Français | English

Lire les autres arti­cles de la série La bête immonde

Le fas­cisme n’est pas seule­ment une vio­lence nation­al­iste et un sys­tème poli­tique qui l’orchestrerait, mais bien une idéolo­gie à part entière, qui, quelque part, se théorise tou­jours en réponse à des crises, lorsque les ten­sions sociales, dues aux antag­o­nismes de classe d’un sys­tème qui per­dure sur les iné­gal­ités et les dis­crim­i­na­tions, ne peu­vent plus être maîtrisées que par des solu­tions qui con­finent sou­vent aux pop­ulismes iden­ti­taires. Ain­si ceux-ci se hissent au grand jour au pou­voir, y com­pris à tra­vers des insti­tu­tions dites de la “démoc­ra­tie” qui sont dévoyées.

Et ces théori­sa­tions idéologiques ont une matrice com­mune, dans laque­lle puisent régulière­ment des sys­tèmes de pou­voir en sur­sis, dans l’en­vi­ron­nement cap­i­tal­iste, depuis tou­jours. Fas­cisme et cap­i­tal­isme ont donc chem­iné ensem­ble dans l’his­toire humaine.

Le cap­i­tal­isme, l’ap­pro­pri­a­tion des richess­es, le détourne­ment du tra­vail qui les pro­duit, la finan­cia­ri­sa­tion de la planète et sa pré­da­tion pour le prof­it, domi­nent et règ­lent l’é­conomie mon­di­ale, y soumet­tant activ­ités humaines, organ­i­sa­tions sociales, envi­ron­nement de vie. Des sys­tèmes de pou­voir l’or­gan­isent et le régu­lent, en sus de sys­tèmes pro­pres aux moyens de pro­duc­tion et au cap­i­tal. Pas la peine de vous dévelop­per davan­tage ce que même les écon­o­mistes qui défend­ent le cap­i­tal­isme ne réfu­tent pas comme grille d’analyse. Ce qu’ils aiment moins dévelop­per eux, ce sont les dif­fi­cultés générées par les con­tra­dic­tions internes à ce sys­tème économique et poli­tique, dont les ten­ants n’ont jamais cessé de nier l’év­i­dente existence.

L’or­gan­i­sa­tion cap­i­tal­iste du monde humain repose à la fois sur accu­mu­la­tion et con­cur­rence, prof­its tirés du tra­vail et de la pro­priété, en sus de l’ac­ca­pare­ment, tou­jours en con­cur­rence, du vivant et des ressources ter­restres pour pro­duire. Les cap­i­tal­istes préfèrent appel­er cela le “marché con­cur­ren­tiel”, “le marché du tra­vail” et “l’é­conomie”, sans adjec­tifs. Si on regarde à nou­veau en arrière, on con­state que ce mode économique a bien tou­jours été fac­teur, à la fois de crises économiques et finan­cières qui lui étaient pro­pres, et de crises sociales, découlant des pre­mières, voire sus­citées par d’év­i­dentes répar­ti­tions iné­gal­i­taires des richess­es et des ressources. S’y ajoute une crise écologique, fruit de la rapac­ité du sys­tème et de sa prédation.

Et c’est là qu’en­tre en jeu la néces­sité d’or­gan­i­sa­tions com­plex­es de lieux de pou­voirs, au sein des sociétés humaines. De la féo­dal­ité aux Etats soumis aux règles du marché imposé, des Empires au néo-libéral­isme façon mon­di­al­i­sa­tion cap­i­tal­iste, la palette fut grande. Et, (cela un Marx l’avait seule­ment effleuré), un sys­tème tel que celui-là qui s’emballe et s’en­tête dans l’idée d’une crois­sance infinie pour son prof­it, comme si la planète l’é­tait, ne peut qu’aller à la destruc­tion. On sub­odor­erait même que des “civil­i­sa­tions” antiques, pré-cap­i­tal­istes, se sont écroulées pour les mêmes causes.

Bref, les sociétés d’ac­cu­mu­la­tion, de pro­priété non col­lec­tive et de prof­it ont, de l’esclavage au salari­at, de l’u­nique main-d’oeu­vre exploitée aux machines, de la révo­lu­tion indus­trielle à la finan­cia­ri­sa­tion mon­di­al­isée, sur fond con­stant d’un patri­ar­cat qui hiérar­chise, con­nu bien des crises, et con­duit des change­ments, pour se per­pétuer. Chaque fois, l’hu­main a pen­sé leur maîtrise en s’or­gan­isant sociale­ment et poli­tique­ment. La sphère des idées, comme on dit, a con­tribué à la recherche col­lec­tive de solu­tions pour ren­dre ce sys­tème viable et incon­tourn­able à long terme, ou pour d’autres, le révolutionner.

En ce sens, le com­mu­nisme est une de ces pen­sées et alter­na­tives, le com­mu­nisme lib­er­taire une autre, les Etats-Nation une forme, les coloni­sa­tions un moyen, l’im­péri­al­isme mil­i­taire et économique un bras armé, le néolibéral­isme une bouée de sauve­tage qui pèse du plomb pour les plus faibles et enri­chit l’ac­cu­mu­la­tion… Et, récem­ment le “there is no alter­na­tive” a été imposé pour une bonne péri­ode à la face du monde par les prof­i­teurs, avec dif­férents mode de gouvernance.

Et le fas­cisme dans tout çà ?

Je pense que vous avez déjà la réponse sur la nature de ce vari­ant lié au sys­tème, et la façon dont, à la fois matrice idéologique et mode de dom­i­na­tion qui s’adapte, il peut devenir, dans des con­tra­dic­tions exac­er­bées, une échap­pa­toire mortelle.

Et, pour ne pas me voir accusé de sché­ma­tisme dog­ma­tique, j’a­jouterais que tout cela ne survient pas comme un com­plot, une ruse de méchants cap­i­tal­istes réu­nis en con­fréries ou con­férences, qui penseraient dans leur coin, mais s’in­stalle dans le vide d’une pen­sée face aux crises, et quand cette même pen­sée a fait preuve de fail­lite pour y répon­dre, ou s’est trahie elle-même aux yeux des sociétés humaines.

Le fas­cisme s’in­stille d’abord dans les creux, puis aplan­it et s’in­stalle. On arrive alors à véri­fi­er la phrase d’Al­bert Camus “On se fatigue de voir la bêtise tri­om­pher sans com­bat”. Là ou la bêtise fait référence à “la bête”. Le fas­cisme n’est pas le ren­verse­ment de la “démoc­ra­tie”, mais bien une fail­lite qui en stim­ule le rejet, et sou­vent en appui sur une classe ou couche sociale dont les intérêts immé­di­ats sont dure­ment touchés. Quand les bour­geoisies pro­prié­taires ou les oli­garchies ne con­sid­èrent plus leurs larbins, il arrive que ceux-ci pensent à s’emparer des clés de la mai­son. Et, comme tout pop­ulisme, même s’il a des ambi­tions révo­lu­tion­naires, n’est pas anti-cap­i­tal­iste, le pire de “la bête” peut alors prospér­er. Cette “bêtise” dont par­lait un Camus, pro­duite par l’in­tel­li­gence humaine.

La bête”, celle que Gram­sci lui aus­si désig­nait ain­si : “Le vieux monde se meurt, le nou­veau monde tarde à appa­raître et dans ce clair​-obscur sur­gis­sent les mon­stres” ne tarde pas à épouser les exi­gences d’or­dre, de pou­voir ferme, de sécu­rité pour les affaires, et celles d’i­den­tité à défendre, de valeurs ances­trales, de  sou­veraineté nationale, qui ras­surent dans le vide ou le chaos, tout aus­si bien qu’aux lende­mains de trahisons et de défaites de la pensée.

Les anti-sys­tèmes se vêtent alors de brun, voire par­fois d’autres couleurs plus exo­tiques, et sur­gis­sent des ligues ou des par­tis uniques, aux cal­i­cots affichant l’ul­tra-nation­al­isme, et menaçant la dif­férence, de façon vir­iliste, de préférence, en fidél­ité au patri­ar­cat ancien. Et, ne l’ou­blions pas, pour faire bon poids, on s’ar­rogera  bien sûr le sou­tien des big­ots, du dieu ou de son contraire.

L’évêque de Prévert, qui dégueu­lait rue de Rome, dans “Crosse en l’air” et voy­ait pass­er dans le caniveau toutes sortes de détri­tus de l’époque (1937), puait  déjà le fas­cisme qui vient, en plus du mau­vais alcool ingurgité.

Qu’est-ce donc qui bruisse en Pologne, en Hon­grie, loge en Turquie et ailleurs, soeur Anne ? Ne vois-tu rien venir ?

A suiv­re…

Lire les autres arti­cles de la série La bête immonde


Image : CC Lila Mon­tana pho­tographe jour­nal­iste solidaire

Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Daniel Fleury on FacebookDaniel Fleury on Twitter
Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…