Déjà de tous côtés on “enterre” les Kur­des. Un com­men­taire de plus ou de moins, même sur Kedis­tan, n’y fera rien. Juste pour dire que le “Roja­va” n’est pas mort. 

Avec l’ar­rivée de troupes gou­verne­men­tales syri­ennes sur Man­bij, approu­vée par Pou­tine, et vis­i­ble­ment en pré­pa­ra­tion d’un nou­veau marchandage à Astana entre la Turquie, l’I­ran et la Russie en jan­vi­er, les capac­ités à agir sur les événe­ments sont désor­mais restreintes, les représen­tants kur­des eux/elles mêmes, par prag­ma­tisme pour sauver les pop­u­la­tions, ayant fait appel au régime syrien.
Bien que l’ar­mée du “régime” n’ai pas à ce jour occupé la ville, et se con­tente de tenir des posi­tions face aux dji­hadistes alliés de la Turquie remon­tés d’Idlib, on assiste pour­tant à la mise à mort lente pos­si­ble et con­trainte d’un proces­sus poli­tique de plusieurs années, sans véri­ta­ble chance don­née à la paix pour autant.

Depuis l’an­nonce toni­tru­ante du retrait des troupes améri­caines (autour de 2000 hommes) qui étaient présentes en Syrie et alen­tours, l’ensem­ble des médias de par le monde par­le des Kur­des. Qua­si aucun ne rap­pelle qu’il ne s’ag­it pas seule­ment d’une trahi­son “morale” à l’en­con­tre des vrais vain­queurs de Daech, aujour­d’hui très affaib­li mais tou­jours en capac­ité de nuire, mais bien davan­tage d’une pres­sion impéri­al­iste à l’en­con­tre du pro­jet poli­tique démoc­ra­tique en proces­sus en Syrie Nord, refusé en vue d’hy­pothé­tiques partages d’in­flu­ences et de pou­voir sur cette par­tie du Moyen Ori­ent. Cha­cun se ren­con­tre, s’en­tend, se coor­donne sur le dos des autres…
Au même titre que les fac­tions dji­hadistes dites ex “syri­ennes libres”, ou celles aujour­d’hui d’Idlib, plus his­torique­ment liées aux scis­sions de l’is­lamisme rad­i­cal face à Daech, ou encore les mer­ce­naires dévoués de la Turquie, les por­teurEs d’un futur démoc­ra­tique à vision con­fédéral­iste pour les peu­ples de Syrie sont doré­na­vant traités comme des scories à “tri­er” des soubre­sauts poli­tiques syriens et de la guerre meur­trière de ces 8 dernières années.
Restent désor­mais autour de la table La Turquie, l’I­ran, le régime de Bachar dans la main d’un Pou­tine, et le fan­tôme agis­sant de celui qui, par sa rup­ture de tout mul­ti­latéral­isme diplo­ma­tique, place hors jeu toutes les coali­tions, et dis­crédite ses com­posantes, France incluse.

Une véri­ta­ble tablée de guerre, qui par­le de paix pour jus­ti­fi­er ses ambi­tions impérialistes.

Le mas­sacre pro­gram­mé a été à ce jour évité à Idlib, par Turquie inter­posée, avec l’ac­cord explicite des “coali­tions”. Ces pop­u­la­tions déplacées, “d’ac­cords en accords”, rescapées des offen­sives du régime large­ment abondées par l’ar­mée russe et les mil­ices irani­ennes, et surtout leurs fac­tions armées, ont obtenu un sur­sis et pour part se retrou­vent représen­tées par la Turquie dans les tours de table dits d’Astana.
La Turquie avait, avec une irrup­tion à Jer­ablus en sep­tem­bre 2016, puis plus récem­ment sur Afrin, enfon­cé un coin en ter­ri­toire syrien, où elle récla­mait depuis qua­tre ans l’étab­lisse­ment d’une “zone tam­pon” pré­texte. Elle a depuis, et cela s’est con­fir­mé avec la ren­con­tre d’Is­tan­bul, obtenu le priv­ilège d’y faire manoeu­vr­er ses armes lour­des, sous cou­vert de patrouilles mixtes, aidée par les mil­ices qu’elle arme localement.
Tant que le gou­verne­ment turc opère “avec retenue” et que cela ne fait que “touch­er pro­fondé­ment” la dite com­mu­nauté inter­na­tionale, tout irait donc bien.
En la per­son­ne même du prési­dent des Etats Unis, Erdo­gan vient pour­tant d’obtenir un brevet d’an­ti-ter­ror­isme, et le feu vert pour le met­tre en oeu­vre en ter­ri­toire syrien, avec un “con­trôle” à la Pou­tine. Il prend donc son temps.

kurdes

Ce tableau fut abon­dam­ment dressé par tous les édi­to­ri­al­istes de la presse inter­na­tionale durant ces dernières semaines. Ce qui démon­tre que l’in­for­ma­tion soudain ne manque pas, les analy­ses non plus, lorsqu’une telle déci­sion améri­caine men­ac­erait de reviv­i­fi­er le mon­stre de Daech. Mais dans toutes ces “brèves” et “nou­velles”, si on par­le des Kur­des, on com­mente peu le pro­jet poli­tique com­mun de Syrie Nord, que l’on con­nait mieux sous le générique “Roja­va”.

Le sujet ne tient pas à 2000 forces spé­ciales, toutes “spé­ciales” qu’elles soient. Il s’ag­it bien d’un accord poli­tique tacite pour ré-équili­br­er pro­vi­soire­ment les rap­ports de force et refouler au rang “d’usten­siles” les représen­tantEs civiles et com­bat­tantes d’une bonne par­tie des pop­u­la­tions syri­ennes, et leurs pro­jets de Futurs autonomes. Ce que le régime de Bachar n’a pas obtenu par la répres­sion, l’élim­i­na­tion, les tor­tures et la guerre, il est en voie de se le voir accorder par ses “alliés” et “enne­mis d’hi­er” à quelques bal­ayages et élim­i­na­tions près encore à venir. Les intérêts impéri­al­istes con­ver­gent pour garan­tir les con­di­tions d’un main­tien de ce qui fut à l’o­rig­ine des guer­res et con­flits, l’op­pres­sion de la mosaïque des peu­ples de la région et la néga­tion de leurs his­toires pro­pres, au prof­it d’un pou­voir étatiste syrien. Se soumet­tre ou mourir, telle sem­ble être la propo­si­tion de paix offerte.

Les représen­tantEs de la Con­fédéra­tion de Syrie Nord ont décidé, et per­son­ne n’a le droit de les en blâmer, de chercher dans ces bar­belés de paix, à préserv­er la vie des mil­lions de per­son­nes qui sur place pour­raient subir les con­séquences d’une sit­u­a­tion de guerre inten­sive. Elles ont fait appel au “régime”, pour stop­per l’in­va­sion turque pro­gram­mée, en même temps que ten­ter d’obtenir une zone d’ex­clu­sion aéri­enne hypothé­tique du parte­naire français de la coali­tion, via l’ONU. L’autre issue était de se bat­tre jusqu’au dernier sang, et au pas­sage, de se voir, pour la par­tie kurde, lâchée pos­si­ble­ment par des com­posantes de la confédération.

Ces déci­sions con­traintes, atten­dues depuis des mois déjà, iront, nous le savons, de pair avec une régres­sion poli­tique de ce qui fut à l’o­rig­ine le pro­jet poli­tique du Roja­va. Nous défions quiconque de nous démon­tr­er le con­traire. Et en accepter l’au­gure, c’est déjà point­er ce qui peut être sauvé ou défendu bec et ongles, dans la “drôle de guerre” en cours.
Quand à celles et ceux qui pensent que le moment est venu, dans un élan de “on vous l’avait bien dit”, d’en­ter­rer un pro­jet qu’ils esti­maient déjà aupar­a­vant “bureau­cra­tique et traître aux peu­ples de Syrie”, parce que sans aucun doute pour eux la “révo­lu­tion” était côté “Syrie libre”, même si l’is­lamisme y était encore plus, ils vendent une peau d’ours un peu rapi­de­ment. Et je ne par­le pas des “respon­s­ables” politi­ciens européens d’hi­er qui n’avaient pas bougé le doigt et qui aujour­d’hui, parce que d’ac­tu­al­ité,  y vont de leur larme intéressée…
Il faut con­stater que face aux murs, aux rap­ports de forces impos­si­bles, la déci­sion poli­tique prise en marchant préserve une part de futur. Sauve­g­arder l’hu­main tant que faire se peut, pour que ces humains, dans leurs diver­sités d’his­toires et d’op­pres­sion dans la région, puis­sent un jour revendi­quer l’ex­péri­ence com­mu­nal­iste et démoc­ra­tique encore en cours au Roja­va, dans une Syrie à recon­stru­ire, est certes un pari sur l’his­toire. C’est toute­fois un sur­sis sur le court terme.
Le prag­ma­tisme poli­tique kurde, qui, en 2011, a préservé quelques mil­lions de per­son­nes des mas­sacres, et encore récem­ment à Afrin, ne se résume pas à des “jeux d’al­liances” ou de “pou­voir”. Il a don­né nais­sance à la charte du Roja­va, à une prise de pou­voir des femmes sans exem­ple au Moyen-Ori­ent, à l’ex­péri­men­ta­tion d’un com­mu­nal­isme démoc­ra­tique à petite échelle.

Les con­quêtes démoc­ra­tiques, poli­tiques et humaines, accu­mulées au Roja­va, pour­tant en temps de guerre, ne pour­ront être effacées d’un trait. Le régime ne dis­pose pas de la force et de la légitim­ité pour écras­er plusieurs années d’ex­péri­ences sociales et poli­tiques. Une guerre et des mas­sacres pour­raient le faire, d’au­tant que le dji­hadisme, de Daech ou des autres, se charg­eraient de la basse besogne.

Cette drôle de guerre, sus­pendue à un change­ment d’an­née, con­cen­tre tous les dan­gers et recèle toutes les “tragédies” pos­si­bles, si on peut encore par­ler ain­si, après le géno­cide yezi­di, l’ag­o­nie d’Alep, la destruc­tion de la Syrie, l’ex­ode mas­sif de ses populations…

S’il est une tâche utile, face à l’im­puis­sance à agir à court terme et peser sur le cours des choses, elle serait de faire con­naître les acquits en con­science et en actes, du proces­sus du Roja­va, et d’en soutenir un en par­ti­c­uli­er, celui de l’é­man­ci­pa­tion des femmes, loin des débats binaires et tein­tés de reli­giosité ici.

Quel que soit l’avenir proche, les femmes con­tin­ueront à avoir face à elle un patri­ar­cat fort, et s’ap­puieront sur leurs con­quêtes d’au­tonomie pour le com­bat­tre. La résis­tance passera par elles.

Les pro­pos, tant de min­istres turcs que de respon­s­ables de par­tis nation­al­istes ces derniers temps, furent à l’u­nis­son “d’en­ter­rer les Kur­des”. Il n’y a pour­tant là aucune fatalité.

Bonne année 2019 ???

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…