La Turquie vit un des mois de juin les plus chauds de ces dernières années. Hier, des incendies de forêts se sont déclarés dans 18 endroits différents. A ne pas confondre pourtant avec ceux que l’armée turque a allumé elle même à l’Est, dans sa guerre en cours, comme à Lice.
A Adrasan, un incendie qui s’était déclaré samedi, autour de midi, s’est étendu avec le vent. En une journée, 150 hectares de forêts et 7 maisons sont devenues cendres.
Depuis 22h, on observe également plusieurs foyers de flammes sur la montagne Musa. Le centre de vacances alternatif Olimpos a été entièrement évacué, l’accès est interdit. Şafak Okdemir, un habitant du quartier Yazır, menacé par l’incendie, témoigne et signale que les ruraux qui connaissent très bien la région souhaitent contribuer aux tentatives d’extinction, mais qu’ils n’y sont pas autorisés.
La population n’a pas droit d’aider
Lorsque le vent qui s’est levé aujourd’hui a commencé à menacer Olimpos, des centaines de locaux munis d’outils, se sont rendus à l’entrée d’Olympes. Les pommes de pin en braise qui éclatent, provoquent l’extension de l’incendie. Les gens voulaient, au moins empêcher cela. Rien que de ramasser les pommes aurait pu empêcher que l’incendie prenne ces proportions. Mais la gendarmerie et les autorités n’ont pas permis que les habitants interviennent, pour des “questions de sécurité”. Nous ne comprenons pas cela. Nous attendons des explications.
C’est en effet incompréhensible. Ici, c’est un endroit souvent venté. Dans le passé, quand un incendie se déclarait, les premières interventions étaient faites par les villageois et d’ailleurs, la plupart du temps, ils réussissaient à éteindre l’incendie avant l’arrivée des équipes. Les employés des forêts n’avaient plus qu’à effectuer les travaux de refroidissement. Il y a 8 ans, dans un incendie déclaré sur la montagne Musa, les villageois avaient aussi participé aux travaux de refroidissement. Comme les équipes n’étaient pas suffisantes, les locaux étaient intervenus femmes et hommes. Comment peut-on protéger nos forêts en éloignant les habitants des villages forestiers ? Les arbres brûlent, les villageois regardent le spectacle coeurs brisés et les équipes attendent que ça s’éteigne tout seul.
Des flammes s’élèvent d’une centaine d’endroits sur le mon Musa. Notre électricité est coupée. Désespérés, dans le noir, nous regardons l’incendie, comme si on regardaient les lumières de ville. Nous avons le sentiment que rien n’est fait comme il faut pour l’intervention sur l’incendie. L’incendie qui est survenu à Kumluca Erentepe a été éteint mais les travaux de refroidissement n’ont pas été faits, l’incendie a alors recommencé ce matin. Nous ne nous sentons pas en sécurité. Jusque là, “le Dieu” nous a préservés, les flammes ne sont pas arrivées ici, mais nous ne savons pas comment cela va progresser.
Ce témoignage n’est pas isolé. Plusieurs voix des habitants du coin s’élèvent sur les réseaux sociaux et confirment ces propos, inquiétudes et questionnements.
Une technique première au monde ?
Quant au Ministre des Forêts et des Eaux, Veysel Eroğlu, il a fait des déclarations télévisées, sur les incendies à Antalya.
Nous avions éteint l’incendie à Kumluca mais suite au changement de vent ce matin, il a redémarré. Mais l’incendie de Kumluca est maintenant sous contrôle. Afin de protéger les hôtels, l’organisation des forêts a utilisé une technique bien à lui, pratiquée pour la première fois au monde et a sauvé tous les hôtels des flammes. Sinon les hôtels étaient sous un très grand risque.
757 incendies déclarés en une saison, je suis fier…
Le Ministre donne des chiffres est exprime très maladroitement sa « fierté », mélangeant chiffres et compliments.
Depuis le début de la saison, (printemps été), dans tout le pays il y a eu 757 incendies. Le plus grand nombre d’incendies est à Muğla. La ville de Muğla est donc la première avec 121 incendies, ensuite, en deuxième il y a Izmir avec 109 incendies, et Istanbul, troisième, 95 incendies, suivi de la quatrième ville Antalya avec 86 incendies. Je suis vraiment fier de “l’organisation des forêts”, ils travaillent de tout coeur et ils interviennent très rapidement.
Le ministre a aussi conseillé aux populations de “ne pas jouer avec le feu, surtout pendant les saisons chaudes et ventées”, et a précisé que “la moindre étincelle peut atteindre la forêt, mettre le feu à des feuilles et branchages secs, déclarer ensuite un incendie”.
Merci beaucoup pour ses conseils. Vraiment.…
Une technique révolutionnaire ?
Mais qu’est-ce donc cette technique unique, pratiquée pour la première fois au monde en Turquie et qui visiblement n’a pas pu sauver la faune et les arbres mais a été efficace pour sauver les hôtels ?
Le Ministre déclarait récemment, que le Ministère est composé de 70 milles personnes comme personnel et qu’il est doté des véhicules terrestres et aériens de dernières technologies, que les forêts sont observées 24h/24 par 214 caméras installées sur 777 tours d’observation, ainsi que 107 caméras de surveillance positionnées sur des endroits sensibles. Il annonçait également que le prix de « e‑Turkiye » a été décerné à ce système de protection et d’intervention qui n’existe nulle part ailleurs au monde, et que le Ministère a mis en place.
Si on écoute le Prof. Dr. Tuncay Neyişçi, Président du bureau de la Méditerranée de l’Ouest, de l’Association des Forestiers de Turquie, nous entendons une autre musique. Pour lui, la stratégie de lutte contre les incendies forestiers de la Turquie, est bourrée d’erreurs et des manques.
Les 90% du budget consacré aux incendies forestiers sont réservés aux avions et hélicoptères. Or, les 90% de ce budget devrait être investis dans l’éducation des populations, car les 90% des incendies se déclarent de la main de l’humain. Plus vous agrandissez vos forces aériennes, plus vous préparez le terrain pour de grands incendies. Le plus important est de nettoyer les terrains des forêts d’une façon contrôlée, pendant l’hiver. La Turquie ne fait pas cela.
Il n’y a pas de formation sur les incendie de forêts dans les facultés qui enseigne aux forestiers. Seuls les deux centres de formation incendie, (dont un se trouve à Antalya) donne un enseignement avec simulations, et cela n’est pas suffisant.
De plus, suite à des constructions qui gagne sur les terrains forestiers, et souvent sans respecter les standards d’incendie, que leur positionnement nécessite. Par conséquent, en cas d’incendies, la vie des gens et les biens sont également mis en risque et les interventions deviennent beaucoup plus compliquées.
Le nombre croissant des installations de centrales hydroélectriques (HES) et des carrières de diverses extractions, créent non seulement des risques d’incendies, mais aussi en cas d’incendie, leur sauvetage devenant prioritaire, provoquent l’extension des incendies sur la forêt.
Le Ministère déclare que nous sommes les meilleurs en Europe, et même au monde, mais ne déclare pas les dépenses faites par hectare forestier. Il faudrait qu’ils annoncent ce chiffre pour qu’on puisse comparer avec les chiffres mondiaux.
En ce qui concerne la technique révolutionnaire, le Directeur Général des forêts, Ismail Üzmez a été celui qui a éclairé nos lanternes. Il a expliqué en long en large comme on explique aux enfants, pour qu’ils comprennent bien, comment en allumant un feu devant l’incendie qui arrive, on peut l’éteindre… La méthode « unique au monde » n’est donc autre chose que la technique du contre-feu, technique ancestrale.
Tous les départs de feu ne seront pas des pertes pour tout le monde, surtout lorsqu’ils se font dans des zones convoitées pour le tourisme “bétonneur”. C’est ce qui se dit toujours quand tout flambe… Et qui se vérifie ensuite sur catalogue, quelques années plus tard.
Et pour ceux déclanchés dans les régions à majorité kurde, “un incendie de plus ou de moins, quelle importance”, dans cette politique systématique de terre brûlée, nous dirons les ampoules qui les allument…
photo à la une : DHA
Merci à Yusuf Yavuz, journaliste d’Antalya, pour avoir relayé toutes les informations.
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