Le masque hideux de la xénophobie et du nationalisme identitaire ne se fabrique pas en Chine. Il se produit à domicile.
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Entre la fausse polémique sur les “frontières”, à propos du virus qui se diffuse, la toujours présente “théorie du grand remplacement”, et Erdogan qui pousse à nouveau des milliers de réfugiés vers les murs d’une Europe cadenassée, il y a des dénominateurs communs : le repli sur soi et le nationalisme identitaire, derrière les masques.
Pour le régime turc en guerre contre tout ce qui n’est pas son identité exclusive et bigote, les millions de réfugiés de Syrie, sur son sol ou à ses marges, sont tolérés lorsqu’ils servent de chair à canon, comme proxy de guerre, de main d’oeuvre quasi gratuite en interne, ou acceptés lorsqu’ils “investissent”… Mais ils restent des “Syriens” comme restent Arméniens, Grecs, Kurdes, Tziganes, Alévis, tous les potentiellement désignés comme séparatistes ou terroristes de l’Etat-nation.
Et, ces jours derniers, alors qu’Erdogan s’embourbe dans une guerre en Syrie et cherche un moyen de chantage en direction d’une UE qui regarde ailleurs, les réfugiés syriens, ces “autres indésirables”, servent d’arme et d’exutoire.
Le trop plein nationaliste qui a explosé dès lors où le “soldat de la nation” s’est fait tuer du côté d’Idlib, se retourne contre “le réfugié syrien envahisseur”. Et si cela sert la politique du régime, qui cherche à obtenir les faveurs des états européens, diplomatiquement et en monnaie, c’est tout bénéfice.
Au lendemain de l’attaque syro-russe d’Idlib, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré que la Turquie “n’avait pas à s’occuper de tant de réfugiés et à les nourrir”. Auparavant, les autorités turques avaient annoncé que le pays avait ouvert ses portes aux réfugiés pour qu’ils quittent son territoire.
Les autorités turques, les partis, (hors HDP), des ultra-nationalistes aux dirigeants de l’opposition kémaliste, ont donc encouragé les réfugiés syriens à partir, comme ils ont bloqué les nouveaux arrivants côté province d’Hatay, chassés d’Idlib par la guerre.
Des photographies et reportages ont montré le niveau d’organisation et de logistique mis en place, pour à la fois faire affluer vers la frontière avec la Grèce, du côté d’Edirne, des milliers de réfugiés, et les spolier au passage du peu qui leur restait. La voie maritime a été également ré-ouverte, là aussi, en sortant les exilés des lieux provisoires où ils avaient trouvé refuge.
Les “loups gris” ultra- nationalistes ont même provoqué des chasses à l’homme en différents endroits pour ce faire, sans masque aucun.
D’autres populations chassées par la guerre ont été promises à jouer le rôle de bouclier humain officiel, dans la zone tampon réclamée par conquête en Syrie par le régime de Turquie. Cela servira aussi les intérêts des mêmes, avides d’épuration ethnique anti-kurde. Erdogan continue d’exiger des fonds européens et un quitus pour cette politique d’invasion.
Qu’en disent “objectivement” les médias mainstream ?
Quelles sont les premiers effets de cette instrumentalisation des réfugiés ?
En Grèce, tout d’abord, les autorités se saisissent du chantage d’Erdogan, et se font passer pour de bons élèves de la politique européenne en matière de “gestion des flux migratoires”, en repoussant violemment la migration forcée. (Un mort aujourd’hui sous les tirs des militaires grecs). Pour cela, ces mêmes autorités laissent les identitaires nationalistes d’Aube dorée faire le travail de “remise à l’eau” sur les îles… Ce processus, qui était une politique de l’extrême droite en Italie il y a peu, s’accompagne d’une demande à l’UE de moyens supplémentaires.
Mais on voit toutes les extrêmes droites européennes se saisir du sujet, et ainsi valider le chantage du régime turc. Passer du contrôle d’un virus à celui des migrants envahisseurs devient idéologiquement facile, en période de peur d’épidémie et de port du masque.
Le continent européen a déjà connu cette assimilation entre migrations et terrorisme. Le cheminement est le même.
Derrière le masque, c’est le fascisme qui respire sa haine et attend son heure
Qui comprendra, alors que par racisme, l’extrême droite fustige la Turquie, dans un même élan, elle lui emprunte son ultra-nationalisme, exprimé par le même Erdogan et soutenu par une vague intérieure hystérique.
Dans la guerre en Syrie, tous les ingrédients qui bouillonnent fabriquent des démons, à partir des restes de tout ce qui pourrissait dans la région, derrière les Etats-nation en crise.
Et, sans aller très loin, lorsqu’une intellectuelle et écrivaine comme Asli Erdogan écrivait de prison début décembre 2016 “De nombreux signes indiquent que les démocraties libérales européennes ne peuvent plus se sentir en sécurité alors que l’incendie se propage en leur proximité. La ‘crise démocratique’ turque, qui a été pendant longtemps sous-estimée ou ignorée, pour des raisons pragmatiques, ce risque grandissant de dictature islamiste et militaire, aura de sérieuses conséquences. Personne ne peut se donner le luxe d’ignorer la situation, et surtout pas nous, journalistes, écrivains, académiciens, nous qui devons notre existence même à la liberté de pensée et d’expression...”, elle ne faisait qu’appeler à percer la véritable nature des masques.
L’une des raisons de l’existence du magazine Kedistan tient à cette volonté d’expliquer inlassablement que la Turquie et la Mésopotamie entretiennent avec le continent européen depuis quelques siècles, et tenons nous-en seulement au dernier, des dialectiques politiques fortes qui mériteraient mieux qu’un regard orientaliste du libéralisme mondialisé.
Enfin, si je peux me permettre un conseil de lecture : La violence et ses masques — Notes préparatoires