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İpek Er, jeune fille d’à peine 18 ans fait une ten­ta­tive de sui­cide le 16 juil­let dernier, suite a une séques­tra­tion et un viol, avec abus de con­fi­ance et promesse de mariage, par un sous-offici­er turc. Mal­gré une plainte déposée par la famille, le ser­gent Musa Orhan, récidi­viste, ayant déclaré lors de son inter­roga­toire être ivre au moment des faits, fut relâché.

Après plus d’un mois d’hos­pi­tal­i­sa­tion entre la vie et la mort, İpek est décédée. Suite aux réac­tions de l’opin­ion publique, Musa Orhan est enfin sous les verrous.

Rabia Mine réag­it à sa manière.


Musa Orhan a con­va­in­cu ma fille en lui dis­ant ‘je suis fonc­tion­naire, j’ai un salaire de 13–14 000 livres turques, fais moi con­fi­ance’. Il l’a prise avec lui et l’a amenée chez un ami qui, comme lui, est ser­gent. Il a enivré ma fille en lui faisant absorber des médica­ments et de l’al­cool. Le 4ème jour, ma fille lui a demandé ‘pourquoi tu ne m’épous­es pas? Pourquoi tu m’as mise dans cette sit­u­a­tion ? Je ne peux même pas retourn­er dans ma famille’. Musa Orhan répond, ‘je pars en opéra­tion. Je vais y rester un mois, un mois et demi. J’ai un cousin à Izmir, prends ces 500 livres turques et vas chez-lui. Je viendrai là-bas et on fera le mariage rapi­de­ment’. Lorsque ma fille alla à Ismir, Musa Orhan avait éteint son télé­phone. Au retour, à Bat­man, ma fille lui envoie des mes­sages pen­dant qua­tre jours. Mais il ne répond pas. Une semaine avant son sui­cide, nous avons déposé une plainte au bureau du pro­cureur. Ma fille écrit dans la let­tre qu’elle a adressée à Musa Orhan, ‘tu m’as men­acée. Je devais soit te tuer toi, soit moi-même. Je n’ai pas de force pour toi’.”

Ces déc­la­ra­tions du père Fuar Er, pla­cent devant nous de nom­breuses infor­ma­tions qui, selon la fenêtre par laque­lle on regarde, peut totale­ment chang­er l’in­ter­pré­ta­tion de cette péri­ode qui a entrainé le sui­cide trag­ique d’İpek, abusée avec promesse de mariage, et vio­lée par le ser­gent Musa Orhan à Batman…

ipek erOui, ce sont des phras­es qui font par­ler toutes sortes de langues. Mais, bien qu’il soit ques­tion d’une rela­tion entamée via les réseaux soci­aux, il y a une nette réal­ité qu’au­cun regard malveil­lant ne puisse chang­er. Au moment de la nais­sance de cette rela­tion, une des par­ties est, comme d’ailleurs l’ex­pri­ment claire­ment ses pro­pres paroles “tu peux te plain­dre où tu veux, il ne m’ar­rivera rien. J’ai fait ça plusieurs fois avant, il ne m’est rien arrivé”,  un “vio­leur en série”. Il se pré­pare à com­met­tre un crime prémédité d’ ”agres­sion sex­uelle”, alors que l’autre par­tie est une jeune fille inex­péri­men­tée qui bâtit des rêves de mariage roman­tique avec un homme qu’elle pense qu’il la sauvera de la pau­vreté dans laque­lle elle vit…

Et cette jeune fille exprime ceci dans la let­tre de sui­cide qu’elle a écrite, avant de se tir­er dessus avec un pistolet :

J’ai 18 ans et je vis dans un vil­lage. Musa Orhan a détru­it mes rêves, ma vie, mes espoirs. Il m’a salie et effon­dré mon monde sur ma tête. J’ai mal, je ne peux sup­port­er. Musa Orhan m’a trompée. Il m’a amenée chez son ami. Je ne l’ai pas lais­sé me touch­er pen­dant toute une journée. Le deux­ième jour, il a sali par la force, mon hon­neur. Il m’a vio­lée. Il m’a men­acée. Il me dis­ait que si je par­lais, il me tuerait. Désor­mais, je vais mourir, il n’y a pas de rai­son pour que j’ai peur.”

Cette réal­ité limpi­de qui découle aus­si bien de la let­tre d’İpek, que des pro­pos de son père, et qui n’est ouverte à aucune inter­pré­ta­tion, est un motif suff­isant pour que le sus­pect soit jugé pour avoir “entrainé la mort, avec séques­tra­tion et viol avec promesse de mariage”. Mais, mal­heureuse­ment, la défense essen­tielle que le sus­pect avancera sera “elle était con­sen­tante”. Le vio­leur en série dira “c’est elle qui est venue à moi…”. Et les juges don­neront leur ver­dict avec cette orientation.

Quel autre ver­dict pour­rait-il être atten­du de la Jus­tice de ce pays, dont les déci­sions antérieures sont pris­es sur la base “avec le con­sen­te­ment de la plaig­nante”, pour de nom­breux cas, dont N.Ç.,  13 ans, vic­time de viol col­lec­tif d’une ving­taine d’hommes ayant l’âge de père et de grand-père, pos­sé­dant sit­u­a­tion, affaires, carrière…

De plus, là, il est ques­tion d’un émi­nent et glo­rieux mil­i­taire turc !…

ipek öldürmek orhan musa

Nous savons toutes et tous que l’ar­resta­tion du sus­pect Musa Orhan, seule­ment après la mort d’İpek, qui s’est battue pen­dant 33 jours à l’hôpi­tal, n’est qu’un sim­u­lacre fait pour étein­dre la réac­tion de l’opin­ion publique.

Tout comme l’an­nu­la­tion de l’ap­pel d’of­fre ouvert pour l’exé­cu­tion des 17 chèvres à Der­sim, pour stop­per les réac­tions socié­tales. Pour­tant, de nom­breux appels d’of­fre de mas­sacres de dif­férentes espèces, vivant dans d’autres endroits de la Turquie pour­suiv­ent leur chemin. Ils ont très bien com­pris les règles d’une société dénuée de mémoire… Finale­ment per­son­ne ne n’est préoc­cupée de ces autres cas. Parce que ce “devoir de con­tes­ta­tion” rem­pli, on avait passé à de nou­veaux sujets.

Nous nous met­tri­ons à crier de toutes nos forces, sur un sujet, pour ensuite, ne pas s’in­téress­er à la suite ? Une tragédie ou une injus­tice qui descen­dent en posi­tion sec­ondaire, n’au­rait plus son tour ; parce que, chaque journée aura son prob­lème nou­veau, brûlant et populaire…

Revenons donc à İpek. A part le futur procès qui trait­era de l’en­chaine­ment à déchir­er les coeurs, con­cer­nant sa mort, et le ver­dict bidon qui tombera pour son vio­leur, il y a une autre dimen­sion aus­si grave que la précé­dente. Il est ques­tion d’une jeune-fille ayant don­né sa con­fi­ance sin­gulière à un homme qui lui promet, avec le mariage, de la sor­tir de la mis­ère. Et il s’ag­it aus­si d’un pour­risse­ment social qui s’ex­hibe. Avec de dégoutantes dém­a­go­gies poli­tiques, une mise en juge­ment de la vic­time même, par des per­son­nes dénuées de con­science, qu’elles soient de son peu­ple ou de ses rivaux, la pour­ri­t­ure se matéri­alise sous nos yeux :

Des Kur­des qui jugent, “si une fille kurde s’est liée avec son futur assas­sin, qu’elle crève”, aux Turcs qui annon­cent “elle y est allée de ses pro­pres pieds, quel viol ?” ; des soit-dis­ant opposants de gauche qui se préoc­cu­pent de la mort d’İpek leurs pre­miers soucis restant pour­tant la trinité “patrie — nation — dra­peau”, aux asso­ci­a­tions ultra-nation­al­istes, qui plutôt que dénon­cer l’acte de viol et son auteur, mon­trent du doigt le jour­nal qui a pub­lié la pho­to du vio­leur faisant de ses doigts le “loup”, signe des loups-gris ultra-nation­al­istes ; c’est une société géante qui, après la mort d’un bout de jeune-femme, écrit l“épopée” d’un pourrissement.

Je ne compte même pas les oppor­tunistes qui con­cur­ren­cent les con­tor­sion­nistes, pour éviter de lier le sujet avec la ques­tion kurde ; d’in­nom­brables crimes d’a­gres­sions et de vio­ls ‑même si tous ne se ter­mi­nent pas par la mort- com­mis sur ces ter­res pas­sant par tromperies, abus, pres­sions, men­aces, par des indi­vidus pos­sé­dant des statuts et des sit­u­a­tions similaires.

Je ne sais pas com­bi­en de vies de femmes kur­des doivent s’as­som­brir encore, pour qu’on accepte enfin le fait que l’au­teur est une per­son­ne autorisée à user de sa dom­i­na­tion sur sa vic­time ; qu’en­tre les deux par­ties existe un rap­port de force démesuré ; que l’i­den­tité eth­nique, cul­turelle et socio-économique de la vic­time l’empêche de deman­der des comptes, et  l’au­teur est impuné­ment loin de les ren­dre ; et que tout cela soient des fac­teurs qui pré­par­ent le ter­rain pour que des crimes sim­i­laires soient com­mis facile­ment. Sans oubli­er que ces crimes, devenus une tra­di­tion grâce à ces facil­ités, con­stituent les ten­tac­ules des mas­sacres eth­niques menées dans cette région, depuis des dizaines d’années.

Et, face à cette masse géante de pau­vres de con­science, une mère en souf­france, se déchire en dis­ant “Je veux qu’il soit demandé autant de comptes que toutes les souf­frances que ma fille a subies”, avec, à ses côtés, les portes-paroles de quelques asso­ci­a­tions, et de quelques mil­liers d’usagers de Twit­ter, qui, dès demain, jet­teront ce cas dans la poubelle de la mémoire !

Je veux qu’il soit demandé autant de comptes que toutes les souf­frances que ma fille a subies”.

Qui va le demander ?

Per­son­ne !

Si quelques unEs d’en­tre nous, pou­vaient pass­er une seule journée sans se rap­pel­er de la phrase de l’autrice Tez­er Özlü : “Ce pays est celui de ceux qui veu­lent nous tuer, et pas le nôtre”.

Rabia Mine


 

Rabia Mine

Yazar, şair, insan hakları koruyucusu aktivist. “Külden” adlı bir şiir kitabı var (2014).
İstanbul Üniversite’sinde Hukuk, Mimar Sinan Üniversite’sinde sinema televizyon eğitimi aldı. Yapımcılık, metin yazarlığı, bağımsız redaktörlük yaptı.

Image à la Une : La mère d’İpek Er, larmes aux yeux.

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