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Lorsque deux plumes se posent sur un tapis de feuilles mortes, par un matin d’hiv­er, elles peu­vent dia­loguer à pro­pos de l’oiseau qui les a perdues.

C’est ce qu’en­tre­prend là Del­phine Durand, à pro­pos des mots que Suna Arev dépose à inter­valle réguli­er sur son cahi­er de nouvelles.

Lisez l’une et l’autre, et vous com­pren­drez com­ment les maux peu­vent devenir mots de mémoire et poésie.

 

Suna

nous n’au­ri­ons pas dû naître
notre peau était un secret

nous étions les Alévis
seule­ment des enfants agrandis
pour être la mémoire de l’éternité
et arrachés
fendus comme l’arbre
seuls comme la terre
lorsque la pluie ne descend pas
indique-moi la route

je vais m’é­ten­dre sur
sur une fraîche branche
au milieu du désert
vers le grand torrent
et mes os seront par­faits, dépouillés
par des touch­ers élevés depuis ma naissance

il te fau­dra découper mon corps
pour notre repas de noces
un linceul violacé
noué sur les épaules

je ren­tr­erai pleine de vie

car nous sommes morts hier

mar­chons
arrachés
et fendus comme l’arbre
je vais caress­er les tach­es de léopard de la lune
les ombres cir­cu­lent en moi
nous n’au­ri­ons pas dû naître pour être regardés
avec pour oblig­a­tion de pleurer
de mourir
juste assez de terre pour enter­rer mon âme
l’om­bre et la pous­sière de l’esprit

cette peau qui passe par toutes les mains du temps
faite de fron­tières pro­longées jusqu’au chant
je ne crois pas qu’ait dis­paru du monde
sa beauté
moi je vous présente ma poussière
et cet élan der­rière ma langue
ren­due forte et pure
celle qui est recher­chée pour être enfermée
dans l’empire de la parole des autres

lève-toi Suna
il faut par­tir loin
l’e­spoir brûle en toi
sans plus de bruit
que la loin­taine fatigue de l’étoile


Image : Naz Oke, 2022.

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Delphine Durand
Poétesse
His­to­ri­enne de l’art, mys­tique, poète, lais­sons au pluriel mag­nifique les mots de l’invisible… Del­phine est ontologique­ment présente dans la seule per­durable présence de l’art. Après des études de théolo­gie et de philoso­phie, elle choisit l’histoire de l’art mais son cœur ner­va­lien l’entraine vers des univers fan­tas­ma­tiques et sauvages, et enfin la poésie où nous sommes tous libres.