Dernier same­di d’un mois de juil­let en manque d’été… Mal­gré la fraicheur je descends dans le jardin, café du matin à la main, ordi­na­teur sous le bras.

Il n’y a que le cou­ple d’o­liviers, pour­tant incon­gru en cette région, qui me rap­pelle que le soleil est là, quelque part, der­rière le rideau de nuages qui tapis­sent le ciel. Ses petites feuilles gris-vertes captent le moin­dre ray­on de lumière, et me les ren­voient comme de petits éclats de miroir, trans­for­més en de minus­cules lanternes féeriques.

Je m’in­stalle à la table, me mets devant mon écran et, entourée de quelques chats, je com­mence à lire mes cour­riels qui débor­dent. Le pre­mier clic est pour un mes­sage de Del­phine Durand ; la poétesse ren­naise, que j’ai con­nue parce qu’elle a eu la bonne idée de vis­iter l’ex­po­si­tion de ma pré­cieuse amie Zehra Doğan, à l’Opéra de Rennes en mars 2019. Une ren­con­tre entre la poésie et la pein­ture, si vis­cérale, qu’elle me dira plus tard “j’ai poussé cette porte, et les oeu­vres de Zehra m’ont envelop­pée instan­ta­né­ment, réveil­lant tout ce que j’avais emma­gas­iné de la cul­ture kurde, depuis toute petite”. Une ren­con­tre, une vraie…

Del­phine et moi, ce sera ensuite une ren­con­tre pour de vrai aus­si… La pre­mière con­ver­sa­tion sera au télé­phone, et je bus presque cha­cun de ses mots. Et, depuis, chaque échange est une nuée, d’un sujet à l’autre, au cœur de la vie, à dessin­er des con­stel­la­tions. Zehra est comme ça, elle pos­sède la magie de faire se ren­con­tr­er, de réu­nir les gens, même depuis une prison… Quant à Del­phine, elle a existé pour moi pen­dant longtemps, comme une force intan­gi­ble, comme voix, comme étin­celle, comme poésie. Et j’ai pu enfin ser­rer ce bel être dans mes bras, il y a peu. Ce fut la quin­tes­sence de l’é­mo­tion, l’amie-sœur d’une éter­nité, con­sti­tuée de pous­sière d’é­toiles, qui se matéri­al­i­sait enfin.

Donc, ce same­di matin de juil­let en manque d’été, j’ou­vre le mes­sage de Del­phine. “Con­nais tu cette musi­ci­enne kurde née en Iran et fille de poète? Elle est for­mi­da­ble. Elle porte la beauté et l’e­spoir. J’ai écrit un poème pour elle et pour Kedis­tan.” m’écrit-elle. La poème s’in­ti­t­ule “Sha­di Fathi”. J’al­lais donc la rencontrer.

Pre­mière vidéo au hasard, le vis­age doux de Sha­di, la voix céleste de Sha­di, les doigts mou­vants de Sha­di, et la musique de Sha­di qui tinte dans mon jardin. Rien d’é­ton­nant à ce que Sha­di veuille dire en per­san “la joie”. Dans mon juil­let assoif­fé de lumière, Sha­di a éclos comme un soleil.

Sur son site, elle est présen­tée comme “Vir­tu­ose du setâr, luth à long manche. Sha­di Fathi per­pétue l’héritage mil­lé­naire de la musique clas­sique per­sane, avec une expéri­ence de con­certiste au long cours et avec un lumineux sens de l’improvisation.

Dis­ci­ple du grand maître Dar­iush Talaï à Téhéran, elle maîtrise égale­ment les instru­ments à cordes tra­di­tion­nels tels que le târ ou le shouran­giz et fait vibr­er sa sen­si­bil­ité sur des per­cus­sions dig­i­tales comme le zarb ou plus par­ti­c­ulière­ment le daf, avec un style de jeu dans la lignée de la con­frérie Ghâderiyeh, du Kur­dis­tan Iranien.

Instal­lée en France depuis 2002, elle con­fronte dès lors sa musi­cal­ité fleurie aux esthé­tiques européennes et méditer­ranéennes, mul­ti­pli­ant les col­lab­o­ra­tions sur dis­ques et sur scène et nour­ris­sant son imag­i­naire sonore de la langue du poète per­san Hâfez ou de celle du con­tem­po­rain argentin Rober­to Juar­roz, tout autant que par les écrits du cinéaste iranien Abbas Kiarosta­mi ou les oeu­vres du pein­tre Hen­ri Matisse.

Avec ces inspi­ra­tions tutélaires, Sha­di tisse ce fil ténu qui, d’un trait, d’un mot, d’un regard ou d’une note, transperce la beauté et con­tient dans l’infini détail la puis­sance de l’universalité.”

Il y a des lieux, temps et dimen­sions, où les mots doivent céder la place à la langue uni­verselle de la musique. Pour que le jour s’ha­bille de chaude clarté, et que la nuit étin­celle de pluie d’étoiles…

Et je me tais.

Delâshena” —  Sha­di Fathi: setar, voix Bijan Chemi­rani: zarb, daf, udu

Extrait du disque “Delâshena” — Sha­di Fathi & Bijan Chemirani

Extraits du con­cert à l’Opéra de Lille — 02 juin 2021
Sha­di Fathi : setar, shouran­giz,  Zé Luis Nasci­men­to : percussions

 

Extraits du con­cert à l’Opéra de Lille — 02 juin 2021
Sha­di Fathi : setar, shouran­giz Zé Luis Nasci­men­to : percussions

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Pho­to : Muriel Despi­au / shadi-fathi.com

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.