Per­pé­tu­ité aggravée pour Osman Kavala et 18 ans pour 7 autres per­son­nes accusées dans le 2e procès Gezi.

Osman Kavala, homme d’af­faires et défenseur des droits qui a été accusé d’avoir “organ­isé et financéles man­i­fes­ta­tions de Gezi de 2013, a été con­damné à la réclu­sion à per­pé­tu­ité aggravée, lors de l’au­di­ence d’hi­er (25 avril 2022). Sept autres accusés ont été con­damnés à 18 ans de prison dans ce même procès pour avoir “aidé” ce crime.

L’af­faire con­cer­nant les man­i­fes­ta­tions anti-gou­verne­men­tales dans tout le pays en 2013 a été rejugée après qu’une cour d’ap­pel ait annulé les acquit­te­ments de l’an­née dernière. Ce nou­veau procès rend donc des ver­dicts à par­tir d’une théorie de com­plot pour car­ac­téris­er un mou­ve­ment social.

Les avo­cats de la défense affir­ment que l’acte d’ac­cu­sa­tion ne con­tient aucune preuve con­crète et est unique­ment basé sur des pré­somp­tions émis­es par le procureur.

L’un des juges s’est révélé être un ancien can­di­dat par­lemen­taire poten­tiel de l’AKP actuelle­ment au pouvoir.

Les sept autres accusés ont été con­damnés à 18 ans de prison pour avoir “aidé” Kavala dans son pseu­do “com­plot con­tre l’Etat”.

Un appel à la man­i­fes­ta­tion a été lancé ce jour mar­di 26, pour 19h à Istan­bul, dans le quarti­er Bey­oğlu, près de Tak­sim, devant la TMMOB (Union des cham­bres d’ingénieurs et d’ar­chi­tectes de Turquie). La foule était déjà sur place bien avant l’heure du ren­dez-vous, pour scan­der  “Ce n’est qu’un début, la lutte continue !”

Pour rappel…

Dès 2015, des per­son­nes ayant par­ticipé aux “événe­ments de Gezi” furent con­damnées.

Un nou­veau procès Gezi avait repris le 21 mai 2021, après que la Cour d’ap­pel a annulé les ver­dicts d’ac­quit­te­ment pronon­cés par le tri­bunal lors du 1er procès. Arrêtés pen­dant plus de 1 200 jours, l’homme d’af­faires et défenseur des droits Osman Kavala ain­si que les autres accusés ont donc com­paru devant le juge de la 30e cour pénale lourde d’Is­tan­bul à Çağlayan pour avoir “ten­té de ren­vers­er le gou­verne­ment”. Voici un bref aperçu du proces­sus judiciaire :

Qui a été jugé ?

Osman Kavala, Mücel­la Yapıcı, Can Ata­lay, Tay­fun Kahra­man, Ali Hakan Altı­nay, Yiğit Aksakoğlu, Yiğit Ali Ekmekçi, Çiğ­dem Mater Utku et Mine Özer­den, qui ont été acquit­tés lors du pre­mier procès ; et Can Dün­dar, Mehmet Ali Alab­o­ra, Ayşe Pınar Alab­o­ra, Gökçe Tüylüoğlu, Han­dan Meltem Arıkan, Han­zade Hik­met Ger­miyanoğlu et İnanç Ekmekçi, dont les dossiers ont été séparés, mais ont ensuite été re-fusionnés.

Bien qu’ac­quit­té lors du pre­mier procès Gezi, Osman Kavala avait été main­tenu der­rière les bar­reaux de la prison de Silivri, à la périphérie d’Is­tan­bul. Yiğit Aksakoğlu a égale­ment passé 220 jours der­rière les bar­reaux pour ce procès Gezi.

Qui étaient les parties lésées ?

Dans le procès Gezi, où les défenseurs des droits avaient été acquit­tés, les mem­bres du cab­i­net du 61e man­dat, créé en 2011, ont été désignés comme les par­ties plaig­nantes lésées dans l’acte d’accusation.

Sur la liste des par­ties lésées fig­u­raient le Pre­mier min­istre de l’époque, Recep Tayyip Erdoğan, les vice-pre­miers min­istres de l’époque Bülent Arınç, Ali Baba­can, Beşir Ata­lay, Bekir Boz­dağ, Emrul­lah İşler et les min­istres de l’époque Binali Yıldırım, Fat­ma Şahin, Ege­men Bağış, Nihat Ergün, Faruk Çelik, Erdoğan Bayrak­tar, Ahmet Davu­toğlu, Tan­er Yıldız, Suat Kılıç, Meh­di Eker, Hay­ati Yazıcı, Muam­mer Güler, Cevdet Yıl­maz, Ömer Çelik, Mehmet Şimşek, Nabi Avcı, İsm­et Yıl­maz, Vey­sel Eroğlu, Mehmet Müezzi­noğlu, Zafer Çağlayan et Sadul­lah Ergin.

Après avoir fondé le Par­ti du futur, Ahmet Davu­toğlu a annon­cé qu’il se reti­rait des dossiers des affaires pénales liées “aux crimes com­mis” con­tre lui per­son­nelle­ment, notam­ment des procès pour injures, en tant que par­tie lésée.

Le prési­dent du par­ti DEVA, Ali Baba­can, a égale­ment déclaré : “Je ne suis pas un plaig­nant dans le procès Gezi, ni une par­tie inter­venante. Pen­sant qu’ils étaient lésés, le pro­cureur a écrit un par un les noms de tous les mem­bres du gou­verne­ment de l’époque.”

gezi

Bey­oğlu, Istan­bul, aujour­d’hui. Image extraite de la vidéo Twit­ter d’Ayşen Şahin @temcikterelelli

De quoi les accusés étaient-ils accusés ?

Dans le pre­mier acte d’ac­cu­sa­tion de 657 pages, Gezi a été défi­ni comme “une insur­rec­tion pour un coup d’É­tat”. Les accusés ont été accusés d’avoir “organ­isé et financé les man­i­fes­ta­tions”. Ils ont été inculpés de “ten­ta­tive de ren­verse­ment du gou­verne­ment”, “dégâts matériels”, “dégâts causés aux lieux de culte et aux cimetières”, “vio­la­tion de la loi sur les armes à feu, les couteaux et autres out­ils”, “pil­lage aggravé” et “vio­la­tion de la loi sur la pro­tec­tion des biens cul­turels et naturels.”

En annu­lant les acquit­te­ments, la cour d’ap­pel a égale­ment exigé qu’une plainte pénale soit déposée con­tre les accusés au motif qu’ils ont “vio­lé la loi no. 2911″ sur les réu­nions et manifestations.

Selon l’acte d’ac­cu­sa­tion, 16 accusés risquaient séparé­ment entre 606 ans à 2 970 ans de prison.

Le premier procès

En juil­let 2013, 26 per­son­nes, dont Mücel­la Yapıcı de la Cham­bre des archi­tectes et Ali Çerke­zoğlu de l’Or­dre des médecins d’Is­tan­bul, ont été arrêtés. Bien qu’ils aient été libérés suite à leurs déc­la­ra­tions, les défenseurs des droits ont fait l’ob­jet d’une action en jus­tice pour “fon­da­tion et direc­tion d’une organ­i­sa­tion” en mars 2014. Tous les accusés ont été acquit­tés lors du procès qui a suivi devant le 33e tri­bunal pénal de pre­mière instance d’Is­tan­bul le 29 avril 2015.

Par la suite, il a été enten­du que le pro­cureur Muam­mer Akkaş menait une enquête con­tre les per­son­nes actuelle­ment en procès. Muam­mer Akkaş est égale­ment la per­son­ne qui a don­né l’in­struc­tion de met­tre sur écoute les télé­phones des défenseurs des droits. Cepen­dant, il a été licen­cié dans le cadre d’une enquête sur les opéra­tions du 17 au 25 décem­bre 2014, et a fui la Turquie.

Le pro­cureur d’Is­tan­bul, Yakup Ali Kahve­ci, a repris le dossier après Muam­mer Akkaş. L’en­quête, qui com­pre­nait pour­tant égale­ment les preuves recueil­lies par Akkaş, s’est achevée en 2019; la pre­mière audi­ence a eu lieu le 24 juin. Arrêté dans l’at­tente de son procès, Yiğit Aksakoğlu avait été libéré lors de cette audi­ence. Quelques jours après la deux­ième audi­ence, le Con­seil des juges et des pro­cureurs (HSK) a changé la com­po­si­tion du con­seil du tri­bunal chargé de l’affaire.

En con­séquence, Galip Mert Perk a été nom­mé juge prési­dent et Tal­ip Ergen en tant que mem­bre du con­seil d’ad­min­is­tra­tion. Alors que le HSK n’a pas changé le lieu de ser­vice du haut respon­s­able Ahmet Tarık Çiftçioğlu, qui s’é­tait pronon­cé en faveur du “main­tien de l’ar­resta­tion” d’Os­man Kavala et de Yiğit Aksakoğlu, le mem­bre du con­seil du tri­bunal qui avait exprimé une opin­ion dis­si­dente au déci­sion con­nexe a été con­fiée à un autre tribunal.

Bien des péripéties et des change­ments de juges et con­seil des juges ont donc eut lieu tout au long de l’instruction.

Exam­i­nant la requête indi­vidu­elle d’Os­man Kavala, la Cour européenne des droits humains (CEDH) avait ren­du son arrêt de vio­la­tion de droit le 10 décem­bre 2019 et avait décidé qu’Os­man Kavala devait être libéré immédiatement.

Lors de l’au­di­ence finale de ce pre­mier procès, le 18 févri­er 2020, tous les prévenus, à l’ex­cep­tion de ceux qui se trou­vaient à l’é­tranger, ont été acquit­tés des infrac­tions qui leur étaient reprochées. Mal­gré cet acquit­te­ment et l’ar­rêt de la Cour européenne des droits humains, Osman Kavala avait de nou­veau été arrêté, avec un autre chef d’inculpation.

Pourquoi ont-ils été jugés à nouveau ?

Suite aux acquit­te­ments dans le procès Gezi, le prési­dent et prési­dent du Par­ti de la jus­tice et du développe­ment (AKP), Recep Tayyip Erdoğan, a pris la parole lors de la réu­nion de groupe de son par­ti. Visant Kavala, il a déclaré : “La per­son­ne qui a provo­qué Gezi était der­rière les bar­reaux. Ils ont essayé de l’ac­quit­ter par une manœu­vre.” Peu de temps après cette déc­la­ra­tion, le Con­seil des juges et des pro­cureurs (HSK) a lancé une enquête con­tre les trois juges qui étaient mem­bres du con­seil de la 30e Cour pénale lourde d’Istanbul.

Le bureau du pro­cureur a égale­ment fait appel des ver­dicts d’ac­quit­te­ment. Le pro­cureur pub­lic Edip Şahin­er a donc exigé que les acquit­te­ments soient annulés.

La 3e cham­bre pénale de la Cour régionale de jus­tice d’Is­tan­bul, la cour d’ap­pel, a annulé les déci­sions d’ac­quit­te­ment ren­dues par le tri­bunal local, la 30e cour pénale d’Is­tan­bul, le 22 jan­vi­er 2021. Se référant aux accu­sa­tions portées con­tre les accusés dans l’acte d’ac­cu­sa­tion, le tri­bunal a jus­ti­fié son annu­la­tion en indi­quant que les élé­ments de preuve tels que “les mes­sages des accusés sur les réseaux soci­aux, les déc­la­ra­tions de presse et les slo­gans scan­dés” (sic) n’ont pas été pris en compte pour ren­dre la décision.

Le deuxième procès

L’au­di­ence finale du deux­ième procès s’est déroulée en deux ses­sions les 23 et 25 avril 2022. Osman Kavala, homme d’af­faires et défenseur des droits humains, main­tenu en prison pen­dant qua­tre ans et demi mal­gré un ver­dict de la CEDH, a donc été con­damné à la réclu­sion à per­pé­tu­ité aggravée pour “ten­ta­tive de ren­verse­ment du gou­verne­ment” mais il a été acquit­té d’ ”espi­onnage”.

Mücel­la Yapıcı, Çiğ­dem Mater, Hakan Altı­nay, Mine Özer­den, Can Ata­lay, Tay­fun Kahra­man et Yiğit Ali Ekmekçi ont été con­damnés à 18 ans de prison pour avoir “aidé à ce crime”.

Réactions

Amnesty Inter­na­tion­al a dénon­cé les peines de prison dans l’af­faire des man­i­fes­ta­tions de 2013 au parc Gezi.

La déci­sion de jus­tice d’hi­er (25 avril) dans l’af­faire con­cer­nant les man­i­fes­ta­tions du parc nation­al de Gezi en 2013 a sus­cité des cri­tiques de la part des respon­s­ables de l’U­nion européenne (UE), du Par­lement européen et de l’Allemagne.

Nacho Sánchez Amor, rap­por­teur du Par­lement européen sur la Turquie, et Sergey Lagodin­sky, chef de la délé­ga­tion par­lemen­taire UE-Turquie, ont pub­lié une déc­la­ra­tion commune.

Josep Bor­rell, le vice-prési­dent de la Com­mis­sion européenne et le haut représen­tant de l’UE pour les affaires étrangères, a dénon­cé le juge­ment dans un post Twit­ter. “La con­damna­tion à per­pé­tu­ité d’Os­man Kavala par le tri­bunal turc, ain­si que les lour­des peines de prison pour d’autres accusés, mon­trent une dureté max­i­male”, a‑t-il écrit.

La France a offi­cielle­ment demandé l’a­ban­don des charges con­tre le détenu et sa libéra­tion immédiate.

La min­istre alle­mande des Affaires étrangères, Annale­na Baer­bock, a égale­ment pub­lié une déc­la­ra­tion écrite , affir­mant que le juge­ment était en “con­tra­dic­tion fla­grante” avec les normes de l’É­tat de droit et les oblig­a­tions inter­na­tionales de la Turquie, aux­quelles elle s’est engagée en tant que mem­bre du Con­seil de l’Eu­rope. Le min­istre a appelé à la libéra­tion immé­di­ate de Kavala.

Dans une déc­la­ra­tion écrite , le porte-parole du départe­ment d’É­tat améri­cain, Ned Price, a déclaré que les États-Unis étaient “pro­fondé­ment trou­blés et déçus” par le ver­dict du tri­bunal d’hi­er (25 avril) dans le procès Gezi.

On le voit, alors que le régime turc pou­vait espér­er que tous les regards étant tournés vers l’Ukraine, et le Prési­dent de Turquie impliqué dans les ten­ta­tives de “négo­ci­a­tions”, il n’en est rien. Mais on peut pour­tant penser que ces “con­damna­tions” des ver­dicts ne seront pas suiv­ies d’ef­fet pour autant.

De pre­mières mobil­i­sa­tions se font jour en Turquie. Il est à pari­er que la pseu­do oppo­si­tion qui pré­pare les futures élec­tions va chercher à les tem­pér­er, d’au­tant que le par­ti HDP de son côté sera vent debout con­tre ce ver­dict, bous­cu­lant les “alliances” pour les prochaines prési­den­tielles. A suiv­re donc.

Ils furent nom­breux les citoyens turcs à vouloir au début des années 2000 “essay­er” un nou­veau régime. Le nation­al­isme de l’an­cien leur parais­sait de nature à tem­pér­er les ardeurs “islamistes” du nou­veau. C’est aujour­d’hui une syn­thèse des deux qui pro­duit ce type de juge­ment qui assim­i­le un soulève­ment pop­u­laire, comme le fut le mou­ve­ment de Gezi, à un com­plot, et con­damne des fig­ures d’op­po­si­tion à la prison à vie ou des peines de 18 années.


Image à la Une, extraite de la vidéo Twit­ter @gezisavunmasi

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