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En Turquie, avec la ren­trée et le retour à l’é­cole, les étu­di­antEs se sont trou­véEs face à de sérieuses dif­fi­cultés de loge­ment. Une infla­tion inimag­in­able, l’aug­men­ta­tion démesurée des loy­ers, la fer­me­ture des foy­ers privés pour cause de pandémie, se sont ajoutés à l’in­suff­i­sance de foy­ers publics, et une énorme carence d’héberge­ment a accueil­li les étudiantEs.

Ces jeunes, notre avenir de 2023…”

Depuis plusieurs jours des cen­taines de jeunes occu­pent les parcs, dans de nom­breuses villes de la Turquie, y passent la nuit et protes­tent. Ain­si est né le Mou­ve­ment Barı­namıy­oruz, et le hash­tag #Barı­namıy­oruz, lit­térale­ment : “nous ne pou­vons pas nous loger”

Un petit échan­til­lon des nom­breuses pho­tos partagées par le mouvement.

  • Moda Istanbul #Barınamıyoruz
    Moda, Istan­bul. @Barınamayanlar

Erdoğan a réa­gi à ce pro­pos récem­ment et annon­cé qu’en 20 ans, c’est à dire de l’an­née sco­laire 2001/2002 à celle de 2021/2022, le nom­bre de lits était passé de 180 milles, à 750 milles. Mais le Prési­dent a passé sous silence, le nom­bre d’é­tu­di­antEs, qui lui aus­si est en forte hausse.

Au début de cette année sco­laire, 815 mille 365 étu­di­antEs se sont inscritEs à l’u­ni­ver­sité. En total­ité 3 mil­lion 800 mille jeunes font des études sec­ondaires. Les foy­ers publics, d’une capac­ité de 793 milles lits, sont loin d’être suff­isants. Par ailleurs, il existe actuelle­ment 4500 foy­ers privés ou appar­tenant à des fon­da­tions. Avant la pandémie, il y en avait 6000, mais avec les dif­fi­cultés économiques 25% sont fermés.

Pourtant pas de maison, ni de foyer…

Il y a peu, des pho­tos des “apparte­ments” pro­posés aux étu­di­ants ont fait le tour des réseaux soci­aux. Des cham­bres-plac­ards, con­tenant seul un lit, sans fenêtre, sou­vent dans un état délabré… avec des prix exorbitants.

turquie appartement etudiant placard

En Turquie, il existe la “bourse KYK“1accordée pour l’héberge­ment des étu­di­antEs. Cette année, cette bourse représente 650 Livres turques men­su­els (équiv­a­lent de 62 €). Les bour­siers sont logés dans des foy­ers et versent env­i­ron 450 LT de cette aide, pour le loy­er. En quelque sorte l’E­tat donne d’une main et reprend de l’autre main, sans se souci­er de com­ment les jeunes doivent sur­vivre avec les 200 LT, soit env­i­ron 20 €.

leman students étudiants

Cou­ver­ture de la revue satirique Leman, du 29 sep­tem­bre 2021. “Ma cou­ette, c’est l’u­nivers”.

Celles et ceux ayant eu “la chance” d’avoir accès aux foy­ers publics, dénon­cent égale­ment les con­di­tions mal­saines, aus­si bien d’in­salubrité, que psy­chologiques, notam­ment le manque de lib­erté de penser et d’ex­pres­sion… Dans le sil­lon du régime, par exem­ple la plu­part des foy­ers doivent avoir un psy­cho­logue attitré, et pro­posent aux étu­di­antEs, des imams affec­tés à ce rôle.

Les étu­di­antEs, revendiquent des solu­tions con­crètes : con­struc­tion de nou­veaux foy­ers, mais aus­si mise en place d’un pla­fond pour les loy­er dans le parc locatif étu­di­ant, une allo­ca­tion loy­er, la con­sti­tu­tion d’un mécan­isme d’in­spec­tion des foy­ers privés, la réqui­si­tion des foy­ers tenus par des sectes religieuses, et la pos­si­bil­ité d’é­tudi­er sans se deman­der tous les jours “où vais-je dormir ce soir, que vais-je manger demain ?”

Je n’ar­rive pas à croire qu’en 2021, je proteste pour le loge­ment uni­ver­si­taire” dit une pan­car­te. “Alors que les grat­te-ciels trans­for­ment les villes, les immeubles de Toki 2 ne cessent de s’align­er, est-il si dif­fi­cile de con­stru­ire des loge­ments pour les étudiantEs ?”

Hier, à Istan­bul, dans le quarti­er Kadıköy, et à Izmir, la police est inter­v­enue encore une fois. Une cinquan­taine d’é­tu­di­antEs à Istan­bul, et une trentaine à Izmir ont été placéEs en garde-à-vue. “Est-ce un crime de dormir dans un parc ?” demandent-ielles…

Suite aux arresta­tions, le min­istre d’in­térieur Süley­man Soy­lu n’a pas man­qué de s’ex­primer à son tour… Anadolu Ajan­sı, l’a­gence d’in­for­ma­tion offi­cielle du régime s’en fait relai : Soy­lu annonce “2 mille 243 per­son­nes ont par­ticipé aux actions menées dans 24 villes. Seules 310 de ces per­son­nes sont des étu­di­ants. La qua­si majorité n’ont pas de requête pour obtenir une bourse”. Et il con­clut, “Il a été révélé que ceux-là appar­ti­en­nent plutôt à des groupes mar­gin­aux de gauche. Six d’en­tre eux sont des mem­bres du PKK/KCK, six de MLKP, cinq de TKKÖ, deux de TKP Kıvıl­cım, un de FETÖ/PDY, un de TKİP, un de DKP, et qua­tre mem­bres de LGBTI, qui m’ai­ment beaucoup.”

En résumé : tous des terroristes.

Ce qui nous sépare des organ­i­sa­tions ter­ror­istes et des struc­tures van­dales, c’est le Droit” pré­cise Soylu.

Belle blague.

Sans oubli­er une petite pique sur les forces extérieures qui sont si jalous­es de la for­mi­da­ble Turquie nou­velle, et qui ne vivent que pour la détru­ire : “ne prenez pas l’Oc­ci­dent pour un tem­ple” dit-il…

Allez, une autre cou­ver­ture de Leman, en sou­tien aux étu­di­antEs… Elle est du 22 sep­tem­bre dernier,  et devance bien les pro­pos du min­istre Soylu… 

- Il n’y a pas d’ap­part en dessous de 5 mille livres ? Nous avons 650 livres de bourse. Com­ment voulez-vous qu’on paye ce loy­er frère ?
- Rien ne vous suf­fit ! Vous méprisez 650 livres ? Vous êtes des ter­ror­istes ou quoi ?
(Cliquez pour agrandir)

Lorsque Soy­lu s’adresse aux étu­di­antEs en se gaus­sant de leur atti­rance pour l’Oc­ci­dent, il botte en touche et sait par­faite­ment que sur ce plan du loge­ment et des con­di­tions d’é­tudes supérieures, les poli­tiques néo-libérales ont réduit la con­di­tion étu­di­ante à la pré­car­ité. Il n’ig­nore pas non plus le coût exor­bi­tant des emprunts famil­i­aux aux Etats Unis. Il peut donc jouer sur du velours, en désig­nant à la fois les “mécréants” qui ne font pas mieux et le mirage occi­den­tal. Ce rel­a­tivisme per­met de faire oubli­er que c’est l’ensem­ble de la fail­lite économique que ces étu­di­antEs dénon­cent de fait, en met­tant en avant leurs con­di­tions de vie.

Ce mou­ve­ment de “nuits à la belle étoile” pour­rait-il cristallis­er au delà des rangs étudiants ?

 

Les forces vives de la jeunesse en Turquie sont érup­tives. On l’avait vu déjà avec la nom­i­na­tion par le régime des dirigeants d’U­ni­ver­sité, qui avait été forte­ment con­testée. La jeunesse est aus­si un enjeu poli­tique que se dis­putent régime et oppo­si­tion kémal­iste. Peut-on s’at­ten­dre à un abcès de fix­a­tion que “l’op­po­si­tion” va cultiver ?

Ce serait restrein­dre con­sid­érable­ment ce qui tra­verse cette jeunesse étu­di­ante, allant du “ser­vice mil­i­taire oblig­a­toire”, et donc du nation­al­isme exac­er­bé, aux ques­tions de lib­erté d’ex­pres­sion, en pas­sant par les reven­di­ca­tions LGBTI et les exi­gences des fémin­istes, con­tre ce patri­ar­cat absolu, entre autres désirs d’é­man­ci­pa­tion d’une jeunesse qui n’épouse guère le pro­jet de la Turquie éter­nelle, pour majorité.

Le fait que ce soit le Min­istre de l’In­térieur qui réponde en per­son­ne à cette con­tes­ta­tion démon­tre bien la ner­vosité du régime AKP face à tout sujet de con­tes­ta­tion, alors que se pour­suiv­ent arresta­tions, gardes à vues quo­ti­di­ennes con­cer­nant jour­nal­istes ou opposants, et que les inter­minables procès con­tin­u­ent en toile de fond.

Les étu­di­antEs sous “leur cou­ette étoilée”, sont déter­minéEs à con­tin­uer leur action. Vous pou­vez suiv­re les développe­ments, les soutenir, en vous abon­nant au compte Twit­ter du Mou­ve­ment #Barı­namıy­oruz sur @barinamayanlar.

 


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