De retour de Patagonie, je partage ici, le communiqué de mon amie Soledad Cayunao, activiste mapuche de la communauté Lof Cayunao, avec laquelle j’ai passé plusieurs mois, et de fait expérimenté les problèmes, de violences et menaces subies par son peuple…
Le 18 octobre prochain, la communauté sera devant le tribunal, pour défendre leurs droits à la terre et à l’existence… Vous comprendrez leur combat et leur difficultés en lisant le texte qui suit. Dans un message très récent, Soledad m’écrivait “Notre audience se rapproche, et nous n’avons toujours pas réussi à réunir l’argent pour rémunérer un avocat”.
J’aurais voulu vous appeler à offrir votre solidarité, mais, bien qu’ayant fait tout notre possible ici et là-bas pour trouver un moyen d’ouvrir une cagnotte rapidement, et selon les camarades, les transferts bancaires étant très compliqués, nous avons renoncé.
Je vous sollicite alors, pour à minima, relayer leur appel. Leur donner de la visibilité est aussi un soutien important.
La parole est à Soledad…
“Nous sommes le Lof Cayunao, une communauté Mapuche située à Alto Río Chubut, Province de Río Negro, Puel Mapu, aujourd’hui appelée Patagonie Argentine. Nous revendiquons ce vaste et prospère territoire comme nôtre.
Dans les années 1870, nos ancêtres Mapuche ont été dépossédés de leur territoire, comme des milliers de familles dans tout le Wallmapu (territoire ancestral des Mapuche des deux côtés de la chaîne de montagnes). Dans les années 1880, alors que les campagnes militaires contre mon peuple touchaient à leur fin, projet politique d’extermination planifié par l’ambition du conquérant, nos ancêtres ont commencé à revenir pour retrouver leur mode de vie.
Notre arrière-grand-père Fernando Cayunao Pinda et son frère, survivants de ce massacre, retournent dans les quelques territoires sûrs où ils pouvaient planifier une nouvelle vie. Cet endroit, situé sur les pics où la rivière Chubut prend sa source, était autrefois un territoire luxuriant entre l’Arroyo Las Minas et l’Arroyo Las Horquetas. Ils y ont élevé leurs familles et, au fil des ans, ont prospéré en maintenant une vie en contact avec le mapu (terre). Lorsque leurs enfants ont grandi, mon arrière-grand-père leur a donné une partie de ses animaux et leur a donné une partie de cet endroit pour y vivre avec leur famille. L’un de ces fils était mon grand-père.
Mais depuis lors, nous avons toujours été des enfants de Mapuche dépossédés. Le projet de l’État argentin n’a jamais envisagé notre présence et notre existence. Ils ont non seulement pris nos terres mais ont également appliqué des politiques de destruction de nos modes de vie, de notre langue, de nos liens avec le lieu. Ils sont venus avec leurs barrières de barbelés, leurs pins, leur propriété privée, leur police répressive… Ils ont anéanti les plantes ancestrales et médicinales, les animaux, les sources d’eau… Nous n’avons plus de vie digne. Le déracinement forcé n’a jamais cessé. Je ne peux plus enseigner à mes enfants ce que j’ai appris et vécu lorsque j’étais enfant.
Nos familles sont présentées jour après jour devant des tribunaux qui nous accusent d’être des usurpateurs de notre propre territoire. La justice d’État semble avoir été créée de telle manière qu’elle nous est inaccessible. Elle nous prive de notre droit naturel tout en exigeant que nous nous conformions aux règlements imposés par la société winka (chilienne). Il nous refuse le droit à notre propre éducation alors qu’il nous impose la scolarisation de nos enfants sous un régime étranger. Évoquer notre lutte dans l’arène judiciaire implique notre pauvreté. Notre développement économique sur le territoire est violé et impacté, car nous devons constamment le quitter à chaque fois que nous sommes accusés et convoqués au tribunal.
Cependant, nous n’avons pas renoncé à résister, nous n’avons pas renoncé à notre mode de vie, nous n’avons pas renoncé à protéger les sources de plusieurs rivières que des millionnaires des capitales étrangères veulent aujourd’hui s’approprier en complicité avec l’État argentin. Ces rivières que nous protégeons de la contamination apportent une eau vitale à pratiquement toute la province de Chubut et à une grande partie de Río Negro.
Ceux qui administrent les provinces sont ceux qui font des affaires avec des entreprises privées dans les territoires, à tel point qu’ici les sources et les lagunes se sont complètement asséchées, suite au boisement en pins, une espèce non indigène qui acidifie les sols, tuant la végétation locale.
Aujourd’hui, alors que nous avons toujours un ordre d’expulsion contre nous, que nous sommes confrontés à deux procès et que les propriétaires nous menacent de mort et nous violent de plus en plus, nous menons un projet de réparation de l’espace territorial. Nous sommes Mapuche, notre existence est directement liée à l’espace que nous habitons, un espace qui englobe le vivant et le spirituel, c’est pourquoi nous avons l’obligation de contribuer à rétablir son harmonie en supprimant toutes les plantations de pins et en replantant des espèces indigènes.
Mais, en attendant, notre lutte devant les tribunaux est absolument inégale, nous n’avons pas d’avocats, nous n’avons pas l’argent pour avoir une défense efficace et l’État restreint chaque jour un peu plus l’application des droits constitutionnels que ce pays a lui-même statué en matière de droit indigène. Il n’y a pas de justice ici, il n’y a qu’un appareil judiciaire fait de pouvoir politique et d’affaires. Aujourd’hui, des centaines d’entre nous sont criminalisés et poursuivis, y compris pour meurtre, pour avoir voulu rester sur le territoire de nos ancêtres.
Nous demandons que la société dans son ensemble nous écoute, qu’elle soit nettoyée de tant de fausses informations répandues par les médias, qui ne font que distiller la haine parmi notre peuple et ne lui permettent pas de voir que nous résistons pour défendre le fleuve Chubut, ses affluents, la forêt, les animaux. Si nous ne le faisons pas, ils vont le détruire.
Soledad Cayunao
Membre du Lof Mapuche Cayunao, Alto Río Chubut, Puelmapu.
e‑mail : solecayu1985@gmail.com
La bande annonce de mon prochain documentaire…
Le Lof Mapuche Cayunao est situé à Arroyo Las Minas, Alto Río Chubut, province de Río Negro. La communauté lutte pour protéger les sources du fleuve Chubut qui sont menacées par un projet de la principauté du Qatar : monopoliser des zones stratégiques d’importants réservoirs d’eau douce, un élément vital qui fait défaut sur le territoire du Qatar.
Caméra : Sadık ÇELİK / Montage : Diego MARIN / Post-Production : Felipe NIETO / Musique : Anahi Rayen MARILUAN / Directeur : Sadık ÇELİK / 2022
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