injurieux qui accom­pa­g­naient ces dires, sor­tis de la bouche de respon­s­ables poli­tiques que vous con­nais­sez bien.

Tous les relents ultra nation­al­istes remon­tent des pro­fondeurs. Toutes les divi­sions, les dis­crim­i­na­tions, les héritages de l’his­toire, tou­jours soigneuse­ment niés, par­ticipent d’une cam­pagne qui dépasse de très loin un cadre élec­toral. Tout le refoulé his­torique, toutes les igno­rances, toutes les envies con­tre plus mis­éreux que soi sont rap­pelés en sur­face, pour dress­er des pop­u­la­tions les unes con­tre les autres et ten­ter de main­tenir un pou­voir contesté.
Ce pou­voir, qui par la cor­rup­tion, la big­o­terie, la redis­tri­b­u­tion ciblée, a secrété à ses marges une caste de par­venus ignares et affairistes d’un côté, et s’est acquis les grâces de couch­es pop­u­laires ayant soudaine­ment accès à une fausse « moder­nité », bien qu’é­conomique­ment inca­pables d’en prof­iter, puise aujour­d’hui dans le tré­sor de l’ex­trême droite de tou­jours, l’his­toire meur­trière et nation­al­iste jamais assumée, mais por­teuse d’idéolo­gie géno­cidaire, tout en ravi­vant les plaies d’an­nées plus récentes.
Il y a là une ten­ta­tive de « fas­ci­sa­tion » du pou­voir, autour de la fig­ure d’Er­do­gan, l’is­lamisme rad­i­cal étant déli­cat à manier dans ces temps où Daesh rôde, et la néces­sité d’une alliance avec la vieille droite extrême, mais restée kémal­iste, devenant indis­pens­able. Des dis­cours au sujet de cor­po­ra­tions, de cadres inter­mé­di­aires de l’E­tat, de com­merçants, les qual­i­fi­ant de « meilleurs sol­dats au ser­vice du gou­verne­ment AKP » sont très par­lants à cet égard.

Gar­dons nous de for­mules sim­plistes et méprisantes sur une « Turquie de tou­jours » en proie à ses démons intérieurs, un pays « émer­gent » sor­ti à peine des « archaïsmes » de l’Ori­ent. On ne va pas tarder à voir sur­gir ces for­mules là au détour des claviers des édi­to­ri­al­istes ici, afin de mieux dis­simuler la poli­tique de capit­u­la­tion européenne devant ce qu’il faut appel­er par son nom, la ten­ta­tive de main­tien d’un pou­voir néo libéral sur le fond par tous moyens, y com­pris l’is­lamo nation­al­isme assassin.

Car ce qui est en jeu, c’est pour­tant bien la con­tes­ta­tion par les jeunes généra­tions, d’une société de « crois­sance » qui n’ap­porte que destruc­tions et néga­tion des envi­ron­nements écologiques et cul­turels (la sym­bol­ique de Gezi). C’est aus­si l’u­topie d’une Turquie mosaïque, riche de ses iden­tités qui romprait avec le car­can poli­tique issu du siè­cle dernier et prendrait à bras le corps son his­toire pour avancer, qui s’op­pose au vieux sys­tème qui se décom­pose, jusqu’i­ci cache sexe du néo libéral­isme triomphant.

Que cet affron­te­ment inter­vi­enne dans un con­texte de guerre ouverte en Syrie, en Irak, où des puis­sances régionales et des impéri­al­ismes intéressés règ­lent des comptes sur le dos des pop­u­la­tions, donne la mesure de la dif­fi­culté de la tâche et du pos­si­ble chaos à venir.

Nos gou­ver­nants ici ne peu­vent en ignor­er les con­séquences, et c’est pour cela qu’ils ont délibéré­ment choisi ce Munich avec Erdogan.

Désolé pour ce ton grave, mais au delà d’une cam­pagne élec­torale, il se joue en Turquie, non un retour aux années antérieures, mais bien l’af­fer­misse­ment d’un pou­voir autori­taire, à mi chemin entre la théocratie méga­lo­mane d’un Erdo­gan et le nation­al­isme iden­ti­taire, qui monte partout en Europe.

Pour ter­min­er ce pro­pos, puisque ces images vien­nent enfin de pou­voir être dif­fusées, bien qu’elle datent de sep­tem­bre, voici une vidéo.

Les faits se sont déroulés à Kırşe­hir le 8 sep­tem­bre. Le mon­tage, effec­tué par le jour­nal Radikal, est con­sti­tué de ban­des de vidéo sur­veil­lance et d’im­ages de porta­bles et de caméras de jour­nal­istes présents. La cen­sure en a d’au­tant retardé la diffusion.

Rap­pelons nous, quelques jours aupar­a­vant, à Dağlı­ca-Yük­seko­va, l’ex­plo­sion d’une forte charge placée sur le pas­sage d’un con­voi mil­i­taire avait fait seize morts. Immé­di­ate­ment, de l’E­tat major au plus haut niveau de l’E­tat, la dénon­ci­a­tion d’un « lâche assas­si­nat » et d’une « action ter­ror­iste du PKK » avait fait le tour de la Turquie.
L’in­stru­men­tal­i­sa­tion de cet acte de guerre fut telle qu’elle aboutit le 15 sep­tem­bre à une sorte de « nuit de cristal » con­tre le HDP, un nom­bre con­sid­érable de ses per­ma­nences poli­tiques étant attaquées, mis­es à sac, incendiées dans la journée et la nuit, avec ten­ta­tives de lyn­chages de mil­i­tants. Ces exac­tions se sont déroulées dans une coor­di­na­tion par­faite, sans inter­ven­tions nota­bles de forces policières.
Les hordes ultra nation­al­istes s’é­taient répan­dues simul­tané­ment dans les rues aux qua­tre coins du pays.

C’est donc au retour d’une mise à sac sim­i­laire, quelques jours plus tôt, que cette destruc­tion de la librairie Gül, ouverte ici depuis 30 ans a eu lieu. Il est impor­tant de le pré­cis­er afin de com­pren­dre pourquoi une telle foule a par­ticipé à cette mise à feu, et ne pas laiss­er croire à une attaque « spontanée ».

Ces images d’in­cendie d’une librairie kurde, lieu de cul­ture, sont certes des images par­mi d’autres, des destruc­tions et attaques nation­al­istes qui eurent lieu cette semaine là, mais sont très sym­bol­iques d’une idéolo­gie géno­cidaire à l’oeu­vre der­rière. Mis­es en par­al­lèle avec la destruc­tion des cimetières par l’ar­mée turque, elles mon­trent une volon­té de « purifi­ca­tion eth­nique » que le gou­verne­ment encour­age. Et s’il faut attester ce choix des mots, il suf­fi­rait de citer les déc­la­ra­tions des Préfets, à l’o­rig­ine des mis­es en état de siège de dif­férentes villes de l’Est dans ces derniers mois : “Tant que la région ne sera pas puri­fiée [des ter­ror­istes], les opéra­tions con­tin­ueront”, relayées abon­dam­ment par­lant elles de “net­toy­age”.

Pas très por­teur d’op­ti­misme tout cela. Mais sans jeu de mots déplacé, il y a là de quoi fou­et­ter un chat.

Et comme à Kédis­tan, on aime le pays des chats, on alarme tant qu’il est temps.

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…