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Traduction de l’article de Uğur Güney Subaşı, publié en Turquie le 21 novembre 2020, sur Politikhane.
Nous sommes allongés tout en long, sur la table d’opération, comme un malade “sans corps” qui est, suite au fait que l’anesthésie prodiguée n’a étrangement pas produit ses effets, conscient ; qui sait, entend, même voit ce qui va lui arriver ; mais qui, malgré cela, son corps étant endormi, ne peut réagir aux douleurs qu’il ressent, ou aux douleurs qu’il subira probablement. Comme si nous n’étions pas seulement le patient de ce médecin que tout le monde connait, qui chuchote dans notre oreille que la seule personne qui peut nous apporter une guérison ne pourrait être que lui, puis lacère, et hache, sauvagement, tous nos organes humains en commençant par notre coeur et notre raison, nos vertus, avec des méthodes qui lui appartiennent ; mais nous étions des cadavres sans résistance, sans émotions, et silencieux, sur lesquels les étudiants en médecine de dernière année pratiquent ! Nos corps “humanoïdes” ne montrent même aucun signe de vie, démontrant pourtant que nous sommes des êtres humains possédant, à part nos larmes prises pour sueur et essuyées impunément, des peurs, des rêves, des amours, des révoltes.
Je vois avec tristesse notre insensibilité collective, notre indifférence, notre résignation qui s’étendent sur une large partie de la société, peu à peu, telle une tache d’encre tombée sur le sol. Le pire est notre état d’âme et de corps accoutumé, rendu accoutumé ; il ne reste plus trop de possibilités pour qu’un soutien social puisse être porté aux Kurdes ; le soutien qu’ils-elles attendent de nous à juste titre, et il faut l’avouer, qu’ils-elles méritent, sortant des décombres poussiéreux de leurs vies de souffrances abattus sur leur tête, se transformant en une montagne de chair ; en résistant ruelle par ruelle, avenue par avenue, place par place, quel que soit le prix à payer, contre les illégalités interminables du pouvoir cruel et de l’Etat au visage haineux ; et en essayant de faire entendre au niveau mondial, tous les assassinats de Droit, commis avec préméditation contre tous leurs représentantEs politiques, à commencer par leur charismatique leader. J’en témoigne de près.
Car le pouvoir actuel en Turquie, qui a découvert depuis longtemps que les gens du pays n’ont guère à faire des droits, du Droit, de la démocratie et des libertés, particulièrement lorsqu’il est question de Kurdes, d’Alévies, de non-musulmans, nous a prouvé maintes et maintes fois, en produisant des politiques à partir de haines historiques, sectaires et racistes instillées dans l’ADN des Turcs musulmans, sans différencier entre croyants ou kémalistes, qu’il est extrêmement habile à maximiser ses propres objectifs politiques et économiques.
En partant de là, même si le tableau parait grave pour les Kurdes, je pense que ce peuple, qu’en vérité on a essayé de “mettre à genoux”, “de faire rentrer en ordre”, mais cela n’a jamais réussi, et qui est constitué, de la tête aux pieds, de détermination et d’entêtement, n’est pas seul et sans espoir, comme on le pense, on l’espère, on le planifie, pour être bousculé, molesté. Je pense que leurs regards remplis de souffrances, de reproches, de colère filtrée d’une vie digne qui, pendant des années, leur a été transfigurée en enfer, seront la matière première, ciment de leur posture déterminée. Je ressens que cela peut être une possibilité de nous échapper du cercle sanglant de ce pays sans espoir qui se débat désespérément dans le terrible marais du racisme et du confessionnalisme sectaire, dans lesquels, plus il se débat, plus il s’enfonce dans les profondeurs, que cela peut être pour nous, de l’espoir, même un brin, d’une respiration humaine.