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Les chas­seurs, gibecières en mailles accrochées à la cein­ture, tra­versent les champs de bet­ter­aves. Dans leurs filets, des cailles, liées par une pat­te à un fil, sont rangées, tête en bas… Leurs plumages, rous­sis par les chevrotines, sont pour par­tie dégar­nis. Chas­seurs de cailles, chas­seurs de cailles, comme vous êtes mauvais…

- Où peut donc aller un pau­vre oiseau ? “Il se réfugie dans un buis­son” dis­ait ma mère. “Que celui qui tire l’oiseau ait la vie courte comme un oiseau” dis­ait mon père…

C’est pour plus aisé­ment exploiter les gens, dont les sources de vie sont enlevées d’en­tre leurs mains, dans cet immense désert de mis­ère, que les pou­voirs ont lais­sé ces ter­res autant arriérées, si dému­nies, sans solu­tion. Et c’est pour cela que les gens en par­tirent, pour se réfugi­er, comme des cailles, dans une touffe de buis­son. Quant aux vies de ceux qui tirent sur ce peu­ple pau­vre, elles furent plus longues que celles des oiseaux. Eux, par­tirent, et ceux qui les oblig­èrent à par­tir, con­tin­uèrent le pil­lage, le saccage, le massacre.

Comme illes sont venus en nom­bre… Ils ont marché sur les pas de ceux qui sont venus avant. Chaque nou­v­el arrivant a fait venir sa com­pagne, son com­pagnon, ses ami.e.s, ses con­nais­sances. Qui a su, a prévenu les autres. Ils sont venus, elles sont arrivées sans cesse… Avec leurs nou­veaux vis­ages, avec leur vies ardues, ils sont arrivés comme des per­les de chapelets filées, l’une après l’autre… Leur nom, leurs pen­sées, leur iden­tité, leurs croy­ances, étaient peut être dif­férents, mais leur espoirs et leur sort furent les mêmes…

Ceux qui sont venus, ont aus­si fait une place aux suiv­ants. C’é­tait des per­son­nes pau­vres et per­sé­cutées, c’é­tait la con­ti­nu­ité d’un même exil qui se déroulait, sous le même ciel.

Zeynep et sa mère Cemile arrivèrent d’un vil­lage mon­tag­nard, elles aus­si. Pourquoi ne viendraient-elles pas ? Kuzuo­va n’é­tait-il pas assez grand pour suf­fire à tout le monde, et infi­ni ? Il suff­i­sait d’avoir des bras bien­veil­lants pour enlac­er tout le monde.

Il y avait là la mai­son d’un tra­vailleur d’Alle­magne, à deux étages, grande, spa­cieuse. Dans l’om­bre de ses murs peints en jaune et rouge, il y avait aus­si une petite mai­son en terre, vide, en ruines. Une mai­son de terre, vide, blessée, qui regar­dait à tra­vers les sou­venirs du passé. Qui d’autre que ceux qui l’ont quit­tée aupar­a­vant, pour­rait savoir, de quels sou­venirs, de quelles souf­frances prove­nait sa fatigue ? Comme le pau­vre qui marie le pau­vre, cette mai­son en terre a ouvert ses bras à Zeynep et sa mère. N’é­tait-ce pas une mai­son vide ? Fille et mère pour­raient vivre là gra­tu­ite­ment dans cette mai­son, jusqu’à leur mort. Quel mal feraient-elles, à qui ? Deux oiseaux dému­nis, deux cœurs aban­don­nés, elles pour­raient sur­vivre. Quel mal, à qui ?

Saleté, araignées, nids de souris une fois débar­rassés, fuites de toit réparées, murs blan­chis à la chaux, la mai­son devint le refuge de deux oiseaux mis­éreux. Elle ouvrit ses bras jusqu’au bout, pour que leur vie puisse recom­mencer. La chem­inée de cette mai­son, qui en avait trop vécu, trop vu, com­mença, à nou­veau, à fumer…

Cemile avait-elle 40 ans ? Comme elle était rav­agée, flétrie. Elle était de taille moyenne, et si mai­gre. Comme si, à peine tu toucherais son nez, la vie la quit­terait… Zeynep, elle, de petite taille, brune, la tig­nasse telle­ment brûlée sous le soleil, on aurait cru qu’une boule de feu l’avait tra­ver­sée, en léchant ses cheveux. En vérité, Zeynep n’est pas laide. Elle a de grands yeux, un vis­age tout rond, et, entre ses lèvres char­nues, deux dents de devant écartées. Elle rit tout le temps. Ni l’une ni l’autre ne savent lire et écrire. Cemile ne par­le pas un seul mot en turc. Zeynep appren­dra vite. Ici les jeunes généra­tions par­lent tou­jours en turc. La langue mater­nelle des jeunes généra­tions est coupée à ras la racine, le cli­mat est au mutisme obligé. Zeynep en est à peine à ses 20 ans. Elle se promène tou­jours pieds nus, une épaisse couche de crasse par dessus. On dit qu’elle est sim­plette, mais elle ne l’est pas. De l’ig­no­rance, de la soli­tude, de la mis­ère, et du fait de n’avoir rien vu de la vie, elle tient des atti­tudes bizarres.

Ce n’est pas que c’est une tra­di­tion, mais par dénue­ment, comme chaque nou­v­el arrivant ici devient inévitable­ment le pâtre du vil­lage, la pre­mière année, Zeynep et sa mère dev­in­rent bergères. Elles firent paître les bêtes des vil­la­geois, elles piét­inère dans les chardons sous le soleil brûlant, elles aban­don­nèrent leurs corps fatigués à la nature, à l’été, à l’om­bre des arbres, aux ruis­seaux Ain­si, ont-elle à la fin épuisé leur tour.

Le vil­lage est bien­veil­lant, celles et ceux qui s’y réfugient sont protégé.e.s, les pau­vres, aidés. Alors, tout le monde y mit du sien. Cer­tains don­nèrent à la mère et à la fille, lit et cou­ver­ture, d’autres un poêle, des casseroles et assi­ettes, ou encore leurs vête­ments qu’ils n’u­til­i­saient pas. Le mari de Cemile était un de ceux qui était mort tôt. Elles apparte­naient désor­mais au lieu, dev­in­rent d’i­ci, et inscrivirent leur nom dans le reg­istres du muhtar. 1

Zeynep au village

Située dans le coin de celle de la mère et de sa fille, il y a une autre mai­son, à deux étages. Son pro­prié­taire est maçon, il s’ap­pelle Maître Cebrail, mais tout le monde le nomme Çakır2. Il a des yeux d’une drôle de couleur, ni noisette, ni bleu, tirant plutôt vers le jaune, une paire d’yeux au regard froid. Il a une douzaine d’en­fants. Sa femme s’est pen­due, il la bat­tait sans cesse, parce qu’elle aurait eu un amant. En vérité, à part sa pro­pre tribu, per­son­ne n’aimait ni ne respec­tait Cebrail. Partout où il allait, c’é­tait comme si l’âme de sa femme pen­due mar­chait der­rière lui.

Elle le suit comme une ombre. Chaque regard qui se pose sur Cebrail, remé­more inévitable­ment sa femme, “que celui qui jette la pre­mière pierre reçoive la pierre à son tour”, on dit.

Le fils ainé de Cebrail, Ahmet, vient tout juste de ren­tr­er du ser­vice mil­i­taire. Grand, beau, il a un tracteur Ford vert et une façon de s’y installer dessus… La fille qu’il veut, il peut l’épouser. De classe moyenne paysanne, Ahmet est un peu vic­time du “per­son­nage” de son père, qui jeta de la boue à sa femme, mais qui fait par­ler de lui pour avoir bat­i­folé avec quelques veuves du vil­lage. Cebrail est effrayant, et Ahmet est un novice qui suit la trace de son père.

Zeynep et sa mère se sont bien habituées au vil­lage. Toutes les deux tra­vail­lent comme tâcheronnes, elles arrivent à en vivre. Zeynep peut désor­mais par­ler un turc un peu mal­adroit. Elle s’est embel­lie aus­si, elle porte les robes col­orées don­nées par les unes et les autres, et ne quitte plus les miroirs… Elle mets des bar­rettes de gitane dans des cheveux rous­sis par le soleil. Zeynep est très heureuse, elle est dev­enue une belle d’amour, ses joues ont rosies, elle rigole toute seule, elle plonge dans des rêves d’avenir. Et aus­si, elle dis­parait souvent…

Elle dit à sa mère “On va venir deman­der ma main, bien­tôt. J’au­rai moi aus­si, un foy­er, à Kuzuova…” 

Ahmet lui, est très joyeux. Se taquinant entre jeunes, en rigolant, il dit d’un coup “savez-vous ce qu’est la meilleure chose dans ce monde ? La chair d’une caille sauvage”. Rires… Ensuite, il exprime son ent­hou­si­asme, sans aucune hési­ta­tion : “Le pain et la chair, pénétr­er de sa chair dans la chair”

Dans le vil­lage, il y a des bagar­res, à cause des champs, des petits soucis, les ressen­ti­ments survi­en­nent pour des choses sim­ples, mais jamais on a ren­con­tré un viol. Ou, peut être, a‑t-il été tu, et per­son­ne n’en a enten­du parler.

Qui donc est cette caille ? Com­ment est la chair d’une caille ? Qui est cette per­son­ne au cœur de caille, qui a aus­si le sort des cailles ? Qui ?

Zeynep dis­parait sou­vent dans la nuit. Une fois, deux, trois, cinq, ain­si passent les nuits. Ahmet couche avec Zeynep, en cachette, par ci, par là. “N’aie pas peur, enlève ta culotte, de toutes façons je vais t’épouser” dit-il. Il donne tou­jours l’e­spoir, qui se fait tou­jours attendre.

Tout con­tin­ua ain­si. Mais, ni le père de Ahmet, Cebrail, ne vint deman­der la main de Zeynep, ni Ahmet n’an­nonça cette rela­tion. Ensuite ? La suite ?  C’est que Zeynep est main­tenant enceinte de 7 mois…

Ahmet, dans une impasse, sup­plie son père depuis un moment “va deman­der cette fille” dit-il. Ce n’est pas qu’il aimerait Zeynep, mais il a peur d’être déshon­oré dans le vil­lage. Cemile elle, va-et-vient sur le chemin de la mai­son de Cebrail, comme elle irait à la fontaine, elle se jette à ses pieds. Mais Cebrail n’en démord pas. Elle sup­plie.… “Ne soit pas comme ça, qu’on règle cette affaire, avant que les gens le sachent”, mais Cebrail répond tou­jours néga­tive­ment “Non et non, je ne ferai pas entr­er cette folle dans ma mai­son”

Cemile par­la au muhtar, le muhtar à Cebrail, va-et-vient, allers-retours, mais rien n’y fit… Cemile n’avait plus d’e­spoir. Elle com­prit que Cebrail était toutes portes fer­mées, un puits noir et aveu­gle, où on se noie si on tombe.

Que voulez-vous que Cemile fasse ?

Elle pen­sa alors à ressus­citer une anci­enne tra­di­tion. Elle se lança, comme pour ten­ter une dernière chance, pour son­ner la porte de la con­science des villageois..

La culotte”, est une vieille tra­di­tion, dans laque­lle les vic­times d’in­jus­tice se réfugient, lorsqu’elles ne peu­vent exprimer, prou­ver qu’elles ont rai­son. C’est la dernière issue à ouvrir, pour porter le prob­lème devant la société, qui trou­vera peut être une solu­tion sans heurt. 3

Cemile mère de Zeynep

Dans le tan­tôt décli­nant, le soleil, s’é­tant endossé toute la fatigue de la journée, se pré­pare à pass­er sur l’autre ver­sant de la mon­tagne… A ces heures, le vil­lage est tou­jours frais, on entend les bruits les plus loin­tains, on se hâte de met­tre fin aux dernières tâch­es du jour.

C’est à cette heure là, dans le quarti­er haut, qu’é­cla­ta un raf­fut du diable.

Une voix de femme… Elle crie telle­ment, comme si quelqu’un était mort, et qu’elle hurlait des lamen­ta­tions, en déchi­rant sa poitrine. Une voix comme le vent qui gémit, aus­si lanci­nante, aus­si douloureuse.

Ahhh” dit ma mère, “chez qui le hibou a‑t-il ululé ?”. Le hibou, chez nous, est le por­teur de nou­velles de mort, c’est pour ça.

Cette voix est celle de la femme Cemile, si stri­dente, si forte, si haute per­chée. Elle crie des lamen­ta­tions, des malé­dic­tions, des injures à se laver la bouche. Elle vient en se tam­bouri­nant le corps. Cemile est une mai­gre brindille, un squelette en amas, lui reste-t-il une poitrine à martel­er ? Elle arrive en se frap­pant la poitrine…

Elle marche ain­si tout droit vers le café du village.

Devant, c’est le juge­ment dernier, qui avait enten­du la voix, était venu.

Si une balle atteignait Cemile sur le champ, il ne coulerait pas une seule goutte de sang. Elle s’est rai­die, ruis­se­lante de sueur.

Elle respire d’une telle façon, qu’on pour­rait croire que son coeur va s’ar­racher de sa place. Elle les regarde tous comme ça, et pose ses yeux fatigués, ses yeux implo­rant l’aide, sur le muhtar. Puis, elle tend ses mains, ses mains calleuses, ses mains noir­cies sous le soleil, vers le cor­don de son sarouel, et elle le retire avec fièvre.

Et elle se tient juste là, dans un caleçon de couleur fanée.

Ensuite, elle enroule le sarouel à la main, le fait tourn­er en l’air un ou deux coups, puis le jette devant les hommes, assis là.

Et elle dit en cri­ant : “Nous, n’avons per­son­ne, ce sarouel est votre hon­neur, prenez le et net­toyez votre honneur…”

Ain­si, Cemile, comme si elle avait con­fié une honte, un péché, là-bas, à ces hommes, se reti­ra, dans son caleçon, fatiguée, épuisée, et par­tit vers sa mai­son de mis­ère, comme une feuille qui pal­pite dans le vent…

Le temps s’é­coula ensuite comme de l’eau. Zeynep, dans cette mai­son, plia le genou devant sa mère, et accoucha d’un garçon. Un garçon sans nom.

Cemile a pris Zeynep et le bébé avec elle, et s’est ren­due au com­mis­sari­at. Elle por­ta plainte, pour viol, con­tre Ahmet, et con­tre Cebrail, père com­plice. Des échan­til­lons de l’ADN du bébé furent prélevés, envoyés à Ankara. Après tout, le bras de l’E­tat était long, il était obligé de pro­téger ceux qui subis­sent préjudice !

Ahmet fut envoyé en prison, devant tout le vil­lage, mains menot­tées. Pen­dant tout ce temps, il a sup­plié son père, genoux à terre, “laisse moi me mari­er, je suis déshon­oré” pleu­rait-il. “Je me mari­erai, ensuite je la lais­serai”… Bien sûr, où avait-t-on vu un homme riche qui tombe amoureux d’une pau­vre fille mis­éreuse ? Dans les con­tes, dans les films seule­ment, dans le réel c’é­tait totale­ment mensonge.

De l’autre côté, Cebrail chômerait-il ? Il fit route jusqu’à Ankara, trou­va les bonne per­son­nes, paya des pots de vin à l’E­tat. Il fit chang­er les échan­til­lons de l’ADN. Il fit sor­tir Ahmet de la prison. Il revint, d’un cœur léger, son coeur de pierre, rem­pli de vide. Ce vil­lage, depuis qu’il existe, n’a pas con­nu une autre per­son­ne avec un coeur autant de marbre.

Cebrail gagna le procès, il alla au marché des bêtes, acheta un tau­reau, un des plus robustes, des plus gras. Il fit venir le hod­ja de la mosquée, lui fit faire une belle prière. Ensuite, il frap­pa un couteau bien acéré au cou du tau­reau, fit couler le sang, il dédia sac­ri­fice à Ahmet. Aux yeux de la tribu, Ahmet fut dis­culpé, blanchi, le sac­ri­fice fut scel­lé. Tout fut fait, tout fut achevé.

Ensuite, Cebrail fit débiter le tau­reau, et dis­tribuer les morceaux aux plus pau­vres du vil­lage. A la mai­son, c’est un morceau de cuisse qui fut notre lot. Ma mère pré­parait le feu au foy­er, mon père ren­tra de son tra­vail de serf. Deux sacs de farine, posés l’un sur l’autre, un gros morceau de viande dessus. Il regar­da la viande. D’abord il sourit, et deman­da “ça vient d’où ?”.

Ma mère répon­dit, “maitre Cebrail a fait un sac­ri­fice”. Mon père s’agi­ta, ser­ra son poing, et mar­cha sur ma mère en cri­ant “et toi, tu l’as prise !?”. Ma grande soeur se mit tout de suite entre les deux. Mon père ne lev­ait jamais la main sur ma soeur.

C’est à dire que tu vas faire manger ça aux enfants ?” deman­da mon père.
Ma mère ten­ta de dire tout douce­ment, “c’est un sac­ri­fice du dieu, devrai-je le rend.….”, avant qu’elle finisse sa phrase, , “son sac­ri­fice ne compte paaaas !” vocif­éra mon père “c’est impur !”

Nous les petits, fuîmes dehors, morts de peur. La porte extérieur s’ou­vrit avec fra­cas, comme si on l’ar­rachait. Mon père sur­git, avec la viande qu’il avait saisie dans sa main, et l’a bal­ancée dans le champs vide attenant à notre maison.

Un peu plus tard, c’é­tait des chiens qui se querel­laient sur la viande…

Manque de soin et de nutri­tion, mau­vais­es con­di­tions de vie, le fils sans nom de Zeynep, ne vécut pas longtemps. Au bout d’un ou deux mois il s’éteignit. La mère Cemile, ne sup­por­t­ant pas tout ce qui s’é­tait passé, tom­ba au lit… Son corps, qui pesait trois sous fon­dit, dépérit.

Un matin aux aurores, la nou­velle de sa mort tom­ba dans le village.

Ahmet se replia. Il se maria avec une fille d’Alle­magne, de sa tribu, et s’in­stal­la en Europe. Au vil­lage, per­son­ne ne lui don­nait plus crédit, il ne pou­vait plus sor­tir dans le pub­lic. Chaque regard deve­nait une balle, venait se planter en lui. Des années, de longues années plus tard, il mar­cha à nou­veau sur sa terre natale, de retour une fois. Il ne put même pas quit­ter la mai­son pater­nelle. Et plus jamais ne revint.

Aux yeux du vil­lage sort était réglé, il était désor­mais un ban­ni. Il eut un mariage mal­heureux, mal­gré tous leur efforts, les traite­ments, sa femme ne tom­ba jamais enceinte. Ahmet ne put plus jamais être père. Tou­jours écrasé, effacé, tou­jours dans le secret, il a dépen­sé sa vie, élimée par les remords et la culpabilité.

Cebrail vit tou­jours, comme si de rien n’é­tait, tou­jours aus­si repous­sant. Il n’y a plus per­son­ne de sa généra­tion, tous sont morts.

Quant à Zeynep, sa vie dans ce vil­lage, avec des allers et des retours, a duré 4 et 7 ans. Ces années, la longueur de la vie d’une caille.

Elle repar­tit vers les vil­lages de mon­tagne d’où elle venait, pour ne plus jamais revenir. Elle épousa un homme âgé. Elle vit avec ses deux fils, diplômés de l’université.

L’en­droit où se trou­vait la mai­son où Cemile et Zeynep vivaient, est devenu aus­si plat qu’une aire de battage.

Comme s’il n’y avait  jamais eu de vie, comme s’il ne s’é­tait rien passé, tout plat…


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Suna Arev
Autrice
Née en 1972 à Uzun­tar­la (Elazığ).Dans une famille de huits enfants, elle est immergée dès son plus jeune âge, par­mi les tra­vailleurs agri­coles à la tâche. Tel un miroir qui date de son enfance, la péri­ode du coup d’Etat mil­i­taire du 12 sep­tem­bre 1980 a for­mé sa vie poli­tique. Diplômée de l’École pro­fes­sion­nelle de com­merce d’Elazığ, elle a vécu, en grandeur nature les com­porte­ments fas­cistes et racistes dans sa ville. Mère de qua­tre enfants, depuis 1997, elle habite en Alle­magne, pour des raisons politiques.
Suna Arev was born in 1972 in the vil­lage of Uzun­tar­la, Elazığ dis­trict. From a fam­i­ly of eight chil­dren she became one of the agri­cul­tur­al work­ers at an ear­ly age. The mil­i­tary coup d’état of Sep­tem­ber 12 1980 served as a mir­ror in shap­ing her polit­i­cal out­look. After obtain­ing a diplo­ma from the Elazığ Pro­fes­sion­al Busi­ness School, she expe­ri­enced the full force of fas­cist and racist behav­iours in her town. She has lived in Ger­many since 1997, for polit­i­cal rea­sons. She is the moth­er of four children.