Syrie. Avant même avoir écouté ou lu les propos du commandement des FDS à propos d’une recherche d’accord pour une intervention des troupes syriennes du régime, dans la situation où, disent-ils, “il faut choisir entre le Peuple et son génocide”, certains déjà applaudissaient Poutine.
Français | English
Rappelons que l’armée du régime syrien avait été appelée en 2018 à Menbij, après la première annonce d’un “retrait américain”. Pour l’invasion et l’occupation d’Afrin, la même chose s’était produite, sans effet autre que d’annonce, et le mouvement kurde avait choisi l’évacuation partielle de la ville, qui fut livrée par le régime turc aux exactions de leurs toujours alliés barbus djihadistes.
Rien n’est fait encore donc. Il est à remarquer que la maîtrise de l’espace aérien, pourtant si facilement possible, tant par la coalition que par la partie russe, n’a jamais été envisagée. Celle-ci ne permettrait sans doute, aucun chantage contre les FDS et le Rojava, sur leur avenir d’autonomie dans le bourbier syrien. La carte de l’entrée en jeu de l’armée syrienne, si.
Par ailleurs, la présence militaire turque est déjà actée autour d’Idleb, par accords Turquie, Iran, Russie, sans que ce soit un casus belli avec les forces du régime, qui assiègent et bombardent régulièrement la poche. On peut imaginer un nouveau petit pas de paix à la russe, avec de tels accords frontaliers. Mais un pas après un affaiblissement politique de fait des FDS, sur fond d’exode de plus de 120 000 personnes en quelques jours. La menace de Daech aura aussi fait réfléchir.
Trêve de conjectures, revenons sur cette semaine sanglante et ce que nous enseigne les attitudes et prises de positions internationales, lorsqu’il s’agit de combattre un projet politique de confédéralisme et de démocratie en cours au Moyen-Orient.
Parlons tout d’abord de l’aspect entente militaire et alliances, qui concerne l’appartenance à l’OTAN de la Turquie. Il a été publiquement réglé par des rencontres et déclarations finales. Le feu vert s’est teinté d’orange pour la Turquie, mais, en interprétant comme mauvaise langue les propos récents des dirigeants de l’OTAN, on pourrait dire qu’ils ont conseillé au régime turc d’employer des armes comme celles que vend la France, et qui évitent paraît-il les civils, comme au Yemen… Ces conclusions ont aussi tranché les altermoiements du Pentagone qui a annoncé d’emblée le retrait rapide possible de la région d’un millier de soldats américains. Le soldat Trump voit ainsi ses propos mis en oeuvre et son désengagement à la Ponce Pilate approuvé par l’alliance. Chacun ensuite qualifiera de désescalade internationale cette hypocrisie, qui rejoint l’appellation de l’agression turque : “sources de paix”.
L’OTAN, que l’on croyait en crise, du fait de l’unilatéralisme du populiste Trump, joue donc là un rôle important dans le maintien sans scrupule ni morale d’un statu quo, et “lave” un de ses membres du sang répandu qui pouvait rejaillir sur tous les autres. Les morts et les blessés du Rojava apprécieront.
Les gouvernements européens peuvent réunir tous les conseils de défense qu’ils veulent, et en faire de la communication, la dite coalition en Syrie puise son eau aux sources du système militaire de l’OTAN. Et ce système, depuis qu’il existe, est là pour des défenses d’intérêts des Etats et d’un système aujourd’hui mondialisé. Le Rojava, à “poitrine nue devant le couteau turc”, est bien petit face à toutes ces alliances d’intérêts contre lui.
Pour ne parler que de la France par exemple, que je connais bien, je reprendrais la décision de cesser les livraisons d’armes à la Turquie, dans la foulée d’autres Etats européens. Je pose alors une question simple. Les coopérations via Thales, Safran, sur les recherches en armement et les futures achats et ventes, font-elles partie de l’engagement ? Car il n’y a pas que l’accord scélérat sur les migrants qui lient les Etats européens.
CertainEs attendent sans doute ici un couplet sur le capitalisme tueur et fourbe, écrit avec un couteau entre les dents. Mais ne suffit-il pas d’une recherche rapide pour lister toutes les coopérations avec le régime turc depuis début 2000 par exemple, où tant le régime corrompu que des entreprises et banques européennes se gobergent, sur fond de volets d’adhésion ouverts ou fermés. Le libéralisme économique se traduit par des lâchetés politiques qu’on appelle “compromis pour avancer”. L’agitation sans actes des dirigeants européens face à l’invasion turque est un acte de plus dans le Munich où les intérêts économiques priment sur les nuisances mondiales des régimes dits forts, par euphémisme.
Il faut aujourd’hui se forcer devant l’émotion légitime que provoque cette intervention, à prendre du recul, pour comprendre, au delà du sentiment d’impuissance et de l’indignation d’un jour. Et, bombardés d’images, d’horreurs en vidéo, et de cynisme diffusé par tweets, la tentation serait grande de ne plus réfléchir, ou de le faire en mode binaire.
Je reviendrai dans un deuxième article sur les événements, les faits et de ces jours passés, leur charge affective et les mobilisations populaires qu’elle a suscitée partout. Celles-ci, fort heureusement, redonnent confiance en l’humain, et donne sens au combat politique transnational.
Dans une précédente chronique, je m’interrogeais sur la position russe en embuscade, et le laissez faire d’un Poutine en apparence semblable à tous les autres. La réponse, comme j’en parlais en introduction, est apparue aujourd’hui. Le régime semble juger avec lui, que point trop n’en faut de la pénétration turque, et que la désorganisation du Rojava comme son abandon par tous, le place en position de faiblesse pour appeler à l’aide en Syrie même. C’est chose faite, et le régime turc vient de faire étau avec le régime Bachar, par intérêts réciproques. Il ne serait pas étonnant de réentendre parler de bombardements sur Idleb, pour cette fois signifier un remerciement à la Turquie.
Ces vingts derniers jours ont fait avancer la question syrienne plus que l’année écoulée, dans la direction où la diplomatie russe veut l’emmener dans la région. L’appui russe à l’initiative onusienne de mise en place d’une commission chargée de penser une constitution syrienne issue de ces années de guerre, trouve maintenant sa place. D’autant que la partie Nord Syrie, pieds et mains liés pourrait y être contrainte à tous les abandons, si toutefois elle y est admise.
“La guerre génocidaire ou la survie des Peuples” pourrait aboutir à des reculs terriblement contraints dans le projet du confédéralisme, déjà bien abîmé. La liquidation physique dans une opération probablement ciblée, de la co-présidente Hevrin Khalaf, venue en France il y a peu, plaider la cause kurde, prend sens dans tous les abandons des Kurdes en cours, et l’immense pression humanitaire qui en résulte.
Bien que les prévisions politiques des uns et des autres puissent être enrayées par un grain de sable, et que les veuleries politiques se retournent souvent contre leurs auteurs (l’histoire du Moyen-Orient en regorge), un scénario qui sera présenté comme “sortie de crise” s’ébauche sous nos yeux, tandis que les massacres sont diffusés en direct, et les trahisons justifiées de même.
Le seul point qui semble attiser quelques craintes parmi les Etats, est la possible résurgence de Daech et le terreau propice que la sortie américaine cultive. La fuite d’un certain nombre de membres djihadistes ou de leur famille, si elle faisait partie des risques, s’est réalisée sous les yeux du monde entier. Là encore, on sait que le régime syrien ne peut assumer cette question, et qu’elle servira de chantage désormais au grès des intérêts, et de démonstration que les Kurdes ne peuvent y remédier, faisant ainsi oublier les milliers de morts au combat contre cet islamisme assassin et conquérant de l’obscurantisme.
Le nationalisme turc raciste, dont chaque phase de guerre supplémentaire galvanise en interne, a uni les compétiteurs électoraux d’hier, contre l’ennemi de l’intérieur et les ennemis de l’extérieur. La réthorique kémaliste à l’oeuvre, vit même cette fois des écoles religieuses, avec des fillettes voilées composer le drapeau turc dans des cours, et prier contre le soldat luttant pour la patrie. La boucle est bouclée, et un certain Reis conforté, par son opposition elle-même, turcité oblige.
Les arrestations n’ont pas manqué, et les rares opposantEs courageusEs sont traînées dans la boue, comme la militante des droits humains Eren Keskin, entre autres.
Il faudra attendre un peu pour s’y retrouver dans les voltes-faces des politiques américains et les démêlées en cours. Mais le populisme de Trump aura trouvé des adeptes pour le suivre à l’international, parmi les partis identitaires, contre le mouvement kurde. Les Ponce Pilate partisans des replis derrière les frontières s’expriment ainsi et eux aussi professent désormais la Paix de Bachar contre les Kurdes et l’islamiste Erdoğan. Le fascisme n’est jamais loin derrière le populisme national identitaire. Se mobiliser pour le soutien au Rojava est aussi une lutte des anti-fascistes, c’est une évidence.
Les jours qui viennent verront leur lot d’exactions commises par les forces turques et leurs alliés djihadistes, et des tueries comme celle d’hier contre des porteurs de paix, pour terroriser les populations. La résistance des FDS, et parmi eux des volontaires internationaux toujours présents, est suspendue aux nouvelles trahisons. La solidarité transnationale qui s’exprime ne suffira pas à combler l’immense désespoir qui se traduit par la colère, et désormais un ressentiment général, peu propice à débat politique sur l’avenir. L’attaque turque servait aussi à cela.
A suivre…
Dernière minute :
La France adopte aussi un “courage fuyons” et prend la décision d’éloigner ses forces spéciales dont les effectifs étaient déjà minces, pour “leur sécurité”…
Par ailleurs des journalistes “correspondants occidentaux” commencent à faire part de leur propre évacuation du Rojava et de la désorganisation interne face à la Turquie et à l’arrivée du “régime”. “Si ces informations se vérifient le Rojava tel que nous en parlions vivrait ses derniers moments politiques”, selon des correspondants qui ne relaient pas la propagande turque d’ordinaire. Ce qui n’enlève rien à la confusion et à la volonté de chacun de reconquérir des positions, sources d’affrontements à venir.