Türkçe Duvar | English Duvar | Français

Tra­duc­tion de l’ar­ti­cle d’İrf­an Aktan paru sur Duvar en turc et en anglais le 13 sep­tem­bre 2021

 

Un enfant qui fait du vélo autour de sa mai­son. Un étu­di­ant se ren­dant à l’é­cole à pied avec son sac à dos. Un vieil homme de 90 ans qui essaie de tra­vers­er lente­ment la rue. Une vieille femme se dirigeant vers la mai­son de son voisin. Deux petits frères endormis dans leur cham­bre avec des berceuses. Un groupe d’ado­les­cents errant autour du marché de la ville.

Cha­cune de ces per­son­nes a ren­con­tré des véhicules blind­és con­duits à grande vitesse, dans des zones rési­den­tielles, qui les ont écrasées à mort. De nom­breuses per­son­nes ont été blessées et lais­sées avec des hand­i­caps per­ma­nents. Les per­son­nes décédées sont trop nom­breuses pour être énumérées.

Cer­taines per­son­nes qual­i­fient ces “col­li­sions” de véhicules blind­és d’ ”acci­dents” ou dis­ent : “Que fait l’en­fant dans la rue sur un vélo ?”. Une bonne ques­tion à pos­er est la suiv­ante : “Com­ment se fait-il que ces ‘acci­dents’ ‘coïn­ci­dent’ tou­jours avec les Kurdes ?”

On peut égale­ment se deman­der : ceux qui con­duisent ces véhicules con­sid­èrent-ils les per­son­nes qui se trou­vent devant eux comme des objets et non comme des êtres humains ? Pourquoi les respon­s­ables de ces “acci­dents” béné­fi­cient-ils sys­té­ma­tique­ment de l’im­punité ? Quelle est la rai­son du silence de “l’op­po­si­tion” sur cette question ?

Le fait que le prési­dent Erdoğan ait frap­pé un enfant à la tête — soi-dis­ant pour plaisan­ter — lors d’une céré­monie d’in­au­gu­ra­tion dans la ville de Rize, sur la mer Noire, la semaine dernière, a sus­cité une vive réac­tion [vidéo]. Cet inci­dent a été con­sid­éré comme sym­bol­ique de la façon dont le gou­verne­ment abor­de les enfants. D’autre part, il existe une autre forme de vio­lence, une vio­lence sys­té­ma­tique qui se déroule à l’autre bout du pays. L’indig­na­tion col­lec­tive, lorsqu’un enfant est frap­pé à la tête, ne se man­i­feste pas pour les enfants kur­des qui sont écrasés à mort par des véhicules blind­és — sauf dans cer­tains seg­ments de la société.

Tout comme l’in­ci­dent où sept Kur­des ont été mas­sacrés dans la ville de Konya, en Ana­tolie cen­trale, et un autre inci­dent où Mihraç Miroğlu, 7 ans, a été écrasé à mort avec sa bicy­clette, il n’y a eu aucun mes­sage de con­doléances de la part de “l’op­po­si­tion”, et encore moins une réac­tion forte. [NDLR : le 6 sep­tem­bre le par­quet d’Idil a libéré le polici­er à l’origine de la mort de Mihraç]

Cou­ver­ture du revue satyrique LeMan du 6.9.2021
- “Atten­tion, il y a un enfant à vélo à droite !”
- “Il y en a plus !…”
(En dessous, l’in­for­ma­tion sur la mort de Mihraç)

L’op­po­si­tion a été silen­cieuse lorsque des Kur­des ont été tués à Konya, lorsqu’un enfant a été écrasé par un véhicule à İdil, lorsqu’une femme a été abattue à Yük­seko­va, et lorsque des députés et des maires ont été empris­on­nés pen­dant des années. Cepen­dant, “l’op­po­si­tion” a été très active lorsqu’elle a essayé d’at­tein­dre les util­isa­teurs de Tik­Tok, de la “généra­tion Z”, en promet­tant une réduc­tion sur la taxe spé­ciale de con­som­ma­tion (ÖTV).

Il est évi­dent que plus l’op­po­si­tion reste silen­cieuse, plus ceux qui sont au volant de ces blind­és de mar­que Panz­er met­tent le pied sur l’accélérateur.

Exam­inons les restes de ces “acci­dents de véhicules blindés”.

Maziye Aslan a été tuée dans la province de Hakkari, au sud-est du pays, le 29 avril 2009, alors qu’elle avait 7 ans ; Diren Basan a été tué à Şır­nak le 4 juin 2010, alors qu’il avait 10 ans. Yusuf Yılan a été tué à Erzu­rum-Karayazı le 13 juin 2012, alors qu’il avait 9 ans ; Sinan Saltıkalp a été tué à Cizre le 29 août 2013, alors qu’il avait 17 ans. Cuma Özka­plan a été tué sur la route d’Ur­fa à Antep le 15 avril 2016, alors qu’il avait 17 ans. Bünyamin Bayram a été tué à Şır­nak-Cizre le 12 juin 2016, alors qu’il était âgé de 6 ans. Taha Kılıç a été tué à Van le 24 juil­let 2016, alors qu’il était âgé de 4 ans. Musa Duman a été tué à Van le 30 août 2016, à l’âge de 17 ans. Naciye Özdemir a été tuée à Der­sim le 6 sep­tem­bre 2016, à l’âge de 71 ans.

Şem­set­tin Çak­makçı, Rah­mi Sefalı, Necdet İşözü, Ser­hat Bul­dan et Aydın Tümen ont été tués très jeunes, le 8 octo­bre 2016, lors de tirs aléa­toires sur des civils, depuis un véhicule blindé, dans le cen­tre du marché de Yüksekova.

Hakan Sarak a été tué à Cizre le 24 octo­bre 2016, alors qu’il était âgé de 5 ans. Rashid Oso, orig­i­naire de Kobanê, a été tué le 1er août 2017 à l’âge de 7 ans dans le quarti­er Okmey­danı d’Is­tan­bul. Berfin Dilek a été tuée le 9 févri­er 2017 à Mardin-Dargeçit alors qu’elle était âgée de 7 ans.

Kerem Arslan a été tué sur l’au­toroute Siirt-Bat­man le 4 mars 2017, à l’âge de 34 ans. Okan İnce, Bahadır Beya­zlıoğlu et une autre per­son­ne dont le nom n’est pas disponible ont été tués sur la route reliant İdil à Cizre le 21 mars 2017. Sami Uçan a été tué à Van le 27 avril 2017. Hatun Elhu­man a été tué le 27 avril 2017, à l’âge de 55 ans, dans la rue Gevran, dans le cen­tre de Diyarbakır.

Muhammed Yıldırım avait 7 ans et son frère Furkan 6 ans lorsqu’ils ont été tués le 4 mai 2017, alors qu’ils dor­maient dans leur lit à Şır­nak, Silopi, lorsqu’un véhicule blindé a ren­ver­sé le mur de leur cham­bre sur eux.

Muhammed et Furkan Yıldırım dormaient…

Pak­ize Haz­ar a été tuée le 14 juin 2017, à l’âge de 70 ans, lorsqu’elle a été écrasée par un véhicule blindé à Diyarbakır-Lice. Le 20 juin 2017, Mah­mut Öner, 74 ans, Mevlüt Dağ­taş, 64 ans, Abdül­hamit Dağ­taş, 63 ans, Fikri Demir­baş, 53 ans, et Zeynel Demir­baş, 53 ans, ont de nou­veau été tués lorsqu’ils ont été per­cutés par un véhicule blindé. Il s’agis­sait des vil­la­geois qui vis­i­taient la mai­son des Haz­ar pour présen­ter leurs condoléances.

Remzi Menteşe et un garçon de 8 ans ont été tués sur la route de Diyarbakır à Bingöl le 19 juin 2017. Felek Batur a été tué à Siirt le 19 octo­bre 2017, alors qu’il était âgé de 6 ans. Burak Ilhan a été tué à Bat­man le 5 novem­bre 2017, alors qu’il était âgé de 5 ans. Mehmet Tek­tekin est mort le 6 juin 2018, à l’âge de 75 ans, à Diyarbakır, deux jours après avoir été per­cuté par un véhicule blindé.

Ali Sez­er a été tué à Der­sim le 13 juin 2018, à l’âge de 92 ans. Efe Tek­tekin a été tué à Diyarbakır le 11 sep­tem­bre 2019, un an après son grand-père Mehmet Tek­tekin, alors qu’il avait 5 ans. Oktay Er a été tué le 23 sep­tem­bre 2019, à l’âge de 22 ans, dans le vil­lage de Gök­te­pe, à Der­sim-Maz­girt. Eyüp Kır­tay a été tué le 8 août 2021, à Bitlis-Ahlat, alors qu’il était âgé de 10 ans.

Enfin, Mihraç Miroğlu a été tué ce 3 sep­tem­bre 2021, à l’âge de 7 ans,  mort écrasé par un véhicule blindé, alors qu’il fai­sait du vélo devant sa maison.

Le lende­main, ce 4 sep­tem­bre, le min­istre de la Jus­tice Abdul­hamit Gül, s’ex­p­ri­mant lors du 18e con­grès des diplômés de l’I­mam Hatip d’Ön­der, a déclaré : “Nous com­bat­trons la men­tal­ité qui veut main­tenir le statu quo, ceux qui veu­lent reporter les fameux véhicules Toros blancs1et Aud­is noirs, les meurtres non réso­lus, jusqu’en 2023. Nous allons pour­suiv­re les réformes.”

Si le min­istre de la Jus­tice ne donne pas le sig­nal d’une lutte interne au sein du gou­verne­ment, il se moque de la sagesse du peu­ple. Ou est-ce le gou­verne­ment d’un autre pays, celui qui a rem­placé les célèbres véhicules Toros blancs par des véhicules blind­és et celui qui a reporté dans le futur les “affaires de chars non résolues” au lieu des affaires de meurtre non résolues, dis­ons en 2023 ?

Est-ce un gou­verne­ment étranger qui laisse pour­rir en prison des mil­liers de pris­on­niers poli­tiques, y com­pris des per­son­nes grave­ment malades ?

Celui-là même qui non seule­ment pro­tège les respon­s­ables de meurtres, mais tente de faire taire les proches des per­son­nes tuées avec des men­aces judiciaires ?

Ce gou­verne­ment ne per­met jamais au mécan­isme de jus­tice de fonc­tion­ner pour les crimes com­mis par ses pro­pres asso­ciés, une sit­u­a­tion véri­fiée par des avo­cats experts. Ce n’est pas aux gens ordi­naires de faire face à la manip­u­la­tion du gouvernement.

Emine Çağır­ga a résumé ce dés­espoir en dis­ant : “Peu importe à quel point nous sommes justes et inno­cents, ils déclar­ent tou­jours que nous sommes coupables.” Emine Çağır­ga est la mère qui a dû garder le corps de sa fille de 10 ans, Cemile, abattue devant chez elle en 2015, dans le réfrigéra­teur, pen­dant deux jours, avant de pou­voir l’en­ter­rer. Le 7 sep­tem­bre est l’an­niver­saire du meurtre de sa fille. “Depuis lors, a‑t-elle déclaré à l’A­gence de presse mésopotami­enne, chaque fois que nous ouvrons la porte du réfrigéra­teur, nous ressen­tons la même douleur, encore et encore.”

Muğ­dat Ay, tué à l’âge de 12 ans à Nusay­bin, en févri­er 2016. Il tenait encore ses billes…
Zehra Doğan, “Gev­er”. Mai 2018, prison de Diyarbakır, 144 x 92 cm, sty­lo bille, thé , sur servi­ette de bain. Pho­to ©Jef Rabillon

Nous pou­vons, par exem­ple, ignor­er les crimes com­mis pen­dant la péri­ode du cou­vre-feu, et ceux qui ont été abat­tus par des “balles qui ric­ochent” et ces enfants qui sont morts dans des explo­sions, à cause de matéri­aux de guerre non surveillés.

Depuis 2008, 52 per­son­nes ont été blessées et au moins 40 per­son­nes, dont 20 enfants, ont été tuées dans au moins 92 inci­dents impli­quant unique­ment des véhicules blind­és. Les auteurs de la qua­si-total­ité de ces inci­dents sont restés impu­nis. Dans cer­tains autres inci­dents, les auteurs ont presque été “récom­pen­sés”.

Si le par­ti au pou­voir, le Par­ti de la jus­tice et du développe­ment (AKP), peut sur­vivre à d’éventuelles élec­tions anticipées, con­traire­ment à la promesse du min­istre de la Jus­tice, il ne pour­rait trans­porter que des désas­tres poli­tiques, soci­aux, économiques et écologiques jusqu’en 2023. “L’op­po­si­tion”, quant à elle, sem­ble ne pas vouloir rompre son silence pour rompre la situation.

On ne pour­ra donc pas dire que le petit Mihraç Miroğlu, 7 ans, per­cuté et tué par un char, le 3 sep­tem­bre, sera la dernière vic­time de l’ère des Panzers.

 


İrfan Aktan a commencé le journalisme en 2000 sur Bianet. Il a travaillé comme journaliste, correspondant ou éditeur, à l’Express, BirGün, Nokta, Yeni Aktüel, Newsweek Türkiye, Birikim, Radikal, birdirbir.org, gazete.com. Il fut le représentant de la chaîne IMC-TV à Ankara.
Il est l’auteur de deux livres  “Nazê/Bir Göçüş Öyküsü” (Nazê/Une histoire d’exode), “Zehir ve Panzehir: Kürt Sorunu” (Poison et antidote : La question kurde). Il écrit actuellement à l’Express, Al Monitor, et Duvar.

Image à la Une : Le vélo de Mihraç Miroğlu

Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Auteur(e) invité(e)
Auteur(e)s Invité(e)s
AmiEs con­tributri­ces, con­tribu­teurs tra­ver­sant les pages de Kedis­tan, occa­sion­nelle­ment ou régulièrement…