Türkçe Nupel | Français

Petite note avant lecture

Le titre orig­i­nal de l’ar­ti­cle est “Pepuk kuşları”, lit­térale­ment oiseaux Pepuk. Pepuk en zaza­kî, c’est le coucou. Comme dans la langue française, cette appel­la­tion cor­re­spond à l’ono­matopée, basée sur le chant des coucous (cuculidés). Suna Arev fait référence à une légende qui se base sur une his­toire qui se serait déroulée dans la région de Der­sim. Cette légende est tou­jours con­tée, trans­mise d’une généra­tion à l’autre, dans les ter­res où vivent des Zazas, tels que Var­to, Erz­in­can, Kiğı, ou encore en d’autres lieux, à pop­u­la­tion orig­i­naire de Dersim…

akoub : gundelia tournefortiiL’his­toire enreg­istre de petites vari­a­tions d’un lieu à l’autre, mais, en résumé :

Il était une fois, un petit garçon et une petite fille dont la mère est morte. Leur père se remaria. Un jour, la belle-mère envoya les enfants à la mon­tagne, pour y cueil­lir de l’ak­oub (Gun­delia tourne­for­tii). Le garçon déter­rait les akoubs et les met­tait dans dans un sac accroché au cou de sa soeur. Toute la journée les enfants firent ain­si la cueil­lette. Mais, par mal­heur, le sac était troué, et les akoubs cueil­lis tombaient sur le chemin, petit à petit. Leurs efforts furent vains… Lorsque le garçon décou­vrit le sac vide, il pen­sa que sa soeur les avait mangés, et la tint pour respon­s­able. Dev­inant la colère de leur belle-mère, ils eurent peur, et elle se fâcha encore davan­tage. Sa soeur, pour se défendre, lui dit “si tu ne crois pas que je ne les ai pas mangés, ouvre mon ven­tre et regarde”. Le garçon s’y appli­qua. Il vit bien que sa soeur n’y était pour rien, mais il causa ain­si sa mort. Regret­tant sa faute, avec douleur, il com­mença à sup­pli­er le dieu “fais de moi un coucou, libère moi sur ces mon­tagnes, pour que j’ap­pelle ma soeur, autant que la terre tourn­era”… Son voeu exaucé, il devint un coucou. Il se per­cha sur un arbre, au chevet de sa soeur. Depuis ce jour là, ce garçon vole d’une mon­tagne à l’autre, pour se dénon­cer. Et, chaque print­emps débute, avec la lev­ée des akoubs, par le triste chant du coucou.

On dit que le pepuk chante ces mots en zaza­kî : “phepu” (coucou), “kheku” (papa), “Kam kerd” (qui l’a fait?), “Mı kerd” (c’est moi qui l’ai fait), “Kam kişt” (qui a tué?), “Mı kişt” (c’est moi qui ai tué), “Kam şüt” (qui l’a lavée [la dépouille]?), “Mı şüt” (c’est moi qui l’ai lavée), “Ax! Ax! Ax!” (Ah, ah, ah).


Les oiseaux pepuk

Le lieu qu’on nomme Karaçor est un océan. Et ce sont les pepuk qui le sur­v­o­lent le plus… Ces mon­tagnes infran­chiss­ables ne s’ou­vrent pas en chemin, pour laiss­er pass­er ne serait-ce qu’une poignée de civil­i­sa­tion… Au print­emps, la riv­ière de Mun­zur y est coléreuse, elle coule hargneuse et bour­rue, et prend vies et biens. Mais que peut être sauvé d’en­tre les mains de l’hu­main ?  Mun­zur frappe le ven­tre des mon­tagnes, arrache les racines des chênes, traîne les troncs, les trans­for­ment en radeaux…

Ne touche pas, a dit Tur­so, ne touche pas !”. “Ne touche même pas la moin­dre feuille verte sur une branche. Si vivre sur ces ter­res nous a été per­mis, allons, descen­dons dans son coeur, faisons de notre part un droit.”

Tur­so et sa femme Şemse allèrent alors au coeur de l’eau de Mun­zur. Ils ramassèrent des troncs de chêne, ils trans­for­mèrent les grèves de la riv­ière en de petites collines. Ensuite, ils portèrent tout ce bois, sur leur dos, jusqu’à Kha­jar (Kaçar). Une fois là-bas, ils les couchèrent au soleil, pour le séch­er. Ils creusèrent des puits dans le ven­tre de la terre noire et rocailleuse. Ils y entassèrent les troncs de chêne et y mirent le feu. Et le feu, devenu brais­es, ils le cou­vrirent de terre.

Si la terre est la plus grande source de richesse, c’est avec leur sueur qu’ils l’of­frirent aux habi­tants de Karaçor.

Elle est belle la val­lée, là-bas au loin”. Voilà Harput. Tur­so endosse le char­bon de chêne, et se met en route, d’ar­rache pied.

C’est en avançant trois jours et trois nuits sur les mon­tagnes de Maz­girt, qu’il arri­va à Harput. Il ver­sa le char­bon endossé devant les nota­bles de Harput… Le char­bon de chêne, à cette époque-là, était rare et pré­cieux : robuste, durable… Il offre un feu à longue vie, l’in­trou­vable den­rée des assem­blées ami­cales. La chaleur de l’ami­tié, de la fraternité…

Tur­so Golle, est téméraire, per­sévérant. Il a juré de vir­er la mis­ère par la porte, il est déter­miné. De plus, Şemse, sa femme, aus­si robuste que lui, est à ses côtés, alors, ce n’est rien d’ar­riv­er à Harput, en trois jours, trois nuits de marche, habil­lés de hail­lons, les pieds nus et blessés.

Tur­so prit les bil­lets de Livres, les rangea dans sa poitrine. Les Livres voulaient dire, pain, Les Livres voulaient dire ter­res, elles voulaient dire, amour, espoir…

Karaçor n’a pas de route. Pas de route, mais beau­coup de famine, de mis­ère, d’ignorance…

Il y a eu ceux qui lui coupèrent la route, prirent les Livres, espoir endor­mi dans sa poitrine… Il ne lui res­ta plus que sa vie. Mais il n’a pas renon­cé. Il allait sor­tir de l’asservisse­ment et pour ça il n’avait pas d’autres moyens, et sans ça, il n’y aurait pas de lendemain.

Les nota­bles de Harput, plièrent genoux devant la lutte de Tur­so, l’ad­mirèrent. Ils se réu­nirent et dirent “comme tu as fait un si long chemin pour venir à notre porte, pieds nus, genoux écorchés, nous ne te ren­ver­rons pas avec tes mains tra­vailleuses vides… Tiens, pour toi, un fusil et aus­si un cheval… Blanc comme le lait de ta mère, qu’il te soit halal, comme le lait de ta mère. Va, hon­ore Karaçor comme de saintes eaux.”

Tur­so les prit. Le cheval devint ses pieds, le fusil, sa vie… Il frap­pa la pioche sur la poitrine de la terre. La terre don­na vie. Elle engloutit la mis­ère de Tur­so le serf.

Il fit bâtir une mai­son en pier­res, s’abri­ta à l’om­bre de sa mai­son. Il acheta des champs, com­mença à manger du pain de blé, à la place de pain de sorgho…

Le cou­ple Şemse et Tor­so était une porte tou­jours ouverte à Karaçor. Une vaste porte tra­ver­sée par le mis­érable, l’in­vité du hasard, les pîrs, les derviches…

Ils avaient aus­si un Com­pagnon1, d’o­rig­ine Hozat, et plus proche qu’un frère…

Tur­so et Şemse, eurent chaque fois une fille. La vie ne leur don­na que des filles, pas de garçon, ou peut être n’a-t-elle pas voulu le leur don­ner. Şemse, affligée, cri­ait l’ab­sence d’un fils, tel un oiseau pepuk“Ah, dis­ait elle, que j’ai un fils, même s’il meurt juste après la nais­sance. Que cesse de par­ler la langue acérée de ces igno­rants et crétins…”

Leurs filles ne vécurent pas longtemps non plus. Les unes furent pris­es par les déluges, les autres par la tem­pête. La rouge­ole, la var­i­ole en emportèrent d’autres. Ils enter­rèrent ces filles côte-à-côte, dans des tombeaux touts frais du cimetière de Kaçar…

Seules trois filles survécurent. Trois filles résis­tantes, comme Kaçar et Harput.

Şemse est encore grosse. Elle va don­ner à Tur­so un garçon. Un garçon pour faire taire les uns et les autres… Elle a la joie en elle. Elle a le print­emps en elle. Elle a des espoirs robustes comme des troncs de chêne, en elle…

C’est juste la péri­ode des battages. Le temps est chaud, l’air est sus­pendu, le silence de mort. Les fau­cilles sont aigu­isées, les champs de blé sont fer­tiles, ils devien­dront lait, pour don­ner vie à la mis­ère, ils devien­dront pains, ils embaumeront Kaçar de fumée, depuis les foyers.

Et peut-être un garçon…

Leur ainée, Emine, elle, a à peine 16 ans. Cheveux de nuit, yeux de nuit, peau blanche de lait comme leur cheval. Elle tient sa taille de son père, un jeune arbre élancé… Elle tient son courage de ses deux par­ents, elle n’a point peur du féo­dal­isme. Etre “comme un homme”, elle veut faire tout ce que l’homme fait…

cheval blanc

Le temps est chaud, l’air est rouge braise… Le cheval est grincheux,  il a soif, sa corde attachée au piquet, il se cabre… Son père dit à Emine, “amène le donc à la source, qu’il s’y abreuve pour que le feu dans son coeur s’éteigne”.

Emine attrape le licol du cheval. La source n’est pas loin. Il suf­fit de tra­vers­er la colline, voilà la source, glacée. C’est l’of­frande du pays de Harput : “bois donc, bois à l’abon­dance, l’eau est la vie, bois”

Elle enroule le licol autour de sa main Emine. Voilà la source, voilà l’eau… Le cheval boit à plus soif. La source est blot­tie dans les arbres, l’om­bre est fraiche, l’eau jail­lit par­mi les roches au sol.

Alors que le cheval boit, un oiseau prend son envol depuis une branche. Un bat­te­ment d’ailes, un cri… Quel oiseau est-ce ? Un pepuk peut être ?

Le cheval prend peur, son humeur est mau­vaise, et il s’en­fuit, pen­sant que le sen­tier pier­reux et épineux est le plateau de Harput. Il se soulève au trot, à faire pleur­er la source.…

La main d’Em­ine est liée au licol, elle n’ar­rive pas à le défaire. Comme une biche de la mon­tagne, elle court un peu près du cheval… Epuisée, elle tombe sur le sen­tier pier­reux et épineux de Kaçar. Ces ter­res sur lesquelles le cheval traina Emine, lais­sèrent ses plaies vers­er son sang, elles sont pour la plu­part les champs que ses par­ents ont acquis avec leur sueur. La sueur ver­sée sur la route, de Harput à Kaçar.

Le cheval fait des efforts pour se débar­rass­er du poids qu’il traine. Emine tente de sauver sa vie, d’une pierre à l’autre, d’un cri à l’autre. L’air est chaud, l’air est désert, l’air est une lamen­ta­tion, comme les oiseaux pepuk

Şemse est grosse… Qu’il soit un garçon.

L’air est chaud, le peu­ple mis­érable. Le peu­ple est sans route, sans école. Le peu­ple est “l’autre”, il n’est même pas enfant rapporté.

Le cheval court, Emine se meurt, la vie s’en va, lam­beaux par lambeaux…

Şemse est enceinte, “qu’il soit un garçon, dit elle, qu’il soit un garçon, même s’il meurt juste après sa nais­sance”. L’air est chaud, l’air est lourd, l’air est vide, esseulé. Le cheval court. Emine part en lam­beaux, comme Hacı Lok­man

Sur les arbres, des pepuk

Şemse est grosse…

Lire la suite


Soutenez Kedis­tan, FAITES UN DON.

Nous entretenons “l’outil Kedistan” autant que ses archives. Nous tenons farouchement à sa gratuité totale, son absence de liens publicitaires, et au confort de consultation des lectrices et lecteurs, même si cela a un coût financier, jusque là couvert par les contributions financières et humain (toutes les autrices et auteurs sont toujours bénévoles).
Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Suna Arev
Autrice
Née en 1972 à Uzun­tar­la (Elazığ).Dans une famille de huits enfants, elle est immergée dès son plus jeune âge, par­mi les tra­vailleurs agri­coles à la tâche. Tel un miroir qui date de son enfance, la péri­ode du coup d’Etat mil­i­taire du 12 sep­tem­bre 1980 a for­mé sa vie poli­tique. Diplômée de l’École pro­fes­sion­nelle de com­merce d’Elazığ, elle a vécu, en grandeur nature les com­porte­ments fas­cistes et racistes dans sa ville. Mère de qua­tre enfants, depuis 1997, elle habite en Alle­magne, pour des raisons politiques.
Suna Arev was born in 1972 in the vil­lage of Uzun­tar­la, Elazığ dis­trict. From a fam­i­ly of eight chil­dren she became one of the agri­cul­tur­al work­ers at an ear­ly age. The mil­i­tary coup d’état of Sep­tem­ber 12 1980 served as a mir­ror in shap­ing her polit­i­cal out­look. After obtain­ing a diplo­ma from the Elazığ Pro­fes­sion­al Busi­ness School, she expe­ri­enced the full force of fas­cist and racist behav­iours in her town. She has lived in Ger­many since 1997, for polit­i­cal rea­sons. She is the moth­er of four children.